Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
La commune de Lacarre a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner solidairement la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société Mendribil, et la société SCE à lui verser la somme de 275 120 euros TTC au titre des désordres affectant une station d'épuration construite sur son territoire, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation de ceux-ci.
Par un jugement n° 1402611 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Pau a condamné solidairement la société Mendribil, aux droits de laquelle vient la société Colas Sud-Ouest, et la société SCE, à verser à la commune de Lacarre la somme de 162 745,22 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2014 et capitalisés à compter du 19 décembre 2015, la société SCE étant garantie par la société Colas Sud Ouest à hauteur de 40 % de la condamnation solidaire et la société Colas Sud-Ouest étant garantie par la société SCE à hauteur de 60 % de cette condamnation.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2016, la société SCE, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 mai 2016 ;
2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par la commune de Lacarre devant le tribunal ;
3°) de rejeter également les prétentions de la société Colas Sud-Ouest ;
4°) à titre subsidiaire, de ramener sa part de responsabilité à de plus justes proportions ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Lacarre ou de toute autre partie succombante une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- lors de la phase de conception, la société Colas Sud-Ouest avait fourni un mémoire technique justifiant de sa solution mais ensuite elle n'a pas fourni les plans d'exécution et d'implantation ; elle a finalement fourni ces plans en fin de marché mais, s'ils laissaient apparaître des ouvrages en conformité avec le projet initial, ils étaient en réalité délibérément faux ; il ne peut être reproché au maître d'oeuvre, dans ces conditions, de n'avoir pas émis de réserves ;
- elle n'avait pas à vérifier la faisabilité du projet ; elle a rempli ses obligations en signalant dès l'analyse de l'offre le risque de difficultés en cas d'insuffisance d'infiltrations et en sollicitant la communication des plans ;
- il n'a pu y avoir de débat technique et contradictoire entre le relevé topographique du 30 avril 2012 et la production du plan de recollement fourni par la société Colas après les travaux ; l'expert n'a pas cru devoir organiser une réunion de synthèse ;
- la commune a choisi elle-même le lieu d'implantation de l'ouvrage et n'a pas signalé au maître d'oeuvre l'importance du risque de submersion par les eaux de ruissellement ; il ne peut donc lui être reproché de ce pas avoir érigé d'ouvrages de protection ;
- le désordre de surcharge hydraulique est entièrement imputable à la commune, comme l'a relevé le tribunal ;
- elle doit donc être exonérée de toute responsabilité ;
- subsidiairement, sa responsabilité ne saurait excéder 60 % ; le tribunal s'est écarté arbitrairement des propositions de l'expert à cet égard ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, la commune ne peut prétendre à l'indemnisation des travaux de construction d'ouvrages neufs prévus pour le deuxième étage de la station, pour la protection hydraulique, l'alimentation et l'utilisation des disques biologiques ;
- la commune de justifie pas du préjudice de jouissance allégué.
Par un mémoire enregistré le 5 décembre 2016, la société Colas Sud-Ouest conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société SCE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Elle fait valoir que :
- sa part de responsabilité n'est pas prépondérante ;
- dans le régime de la garantie décennale des constructeurs, le locateur d'ouvrage ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute d'un autre constructeur, sous-traitant ou fournisseur ;
- aucune des objections de la société SCE ne revêt le caractère d'une cause étrangère ; au demeurant le rapport d'expertise répond de façon satisfaisante à ces objections.
Par un mémoire et des pièces enregistrés les 2 et 3 janvier 2017, la commune de Lacarre conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société SCE sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les désordres affectant la station d'épuration affectent sa solidité et la rendent impropre à sa destination ;
- ils sont clairement imputables aux sociétés SCE et Colas Sud-Ouest ; en particulier, les manquements de la société SCE dans la conception, la surveillance et le suivi de l'exécution des travaux ont largement contribué à l'apparition des désordres ;
- le terrain a été acheté après validation par la société SCE de la faisabilité du projet ; la commune n'a commis aucune faute exonératoire en choisissant l'implantation du terrain et n'a pas manqué à son devoir d'information ;
- la société SCE, professionnel expérimenté, connaissait parfaitement la configuration des lieux et devait en tenir compte ; elle était chargée d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète ;
- les montants d'indemnisation retenus par le tribunal doivent être confirmés ;
- les dépens doivent également rester à la charge des entreprises dans les proportions fixées par le jugement.
