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26/04/2018 | FRANCE | N°16BX00454

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 26 avril 2018, 16BX00454


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les délibérations en date du 24 octobre 2013 par lesquelles l'établissement public foncier local (EPFL) Béarn-Pyrénées a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées AD n° 61 et AD n° 62 ainsi que les délibérations du conseil municipal de Rontignon des 19 septembre et 15 octobre 2013 portant délégation du droit de préemption de ces parcelles au bénéfice de l'EPFL.

Par un jugement n° 1302303,

1302307 du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la délibération d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les délibérations en date du 24 octobre 2013 par lesquelles l'établissement public foncier local (EPFL) Béarn-Pyrénées a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées AD n° 61 et AD n° 62 ainsi que les délibérations du conseil municipal de Rontignon des 19 septembre et 15 octobre 2013 portant délégation du droit de préemption de ces parcelles au bénéfice de l'EPFL.

Par un jugement n° 1302303, 1302307 du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé la délibération du 24 octobre 2013 par laquelle l'EPFL Béarn-Pyrénées a décidé de préempter la parcelle AD n° 61 et rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2016, un mémoire complémentaire, enregistré le 21 septembre 2017, et un mémoire en production de pièces, enregistré le 9 octobre 2017, l'EPFL Béarn Pyrénées et la commune de Rontignon, représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 en tant qu'il a annulé la délibération du 24 octobre 2013 par laquelle l'EPFL Béarn-Pyrénées a décidé de préempter la parcelle AD n° 61 ;

2°) de rejeter la demande de M.E... ;

3°) de mettre à la charge de M. E...des sommes de 1 500 euros à verser respectivement à l'EPFL Béarn-Pyrénées et à la commune de Rontignon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que M. E...ne justifiait pas d'intérêt pour agir dès lors qu'il avait contractuellement prévu que la notification de la décision de préemption emporterait la nullité de la promesse de vente quand bien même la décision de préemption en cause serait frappée d'illégalité ;

- alors que M. E...n'avançait aucun élément de preuve, les premiers juges ont renversé la charge de la preuve en retenant l'irrégularité de la convocation des conseillers municipaux ; les conseillers municipaux de la commune de Rontignon ont été convoqués conformément au code général des collectivités territoriales ; les mentions du registre des délibérations font foi jusqu'à preuve du contraire ; elles produisent également des déclarations de conseillers municipaux attestant de leur convocation le 19 septembre 2013 ;

- la demande était irrecevable à défaut pour M. E...de justifier d'un intérêt pour agir ; il n'avait pas déposé dans les délais impartis un dossier de permis d'aménager, si bien que la promesse de vente était devenue caduque avant l'édiction de la décision de préemption ; en outre, la demande de permis d'aménager n'a pas été déposée par M.E..., mais par un tiers ; par ailleurs, l'intéressé avait contractuellement considéré que la seule notification de la décision de préemption emporterait la nullité de ladite promesse quand bien même la décision de préemption en cause serait illégale ; les premiers juges ne se sont pas prononcés sur ce moyen ;

- transmise au contrôle de légalité le 2 octobre 2013 et publiée le même jour, la délibération déléguant le droit de préemption pour la parcelle AD 61, en date du 19 septembre 2013, était exécutoire à la date de la délibération querellée portant exercice de droit de préemption ; les certifications de la transmission et la publication font foi jusqu'à preuve du contraire ;

- conformément à l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme, l'avis du service des domaines a été sollicité avant l'édiction de la décision de préemption ; l'administration peut faire usage d'un avis du service des domaines sollicité antérieurement à la réception de la déclaration d'intention d'aliéner dès lors que la durée de validité d'un an de cet avis n'est pas expirée ; au demeurant, à supposer qu'un avis antérieur à la déclaration d'intention d'aliéner soit illégal, cet avis, qui n'est pas constitutif d'une garantie, a été émis deux mois seulement avant la décision de préemption et aurait été identique après réception de la déclaration d'intention d'aliéner ;

