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09/10/2018 | FRANCE | N°16BX00413

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 09 octobre 2018, 16BX00413


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Shopping Center a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Guadeloupe a implicitement rejeté sa demande, présentée le 25 avril 2012, tendant à ce que soit édicté un arrêté de fermeture de la station-service dite " de Richeval " située sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau.

Par un jugement n° 1200878 du 29 octobre 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

P

rocédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, présentés le 28 jan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Shopping Center a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Guadeloupe a implicitement rejeté sa demande, présentée le 25 avril 2012, tendant à ce que soit édicté un arrêté de fermeture de la station-service dite " de Richeval " située sur le territoire de la commune de Morne-à-l'Eau.

Par un jugement n° 1200878 du 29 octobre 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, présentés le 28 janvier 2016 et le 28 octobre 2016, la société civile immobilière Shopping Center, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 octobre 2015 ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Guadeloupe a implicitement rejeté son recours gracieux présenté le 25 avril 2012 ;

3°) d'enjoindre au préfet d'édicter un arrêté de fermeture de la station-service de Richeval située à Morne-à-l'Eau ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance, que :

- elle a obtenu en 1994 un permis de construire une station service sur une parcelle dont elle est propriétaire ; en 1995, elle a signé avec la société Total Guadeloupe, pour cette parcelle, un bail à construction aux termes duquel cette dernière s'engageait à construire la station-service et à l'exploiter en échange du paiement d'un loyer ; elle a intérêt à contester la décision en litige en sa qualité de propriétaire de la parcelle sur laquelle se trouve la station service.

Elle soutient, au fond, que :

- la construction édifiée par la société Total Guadeloupe n'était pas conforme au permis de construire et pour ce motif le maire de Morne-à-l'Eau a refusé de délivrer un certificat de conformité ; la société Total Guadeloupe n'a pas respecté les stipulations du bail à construction en vertu desquelles elle devait produire un tel certificat de conformité ; un permis de démolir a été délivré à la société Shopping Center le 29 octobre 2008 pour la station service ;

- la société Total Guadeloupe n'a jamais régularisé les non-conformités relevées concernant la station service ; cette exploitation fonctionne dans des conditions dangereuses pour la sécurité publique ; il appartient au préfet de faire usage de ses pouvoirs de police administrative spéciale, qu'il tient des articles L. 514-1 et L. 514-2 du code de l'environnement, en prononçant la fermeture de la station service ; son refus d'exercer ses pouvoirs est pour ce motif illégal.

Par un mémoire en défense, présenté le 29 mars 2016, la société Total Guadeloupe, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Shopping Center une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la requête, que :

- en application de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, seuls peuvent former un recours contre une décision de police en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement les tiers qui ont acquis, pris à bail ou élevé des immeubles dans le voisinage de l'établissement ; la société Shopping Center n'entre pas dans cette catégorie dès lors qu'en application du bail à construction signé en 1995, elle a transféré son droit de propriété sur la parcelle litigieuse à la société Total Guadeloupe ; seule cette dernière exerce un droit de propriété sur ladite parcelle désormais ; la société Shopping Center est dès lors dépourvue d'intérêt à agir ;

Elle soutient, au fond, que :

- la fermeture d'une installation classée pour la protection de l'environnement soumise, comme en l'espèce, à déclaration n'est possible qu'en l'absence de permis de construire ou en cas de méconnaissance par l'exploitant d'une prescription contenue dans ladite autorisation ; de plus, la fermeture de l'installation n'est possible qu'après l'édiction préalable d'une mise en demeure restée sans effet ;

- en l'espèce, le permis de construire délivré pour la station service n'édicte aucune prescription particulière en relation avec le caractère d'installation classée pour la protection de l'environnement de la station service ; par ailleurs, la construction édifiée est conforme aux plans de la demande de permis de construire ; le préfet n'a édicté aucune mise en demeure préalable ; enfin, le permis de démolir a été délivré pour sanctionner les règles d'urbanisme et non pour mettre fin à un éventuel péril pour la sécurité présenté par l'installation ; pour l'ensemble de ces motifs, le préfet a pu légalement rejeter la demande de la société requérante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le moyen de la société requérante tiré de la non-conformité de la construction avec le permis de construire délivré est inopérant en application du principe de l'indépendance des législations ;

- la requérante n'établit aucunement que le fonctionnement de la station-service porterait atteinte à un intérêt environnemental protégé par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

- à supposer qu'elle invoque l'absence d'issue de secours dans la station service, un tel moyen ne saurait prospérer ; en effet, la station service exploitée par la société Total Guadeloupe est régie par l'arrêté ministériel du 15 avril 2010 qui prévoit, s'agissant des installations déclarées antérieurement au 1er juillet 2009, une seule issue de secours à l'arrière ou sur le côté du bâtiment ; la station-service de la société Total Guadeloupe satisfait à cette exigence ; ainsi, aucune méconnaissance de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement n'est établie et c'est à bon droit que le préfet a refusé d'exercer les pouvoirs de police qu'il tient des articles L. 171-7 et L. 171-8 du code de l'environnement.

