Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) ESPM a demandé au tribunal administratif de Bordeaux la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2008, 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1500035 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 4 juillet 2016 et le 3 février 2017, la SCI ESPM, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2016 ;
2°) la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été constituée en janvier 2003 et a pour objet social l'acquisition de biens immobiliers et leur exploitation par locations ; au regard de cet objet, il ne peut être considéré que la société a été créée en vue de spéculer sur des opérations d'achat et de revente de biens immobiliers révélant l'exercice d'une activité commerciale soumise à impôt sur les sociétés ; elle doit bénéficier de la présomption selon laquelle l'activité d'une société est conforme à celle qui est définie dans son objet social ;
- s'il est vrai que l'article 206-2 du code général des impôts assujettit à l'impôt sur les sociétés civiles immobilières se livrant à des opérations commerciales, seules sont concernées, en vertu de l'article 35 du même code, les opérations d'achat et de revente présentant un caractère habituel ; tel n'est pas le cas de la société qui a attendu 2009 pour vendre une partie des lots constituant l'immeuble qu'elle a acheté en 2003 ; l'intention spéculative, qui s'apprécie à la date d'acquisition du bien, ne peut être retenue en conséquence ;
- lors de l'acquisition de ses trois immeubles, en 2003 et 2008, elle s'est placée sous le régime des droits d'enregistrement et non sous celui, plus favorable, des droits réduits réservé aux marchands de biens ; cela démontre son absence de volonté d'effectuer des opérations commerciales ;
- si elle a effectué des opérations de revente de certains des lots composant les propriétés acquises, c'est dans un but de désendettement et d'amélioration de la rentabilité de ses investissements ; il ne s'agit donc pas d'opérations commerciales ;
- il convient d'apprécier l'intention spéculative du contribuable année par année ainsi qu'opération par opération ; il apparaît ainsi qu'en 2010, la société s'est livrée à des opérations de location d'immeubles à l'exclusion de toute activité de revente ;
- elle est fondée à invoquer pour obtenir la décharge des impositions litigieuses l'interprétation de la loi fiscale résultant de la réponse ministérielle AN du 30 mai 1957 ;
- c'est dès lors à tort que le tribunal a jugé qu'elle a exercé au cours des années d'imposition en litige une activité de nature commerciale relevant de l'impôt sur les sociétés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2016 et le 20 août 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'achat d'un immeuble, suivi de sa division et sa revente par lots, caractérise l'exercice habituel de l'activité d'achat et de revente au sens de l'article 35-I-1° du code général des impôts ;
- ainsi, la société requérante doit être regardée comme ayant procédé à l'acquisition d'immeubles dans une intention spéculative ; et en raison de la continuité des transactions opérées et du nombre de celles-ci, les cessions consenties revêtaient un caractère habituel alors même qu'elles se sont étalées sur une longue période ; durant la période vérifiée, la société s'est séparée d'une grande partie des immeubles qu'elle possédait, par fractions après divisions ;
- la circonstance que les statuts de la société ne prévoient pas la réalisation d'opérations immobilières ne saurait exclure que ladite société soit regardée comme un marchand de biens, si les faits démontrent que les conditions d'habitude et d'intention de revendre sont réunies ;
- les deux associés de la société sont des professionnels de l'immobilier, associés ou gérants d'autres sociétés ou entreprises d'investissements immobiliers, de conseil pour les affaires, de location de logements, de marchands de biens, de rénovation et d'agences immobilières.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) ESPM a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des années 2008, 2009 et 2010 à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause le caractère civil de ses activités au motif qu'elle exerçait une activité de marchand de biens et l'a, en conséquence, assujettie à l'impôt sur les sociétés pour les exercices correspondant aux années 2008, 2009 et 2010. La SCI ESPM relève appel du jugement rendu le 4 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés mises à sa charge.
2. Aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts, définissant le champ d'application de l'impôt sur les sociétés : " (...) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (...) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ". Aux termes de l'article 35 du même code : " I - Présentent (...) le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles (...) ".
3. D'une part, l'application de ces dispositions est subordonnée à la double condition que les opérations qu'elles visent procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel.
4. D'autre part, l'assujettissement d'une société civile à l'impôt sur les sociétés en vertu du 2 de l'article 206 du code général des impôts s'apprécie année par année au regard de l'activité effectivement exercée au cours de chacune de ces années.
5. La SCI ESPM a été constituée le 28 janvier 2003 en se donnant pour objet social " l'acquisition, la prise à bail, la mise en valeur de tous terrains, l'édification de bâtiments à usage d'habitation et accessoirement commercial, la construction ou l'achat de tous biens immobiliers et mobiliers, la propriété, l'administration et l'exploitation par bail ou location de biens immobiliers acquis ou édifiés par la société ... éventuellement, la revente des ensembles immobiliers acquis ou édifiés par elle. ". Comme l'a rappelé à bon droit le tribunal administratif, l'administration fiscale a la possibilité, compte tenu des opérations que la société aurait réellement effectuées, de renverser la présomption selon laquelle cette dernière exerce une activité conforme à cet objet social de nature civile.