- l'exception d'illégalité de la délibération du 27 mai 2013 instituant le droit de préemption urbain, acte non réglementaire et non individuel, est tardive ; la théorie des opérations complexes ne peut pas jouer dans le cas de la préemption ; en tout état de cause, cette exception d'illégalité n'est pas fondée ; conformément à l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme, après avoir approuvé le plan local d'urbanisme, le conseil municipal de Rontignon a institué le droit de préemption et délimité les zones ;

- la décision de préemption s'inscrit dans le champ d'application des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ; les ambitions d'aménagement, dont fait partie la parcelle AD n° 61, sont exprimées par le plan local d'urbanisme ; d'autres parcelles du même secteur ont été acquises dès 2012.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2016, M.E..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge solidaire des requérantes de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la convocation des conseillers municipaux est irrégulière ; la délibération litigieuse du 19 septembre 2013 ne porte pas la date de convocation des membres du conseil municipal ; il ne peut rapporter la preuve d'un fait inexistant ; les pièces versées par la commune ne permettent pas de s'assurer du caractère régulier de la convocation des conseillers municipaux ;

- la clause de caducité en cas d'exercice du droit de préemption contenue dans le compromis de vente ne suffit pas à retirer à l'acquéreur évincé son intérêt pour agir ; par ailleurs, l'article 1165 du code civil excluant les tiers du contrat formé par des parties, les requérantes ne peuvent se prévaloir de dispositions contractuelles auxquelles elles sont étrangères ; enfin, la demande de permis d'aménager a été présentée le 12 juillet 2013, soit avant le terme fixé par la promesse de vente, par la Sarl Foncier développement qui le substitue, ainsi que le contrat en ouvrait la possibilité ;

- en l'absence de preuve de la transmission de la délibération au contrôle de légalité, la délibération portant délégation du droit de préemption ne présentait pas de caractère exécutoire ; par conséquent, la délibération attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- la note interne du service des domaines ne peut être assimilée à un avis de cette autorité ; à supposer qu'on l'assimile à un avis, il a été émis avant la déclaration d'intention d'aliéner ; à supposer que cette carence n'ait eu aucune influence sur le sens de la décision prise, elle a privé l'acquéreur évincé d'une garantie ;

- l'exception d'illégalité de la délibération instituant le droit de préemption urbain est recevable par application de la théorie des opérations complexes ; la délibération actant l'institution du droit de préemption urbain détermine en définitive le champ territorial d'application de cette prérogative de puissance publique ; à défaut, il sera fait application de la théorie de l'inexistence juridique en raison de la grave illégalité affectant la délibération attaquée du fait de l'absence d'opposabilité du plan local d'urbanisme ;

- l'exception d'illégalité de la délibération instituant le droit de préemption est fondée ; si le plan local d'urbanisme a été approuvé avant édiction le même jour de la délibération en litige, il n'est devenu exécutoire qu'à l'issue d'un délai d'un mois suivant la transmission au préfet en vertu de l'article L. 123-12 du code de l'urbanisme ;

- l'EPFL Béarn Pyrénées n'établit pas l'existence d'un projet réel justifiant la mise en oeuvre du droit de préemption.

Par ordonnance du 22 septembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 23 octobre 2017 à 12 h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeD..., représentant l'EPFL Béarn Pyrénées et la commune de Rontignon.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 19 septembre 2013, le conseil municipal de Rontignon a délégué à l'établissement public foncier local (EPFL) Béarn Pyrénées le droit de préemption urbain de la commune concernant la parcelle cadastrée section AD n° 61 d'une superficie de 7 668 m² appartenant à l'Association Les Scouts et Guides de France. Le 24 octobre suivant, le conseil d'administration de l'EPFL Béarn Pyrénées a décidé d'exercer le droit de préemption sur le bien concerné. M.E..., titulaire d'une promesse de vente du 18 juillet 2013, a saisi le tribunal administratif de Pau notamment d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions des 19 septembre et 24 octobre 2013. Le tribunal administratif de Pau, par jugement n° 1302303, 1302307 du 1er décembre 2015, a prononcé l'annulation de la décision du 24 octobre 2013 relative à la parcelle AD 61 et a rejeté les conclusions dirigées contre la délibération du 19 septembre 2013. L'EPFL Béarn Pyrénées et la commune de Rontignon relèvent appel du jugement du 1er décembre 2015 en tant qu'il a annulé la décision du 24 octobre 2013 par laquelle l'EPFL Béarn Pyrénées a décidé de préempter la parcelle cadastrée AD n° 61.

