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07/06/2018 | FRANCE | N°16BX01873

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 07 juin 2018, 16BX01873


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 29 octobre 2012 par laquelle le lieutenant-colonel commandant le centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie (CNICG) de Gramat lui a infligé la sanction du premier groupe de 10 jours d'arrêt.

Par un jugement n° 1205488 du 7 avril 2016, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à cette demande et annulé la décision contestée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregist

rée le 7 juin 2016, et un mémoire enregistré le 15 septembre 2017, le ministre de la défens...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 29 octobre 2012 par laquelle le lieutenant-colonel commandant le centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie (CNICG) de Gramat lui a infligé la sanction du premier groupe de 10 jours d'arrêt.

Par un jugement n° 1205488 du 7 avril 2016, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à cette demande et annulé la décision contestée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juin 2016, et un mémoire enregistré le 15 septembre 2017, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 7 avril 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le tribunal.

Il soutient que :

- le non-respect des règles relatives à la discipline et à la hiérarchie militaire constitue une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; il en va de même d'un comportement ayant pour effet de perturber le bon déroulement d'un service ;

- Mme A...a adopté un comportement insolent, inapproprié et sans retenue, contraire aux règles de déontologie de son métier ; il lui incombait de respecter la voie hiérarchique ;

- la méthode utilisée est de nature à jeter l'opprobre et le discrédit sur le service informatique et les gendarmes techniciens ;

- l'intéressée ne pouvait ignorer les conséquences de son actes ; elle a donc agi dans le but de mettre en difficulté le commandement de son unité ;

- la sanction infligée, qui n'est pas la plus sévère du premier groupe, n'est pas disproportionnée ; au demeurant cette sanction n'a aucun incidence sur la solde et le gendarme sanctionné effectue son service dans des conditions normales ;

- il a été tenu compte des états de service antérieurs plutôt favorables de MmeA... ; celle-ci a néanmoins déjà fait l'objet d'une sanction en 2011 pour un comportement similaire.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 août 2016, MmeA..., représentée par MeC..., conclut au rejet du recours et demande que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- ses conditions de travail au sein du CNICG se sont dégradées à compter de 2011 ; sa gestion de la cellule de gestion des achats de chiens a été injustement mise en cause ; puis, elle a subi un rapport calomnieux de la part de l'organisateur d'un séminaire en Suisse ; elle a fait l'objet d'un acharnement de la part de sa hiérarchie et a dû déposer une plainte au civil pour harcèlement moral ;

- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie ; il était justifié qu'elle alerte les personnels du service d'un risque d'intrusion informatique ; elle l'a fait dans l'intérêt du service et de l'institution ; elle n'avait pas été contactée pour communiquer ses codes d'accès, alors même qu'elle était joignable et disponible, et elle ignorait qu'il avait été demandé au service informatique de la gendarmerie de Cahors d'intervenir sur son ordinateur ; elle n'a donc commis aucune faute ;

- la sanction prononcée est manifestement disproportionnée au regard des faits commis, de ses mérites et de sa carrière ; si ces faits sont de nature à justifier une sanction, celle qui a été prononcée est entachée d'une erreur d'appréciation ; en effet, cette sanction est une mesure restrictive de liberté, loin d'être sans effets ou symbolique.

Par une ordonnance du 18 septembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 novembre 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice militaire ;

- le code de la défense ;

- le code de sécurité intérieure ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget ;

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., qui a intégré la gendarmerie nationale le 10 septembre 2002, a été affectée à compter du 1er février 2010 au centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie (CNICG) à Gramat, en qualité de responsable de la cellule des achats. Le 6 septembre 2011, alors qu'elle était placée en congé de maladie, elle a constaté en se rendant à son poste de travail que son ordinateur avait été utilisé en son absence et que certains fichiers informatiques avaient été manipulés. Ayant manifesté son étonnement et critiqué, dans un courriel adressé à l'ensemble des personnels du CNICG, ce qu'elle a considéré comme un piratage informatique, Mme A...a fait l'objet d'une sanction de dix jours de mise aux arrêts, prononcée le 29 octobre 2012 par le lieutenant-colonel commandant le CNICG. Le ministre de la défense relève appel du jugement du 7 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse, saisi par MmeA..., à annulé la sanction prise à l'encontre de celle-ci.

2. Aux termes de l'article L. 311-13 du code de justice militaire : " Les infractions aux règlements relatifs à la discipline sont laissées à la répression de l'autorité militaire et punies de sanctions disciplinaires qui, lorsqu'elles sont privatives de liberté, ne peuvent excéder soixante jours. L'échelle des sanctions disciplinaires est fixée par la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires ". Aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent : 1°. A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 ; (...) Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense ". Aux termes de l'article L. 4137-2 de ce code: " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : 1° Les sanctions du premier groupe sont : a) L'avertissement; b) La consigne; c) La réprimande; d) Le blâme; e) Les arrêts; j) Le blâme du ministre ". Aux termes de l'article L. 4137-4 de ce code : " Le ministre de la défense ou les autorités habilitées à cet effet prononcent les sanctions disciplinaires et professionnelles prévues aux articles L. 413 7-1 et L. 413 7-2, après consultation, s'il y a lieu, de l'un des conseils prévus à l'article L. 4137-3 ". Aux termes de l'article R. 4137-16 du même code : " Lorsqu'un militaire a commis une faute ou un manquement, il fait l'objet d'une demande de sanction motivée qui est adressée à l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, même si elle émane d'une autorité extérieure à la formation. L'autorité militaire de premier niveau entend l'intéressé, vérifie l'exactitude des faits, et, si elle décide d'infliger une sanction disciplinaire du premier groupe, arrête le motif correspondant à la faute ou au manquement et prononce la sanction dans les limites de son pouvoir disciplinaire. Si l'autorité militaire de premier niveau estime que la gravité de la faute ou du manquement constaté justifie soit une sanction disciplinaire du premier groupe excédant son pouvoir disciplinaire, soit une sanction du deuxième ou troisième groupe, la demande de sanction est adressée à l'autorité militaire de deuxième niveau dont relève l'autorité militaire de premier niveau même si le militaire fautif a changé de formation administrative durant cette période ".