Par une ordonnance du 9 juin 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 juillet 2017 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code civil ;
- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la commune de Lacarre.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Lacarre (Pyrénées-Atlantiques) a décidé en 2005 l'édification d'une station d'épuration. A cette fin, elle a confié à la société SCE, par acte d'engagement du 24 janvier 2005, la maîtrise d'oeuvre complète des travaux de réalisation de cet ouvrage d'assainissement. L'exécution des travaux a été attribuée à la société Mendribil par un marché en date du 10 novembre 2005. L'ouvrage a été réceptionné sans réserve le 23 mai 2006. Toutefois, dès 2007, il a été constaté que la station recevait anormalement des eaux de ruissellement et présentait des anomalies d'alimentation. Compte tenu de l'aggravation de ces désordres, et à défaut d'obtenir de l'entreprise et du maître d'oeuvre la réalisation de travaux de reprise, la commune a sollicité et obtenu en 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Pau la réalisation d'une expertise. A la suite du dépôt du rapport de l'expert, le 15 mars 2013, la commune a saisi le tribunal administratif aux fins de condamnation de la société SCE et de la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société Mendibril, à l'indemniser du dommage subi. La société SCE relève appel du jugement du 4 mai 2016 par lequel le tribunal l'a condamnée, solidairement avec la société Colas Sud-Ouest, à verser à la commune une indemnité de 162 745,22 euros en principal, la société SCE étant garantie de cette condamnation à hauteur de 40 % par la société Colas Sud-Ouest, elle-même garantissant la société Colas à hauteur de 60 %.
Sur la responsabilité de la société SCE à l'égard de la commune :
2. En vertu des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs, des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans et de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que les désordres affectant la station d'épuration se manifestent par la déformation et la rupture de caissons, par le noyage et le tassement des lits de tourbe, ainsi que par des tassements et une déstabilisation des sols et des contrepentes de canalisations. Selon l'expert, ces désordres résultent d'une incohérence entre le terrain mis à disposition, exposé aux ruissellements, et le procédé gravitaire d'épuration retenu, d'une absence de protection contre les ruissellements, d'une surcharge hydraulique par apport d'eaux pluviales depuis des fonds privés, et d'un dispositif déficient d'alimentation de la deuxième fosse.
4. Pour estimer que ces désordres relèvent de la garantie décennale des constructeurs, ce que ne conteste pas la société SCE, le tribunal a relevé qu'ils n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage, en mai 2006, mais se sont fait jour en 2007, qu'ils conduisent à rendre l'ouvrage impropre à sa destination dans la mesure où, notamment, le bon fonctionnement de l'ouvrage d'épuration n'est pas assuré compte tenu d'un bilan de pollution insuffisant, même à mi-capacité de traitement, et qu'ils compromettent également la solidité de l'ouvrage du fait des défaillances mécaniques constatées lors de chaque phénomène de pluviométrie important, avec de réels risques de submersion des installations.
5. La société requérante soutient que c'est en revanche à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle était, à concurrence de 90 %, solidairement responsable des désordres avec la société Colas Sud-Ouest, aux motifs que, d'une part, elle n'avait émis aucune réserve sur la conformité et le bon fonctionnement de l'installation et que, d'autre part, elle avait omis, au stade de la conception de l'ouvrage, de prévoir un dispositif adapté de protection contre les ruissellements. Elle fait valoir qu'il ne peut en effet lui être fait aucun reproche dans la mesure où, si le site d'implantation retenu est particulièrement exposé aux inondations, la commune maître d'ouvrage, qui a elle-même choisi ce site, n'a pas appelé son attention sur un tel risque, et où, par ailleurs, alors qu'elle a accompli toutes diligences au cours de l'exécution des travaux pour obtenir de la société Colas Sud-Ouest les études et plans d'exécution des travaux permettant notamment de vérifier les côtes du projet, celle-ci lui a sciemment fourni des documents erronés ou falsifiés.
6. Il résulte, d'une part, de l'instruction que le maître d'oeuvre, qui avait selon l'expert " pressenti " que l'implantation de l'ouvrage dans la topographie particulière du terrain retenu, compte tenu notamment des dénivelés, était susceptible de ne pas être compatible avec le procédé de traitement gravitaire proposé par la société Colas Sud-Ouest, a effectivement demandé en vain à plusieurs reprises à l'entrepreneur, au cours de l'exécution des travaux, de produire les plans d'exécution et de justifier des cotes du projet d'implantation. Il n'en demeure pas moins que, ainsi que le relève le rapport d'expertise, la société SCE était chargée d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète et que le maître d'oeuvre, homme de l'art chargé de la conception du projet, devait être à même de prendre en considération le risque d'inondation du site et de faire part le cas échéant de ses réserves au maître d'ouvrage ou de prescrire les mesures à prendre dans la conception ou dans la mise en oeuvre du projet, pour répondre à ce risque. En l'occurrence, même si le terrain a été acheté par la commune postérieurement à l'acte d'engagement de la société SCE, cette dernière connaissait dès l'origine le site d'implantation retenu, et l'expert relève que la configuration des lieux n'a pas été modifiée depuis l'initiation du projet, qu'il s'agisse notamment de la chaussée voisine de la route départementale 933, facteur de ruissellements, ou de la faible capacité des fossés, laquelle pouvait être aisément constatée. Le risque de ruissellements importants était donc envisageable, sans que la société requérante puisse valablement invoquer le caractère exceptionnel des précipitations survenues en 2007 puis en 2009, le rapport d'expertise ayant établi que la fréquence statistique de débordement des eaux de ruissellement vers les installations de la station d'épuration est d'une fois tous les ans et demi. Il appartenait au maître d'oeuvre, compte tenu de sa mission, de prévoir un dispositif adapté de protection de l'ouvrage contre les inondations, et d'émettre des réserves, dans son rapport d'analyse des offres, sur le procédé de traitement proposé par la société Colas Sud-Ouest, qui était une variante à la solution de base, et dont l'expert judiciaire note qu'il est " manifeste que celle-ci ne pouvait s'insérer dans la dénivelée disponible, telle qu'elle figurait au plan topographique fourni ". Enfin, en dépit même de ses doutes manifestes sur la conformité de l'exécution des travaux aux documents contractuels, et alors que, ayant évoqué des risques de malfaçons, elle n'a pu obtenir de plans d'exécution fiables, comme elle le fait elle-même valoir, la société SCE n'a en définitive émis aucune réserve finale sur cette conformité, manquant par la même à sa mission de surveillance des travaux. Par suite, et quelle qu'ait pu être la part de responsabilité de la société Colas Sud-Ouest dans le dommage, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la société requérante devait être tenue pour solidairement responsable avec cette dernière à l'égard du maître d'ouvrage.