Par ordonnance du 31 octobre 2016, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 2 janvier 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l'environnement ;

- l'arrêté du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations-service soumises à déclaration sous la rubrique n° 1435 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 octobre 1994, le maire de la commune de Morne-à-l'Eau a délivré à la société Shopping Center un permis de construire une station-service sur une parcelle lui appartenant cadastrée section AM n° 220. Parallèlement, la société Total Guadeloupe a déposé pour cette station-service un dossier de déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement dont le préfet de la Guadeloupe lui a délivré récépissé le 26 octobre 1994. Par un acte notarié établi le 14 septembre et le 5 octobre 1995, la société Shopping Center a signé avec la société Total Guadeloupe un bail à construction sur la parcelle AM n° 220. Selon ce contrat, conclu pour une durée de trente ans, la société Total Guadeloupe était chargée d'édifier et d'exploiter, sur la parcelle en cause, le bâtiment à usage de station-service moyennant le versement d'un loyer à la société Shopping Center. Par une lettre présentée le 25 avril 2012, la société Shopping Center a demandé au préfet de la Guadeloupe de prononcer la fermeture de la station-service, dite " de Richeval ", au titre de ses pouvoirs de police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet que la société Shopping Center a contestée devant le tribunal administratif de la Guadeloupe. La société relève appel du jugement rendu le 29 octobre 2015 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 511-1, inclus dans le Titre Ier " installations classées pour la protection de l'environnement ", du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Aux termes de l'article L. 514-1 du même code, qui demeure applicable aux manquements à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement constatés avant le 1er juillet 2013 : " I. - (...) lorsqu'un inspecteur des installations classées (...) a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l'expiration du délai fixé pour l'exécution, l'exploitant n'a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : 1° Obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser (...) ; 2° Faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites ; 3° Suspendre par arrêté (...) le fonctionnement de l'installation, jusqu'à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires. ". Aux termes de l'article L. 514-2 du même code, également applicable aux manquements constatés avant le 1er juillet 2013 : " Lorsqu'une installation classée est exploitée sans avoir fait l'objet de la déclaration, requis par le présent titre, le préfet met l'exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai déterminé en déposant, suivant le cas, une déclaration, une demande d'enregistrement ou une demande d'autorisation. Il peut, par arrêté motivé, suspendre l'exploitation de l'installation jusqu'au dépôt de la déclaration ou jusqu'à la décision relative à la demande d'enregistrement ou d'autorisation. Si l'exploitant ne défère pas à la mise en demeure de régulariser sa situation (...) le préfet peut, en cas de nécessité, ordonner la fermeture ou la suppression de l'installation. Si l'exploitant n'a pas obtempéré dans le délai fixé, le préfet peut faire application des procédures prévues aux 1° et 2° du I de l'article L. 514-1. (...) ".

3. Le 25 avril 2012, la société Shopping Center a demandé au préfet de la Guadeloupe d'user des pouvoirs de police qu'il tient des dispositions précitées en soutenant que la station-service exploitée par la société Total Guadeloupe présentait un danger pour l'environnement.

4. Les pouvoirs de police spéciale que les articles L. 514-1 et L. 514-2 du code de l'environnement confient au préfet, par leur objet et leur nature même, permettent d'imposer à un exploitant de respecter la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement en vue de prévenir les dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. En conséquence, et comme l'a relevé à bon droit le tribunal administratif, ces pouvoirs de police spéciale ne sauraient être utilisés pour mettre fin à des manquements à des législations autres que celles découlant de l'appartenance de l'exploitation à la catégorie des installations classées pour la protection de l'environnement.

5. Ainsi, la société requérante ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer la circonstance que la station-service édifiée ne correspondrait pas aux plans du dossier de permis de construire à l'appui de sa demande d'annulation de la décision du préfet ayant refusé de faire usage de ses pouvoirs de police spéciale.

6. C'est de manière toute aussi inopérante que la requérante se prévaut de ce que la société Total Guadeloupe n'a pas obtenu du maire, en dépit des termes du bail à construction, lequel constitue d'ailleurs un acte de droit privé qui ne conditionne pas la légalité d'une décision administrative, un certificat de conformité à l'achèvement des travaux d'édification de la station-service.

7. Le permis de démolir la station-service que le maire a délivré à la société Shopping Center le 29 octobre 2008, en application de la législation distincte sur l'urbanisme, n'a en tout état de cause aucune incidence sur la mise en oeuvre par le préfet de ses pouvoirs de police spéciale qui demeure subordonnée à une atteinte avérée à l'un des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

8. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la station-service " de Richeval " dispose d'une issue de secours arrière conformément aux exigences du B du 2.1 de l'arrêté ministériel du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations-service soumises à déclaration.

9. Enfin, la société requérante en se bornant à soutenir que les normes de sécurité ne sont toujours pas mises en oeuvre ne fait état d'aucun élément particulier de nature à révéler que le fonctionnement de la station-service " de Richeval " présenterait des dangers ou des inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société Shopping Center n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de la société Shopping Center la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Total Guadeloupe et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées par la société Shopping Center sur ce même fondement dirigées contre l'Etat doivent être rejetées dès lors que celui-ci n'est pas la partie perdante à l'instance d'appel.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Shopping Center est rejetée.

Article 2 : La société Shopping Center versera à la société Total Guadeloupe la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Shopping Center, à la société Total Guadeloupe et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 octobre 2018.

Le rapporteur,

Frédéric FaïckLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 16BX00413


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