3. Il ressort des pièces du dossier que MmeA..., alors en congé de maladie, a adressé le 6 septembre 2012 à 12h36 à l'ensemble des personnels du CNICG, depuis son poste de travail, un message dénonçant " les pratiques devenues monnaie courante et... l'état d'esprit consistant à entrer dans les sessions informatiques sans en informer les titulaires ", le pillage de ses fichiers concernant tout aussi bien la cellule achats que les données personnelles liées à sa qualité de militaire, et le fait que certaines personnes s'octroient le pouvoir d'accéder aux documents protégés par un mot de passe. Elle remerciait ironiquement la formation faite par la gendarmerie, " qui prône la droiture, le calme, la détermination et le respect de l'autre " et suggérait qu'elle était l'objet d'une tentative de " l'écoeurer " d'avoir choisi de servir une institution dont elle " pensait encore il y a peu " qu'elle était " censée " représenter le respect de la loi et de la justice. Ces faits sont à l'origine de la sanction de 1ère catégorie de dix jours d'arrêts infligée à Mme A...par l'autorité militaire de premier niveau, motif pris de ce que l'intéressée s'est affranchie de toute autorisation et a critiqué ouvertement les dispositions prises par le commandement pour assurer la continuité du service, diffusant une appréciation personnelle mettant en cause la moralité de l'institution.

4. D'une part, ainsi que le rappelle le ministre de la défense, il résulte des dispositions du code de la défense que les personnels militaires dans leur ensemble sont soumis à une obligation de loyalisme et de neutralité, se doivent d'observer les règlements, d'en accepter les contraintes, et de se comporter en toutes circonstances avec honneur et dignité. L'article R. 434-12 du code de la sécurité intérieure prévoit plus particulièrement que " le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. En tout temps, dans ou en dehors du service (...) il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée (...) à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter (...) aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation ". Il s'en déduit que les gendarmes sont astreints à une obligation rigoureuse d'obéissance, de réserve et de loyauté à l'égard de l'institution qu'ils servent.

5. D'autre part, MmeA..., ne conteste pas la matérialité même des faits qui lui sont reprochés mais explique que, n'ayant pas été informée que le CNICG avait sollicité le 3 septembre 2012 l'intervention du service informatique de la gendarmerie de Cahors pour permettre un accès à ses fichiers informatiques professionnels, dont le service avait besoin de façon urgente alors qu'elle était en congé de maladie, elle avait cru à une intrusion frauduleuse ou malveillante, et n'a cherché, par le courriel litigieux, qu'à alerter ses collègues et à protéger l'institution. Il est toutefois constant que MmeA..., alors même que la localisation de son poste de travail au sein d'une caserne de gendarmerie rendait peu vraisemblable une intervention extérieure malveillante, a choisi, plutôt que d'alerter sa hiérarchie ou de lui demander des explications, de diffuser à l'ensemble du service un message dont les termes, par une mise en cause sous-jacente, suggèrent qu'elle tenait précisément cette hiérarchie pour responsable d'une manipulation de son poste informatique qu'elle jugeait inappropriée. De tels faits caractérisent, pour un sous-officier de gendarmerie, une faute de nature à justifier une sanction. Si Mme A... fait valoir que rien n'expliquait une manipulation de son ordinateur en son absence dans la mesure où elle s'était toujours rendue disponible pour les besoins du service au cours de son congé de maladie et qu'il est inexact qu'elle n'ait pas été joignable le 3 septembre 2012, une telle argumentation est en tout état de cause inopérante eu égard au motif de la sanction litigieuse, tenant à un manquement de l'intéressée à son devoir de loyauté et de réserve. Il ressort enfin des pièces du dossier que MmeA..., qui soutient sans l'établir subir un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, mais dont la manière de servir s'était dégradée depuis octobre 2011, ainsi qu'en attestent ses évaluations, lesquelles lui enjoignaient de changer d'attitude et de se ressaisir, avait fait l'objet à la fin de l'année 2011 d'une précédente sanction assortie de sursis pour des faits mettant déjà en cause un comportement non conforme à l'obligation de loyalisme impartie aux personnels de gendarmerie. Dans ces conditions, et alors que la sanction de dix jours d'arrêts prononcée par le commandant du CNICG n'est pas la sanction du 1er groupe la plus sévère, quand bien même elle est restrictive de liberté, cette sanction, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, n'apparaît pas en l'espèce disproportionnée.

6. Il résulte de ce qui précède, et Mme A...n'ayant pas soulevé d'autres moyens, que le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 29 octobre 2012 du commandant du CNICG de Gramat infligeant la sanction de dix jours d'arrêt à MmeA....

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de Mme A...tendant au versement d'une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 7 avril 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée, de même que ses conclusions présentées en appel.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à Mme B...A....

Délibéré après l'audience du 9 mai 2018, à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 7 juin 2018.

Le rapporteur,

Laurent POUGETLe président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 16BX01873


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX01873
Date de la décision : 07/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-03-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Motifs. Faits de nature à justifier une sanction.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-07;16bx01873 ?
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