7. D'autre part, s'il ressort des constats effectués par l'expert que la commune de Lacarre détient elle-même une part de responsabilité dans les désordres en cause, tenant à ce qu'elle a fourni aux cocontractants des données partiellement inexactes et ne s'est pas suffisamment assurée de la qualité de son réseau d'évacuation des eaux usées, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal se soit livré à une appréciation erronée de cette part de responsabilité en la fixant à 10 % et en n'exonérant les locateurs d'ouvrage que dans cette seule mesure.
Sur les garanties croisées :
8. Subsidiairement, la société requérante demande que la détermination de sa part de responsabilité propre en regard de celle de la société Colas Sud-Ouest, telle qu'elle résulte des taux des garanties croisées prononcées par le jugement attaqué, soit ramenée à de plus justes proportions.
9. Il résulte des mentions du rapport de l'expert judiciaire que la société Colas Sud-Ouest a proposé au maître d'ouvrage le procédé d'épuration gravitaire sans avoir vérifié les cotes du projet, en méconnaissance de l'article 1.4.5 du cahier des clauses techniques particulières relatif à la vérification des plans de détail, qu'elle n'a pas alerté le maître d'oeuvre sur la difficulté à suivre les indications des pièces du marché et, ainsi qu'il a été dit, qu'elle s'est abstenue de fournir à la société SCE, en dépit des demandes réitérées de celui-ci, les plans et études d'exécution qu'elle était chargée d'élaborer. Enfin, le rapport relève également que c'est en raison d'une réalisation par la société Colas Sud-Ouest d'un point de rejet placé trop haut par rapport au projet d'implantation, de manière non conforme aux données techniques et aux plans initiaux, que se sont produites des difficultés d'évacuation vers le ruisseau de Toska ayant abouti à l'immersion des caissons de filtration lors d'épisodes pluvieux, et que l'épuration par voie aérienne n'a pu être assurée.
10. Au regard des incidences respectives de ces manquements et de ceux de la société SCE décrits au point 6 dans la réalisation des désordres qui ont affecté la station d'épuration, telles qu'elles résultent de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire, les premiers juges, contrairement à ce que soutient la société requérante, n'ont pas fait une inexacte appréciation de sa part de responsabilité en la condamnant à garantir la société Colas Sud-Ouest à hauteur de 60 % du montant de la condamnation solidaire prononcée contre cette dernière.
11. La société SCE, pour le surplus, ne remet pas en cause l'évaluation faite par le tribunal des préjudices subis par la commune de Lacarre.
12. Il résulte de ce qui précède que la société SCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a solidairement condamnée avec la société Colas Sud-Ouest à indemniser la commune de Lacarre à concurrence de 90 % du préjudice qu'elle a subi, et à garantir la société Colas Sud-Ouest, à hauteur de 60 %, de la condamnation solidaire prononcée contre cette dernière.
Sur les frais d'expertise :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de maintenir les frais d'expertise à la charge solidaire de la société SCE et de la société Colas Sud-Ouest.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. La commune de Lacarre n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de la société SCE tendant à qu'une somme soit mise à sa charge en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par la commune de Lacarre et par la société Colas Sud-Ouest.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société SCE est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Lacarre et la société Colas Sud-Ouest sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise sont maintenus à la charge solidaire de la société SCE et de la société Colas Sud-Ouest.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à la société SCE, à la commune de Lacarre et à la société Colas Sud-Ouest.
Copie en sera adressée à M.B..., expert.
Délibéré après l'audience du 26 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 24 mai 2018.
Le rapporteur,
Laurent POUGETLe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX01930