En ce qui concerne les opérations réalisées en 2008 :
6. Il résulte de l'instruction que la SCI ESPM a acquis, le 15 janvier 2008, un immeuble situé 34 rue José Marco à Bègles pour un prix de 300 000 euros. Le 17 juillet 2008, la SCI ESPM a procédé à la division de cet immeuble en deux lots puis, le même jour, vendu le lot n° 2 correspondant à un appartement pour le prix de 155 000 euros. Et le 23 juillet 2008, la SCI ESPM a également vendu la partie à bâtir du terrain d'assiette de cet immeuble pour 62 000 euros. Par ailleurs, la SCI ESPM a fait acquisition, le 23 juillet 2008, pour le prix de 300 000 euros d'un immeuble situé 1 rue de Guienne à Bordeaux qui a fait l'objet d'une division en douze lots le 29 septembre suivant. Quatre des lots ainsi créés, correspondant à des logements individuels, ont ensuite été vendus les 6, 14, 15 et 27 octobre 2008 pour un prix total de 246 000 euros.
7. Au regard de la brièveté du délai séparant l'acquisition des immeubles de ces opérations de revente et du nombre de ces dernières, la SCI ESPM doit être regardée comme ayant eu, dès l'acquisition desdits immeubles, une intention spéculative au sens du I précité de l'article 35 du code général des impôts. Par suite, la société requérante était passible de l'impôt sur les sociétés du fait de la réalisation de ces opérations.
8. Compte tenu de ces considérations, les circonstances que la SCI ESPM ait financé ses acquisitions à l'aide d'emprunts à long terme puis opté, lors des opérations de revente, pour le régime des droits d'enregistrement, et non pour celui des droits réduits réservé aux marchands de biens, ne sont pas de nature, à elles seules, à exclure lesdites opérations du champ d'application de l'article 35 du code général des impôts.
9. La SCPM ne saurait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80-A du livre des procédures fiscales, de la réponse ministérielle faite le 30 mai 1957 à M.A..., député, qui ne comporte aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle qui en est faite par le présent arrêt.
10. Enfin, la SCI ESPM ne peut non plus utilement invoquer l'instruction du 4 janvier 2017, référencée BOI-BIC-CHAMP-20-10-10-20170104, qui aurait supprimé la présomption d'intention spéculative tirée du caractère habituel des opérations réalisées, dès lors que ladite instruction est postérieure aux années d'imposition en litige.
En ce qui concerne les opérations réalisées en 2009 :
11. Il résulte de l'instruction que, le 26 février 2009, la société ESPM a vendu le lot n° 10 de l'immeuble situé rue de Guienne à Bordeaux. Cette vente a fait suite à l'acquisition de cet immeuble par la société requérante, intervenue en juillet 2008, à sa division en lots et à la vente de ceux-ci en septembre puis octobre 2008. Comme il a été dit aux points 6 et 7, la brièveté du délai qui a séparé l'acquisition de l'immeuble des opérations de revente et le nombre de ces dernières doivent faire regarder la SCI ESPM comme ayant eu une intention spéculative lorsqu'elle a acquis le bâtiment situé rue de Guienne.
12. Il en résulte que l'activité commerciale à laquelle la société requérante s'est livrée à l'occasion de la vente du 26 février 2009 entraînait son assujettissement à l'impôt sur les sociétés au titre de cette année pour l'ensemble des bénéfices réalisés. Il en va ainsi alors même que les autres opérations que la société ESPM a effectuées au cours de l'année 2009 n'auraient pas revêtu une nature commerciale.
En ce qui concerne les opérations réalisées en 2010 :
13. Il est constant qu'au cours de l'année 2010, la SCI ESPM n'a effectué aucune revente mais qu'elle s'est exclusivement livrée à des opérations de location de biens immobiliers à raison desquelles elle a déclaré des revenus fonciers. La société requérante ne s'est donc pas livrée, pour l'année 2010 en cause, à des opérations relevant du champ d'application de l'article 35 du code général des impôts. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les conclusions à fin de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles la société ESPM a été assujettie pour l'année 2010.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI ESPM est seulement fondée à demander la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en 2010, le surplus de ses conclusions à fin de décharge devant être rejeté.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés, non compris dans les dépens, exposés par la société ESPM, partie gagnante en appel.
DECIDE :
Article 1er : La société civile immobilière ESPM est déchargée des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010.
Article 2 : Le jugement n° 1500035 du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société civile immobilière ESPM la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société civile immobilière ESPM est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière ESPM et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera délivrée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 28 août 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 septembre 2018.
Le rapporteur,
Frédéric FaïckLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02171