Sur la régularité du jugement :

2. L'EPFL Béarn Pyrénées avait opposé à la demande d'annulation des décisions trois fins de non recevoir tirées de l'absence de lien suffisant entre les décisions pour autoriser une demande unique devant le tribunal, du défaut d'intérêt pour agir de M. E...et de la tardiveté des conclusions en annulation dirigées contre la délibération du 19 septembre 2013. Les premiers juges ont accueilli la fin de non recevoir propre à cette dernière décision et ont rejeté les deux autres.

3. Cependant, la fin de non recevoir tiré du défaut d'intérêt pour agir était subdivisée en deux branches se rapportant à la présence d'une clause de caducité dont le délai est atteint ou dont la mise en oeuvre résulterait de l'exercice par la commune de son droit de préemption. Or, les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen de défense pris dans sa seconde branche. Par suite, ainsi que le font valoir l'EPFL Béarn Pyrénées et la commune de Rontignon, le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer sur ce point. Le jugement doit être annulé en tant qu'il statue sur la délibération du 24 octobre 2013 de préemption de la parcelle AD n° 61, en l'absence de critique du bien-fondé de l'irrecevabilité opposée aux conclusions dirigées contre la délibération du 19 septembre 2013. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement dans cette mesure sur la demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Pau.

Sur les conclusions en annulation :

En ce qui concerne la compétence de l'EPFL :

4. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement (...) Cette transmission peut s'effectuer par voie électronique, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Le maire certifie, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes. La preuve de la réception des actes par le représentant de l'Etat dans le département ou son délégué dans l'arrondissement peut être apportée par tout moyen. L'accusé de réception, qui est immédiatement délivré, peut être utilisé à cet effet mais n'est pas une condition du caractère exécutoire des actes. ". Aux termes de l'article L. 2131-2 du même code : " Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants : 1° Les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 ; (...) ".

5. La délibération du 19 septembre 2013 du conseil municipal de Rontignon portant délégation du droit de préemption à l'EPFL Béarn Pyrénées sur la parcelle AD n° 61 mentionne une réception en préfecture en date du 2 octobre 2013 et une publication le même jour. Ces mentions apportées, sous la responsabilité du maire, pour certifier le caractère exécutoire des actes des autorités communales font foi jusqu'à preuve du contraire, laquelle fait défaut en l'espèce. Cette décision était ainsi exécutoire à la date du 24 octobre 2013 à laquelle le conseil d'administration de l'EPFL Béarn Pyrénées a décidé d'exercer son droit de préemption délégué.

6. La délibération du 19 septembre 2013 à caractère réglementaire n'avait pas être notifiée au propriétaire du bien concerné ni à l'acquéreur pressenti.

S'agissant du défaut de consultation du service des domaines :

7. Aux termes de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. (...) L'avis du service des domaines doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition. (...) ".

8. La consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner.

9. Il est constant que l'avis du service des domaines n'a pas été sollicité après réception de la déclaration d'intention d'aliéner. Toutefois, l'avis émis le 14 août 2013 par le service des domaines a été sollicité moins d'un mois avant la réception de cette déclaration le 6 septembre 2013 et il portait sur la même parcelle sur laquelle l'EPFL Béarn Pyrénées a exercé le droit de préemption délégué. Il ressort également de la note interne du service des domaines expliquant l'évaluation de la parcelle AD n° 61 que le maire de Rontignon a saisi le service des domaines sur demande du propriétaire, l'Association Scouts et Guides de France, et qu'une visite sur place a eu lieu. Dans les circonstances de l'espèce, les conditions de la consultation préalable du service des domaines avant édiction de la décision de préemption n'ont pas été de nature à priver le titulaire du droit de préemption, l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner ni même l'acquéreur évincé de la garantie liée à une estimation indépendante, précise et actuelle de la valeur du bien, et n'ont pas eu d'influence sur le sens de la décision prise.

S'agissant de l'exception d'illégalité de la délibération du 19 septembre 2013 relative à la délégation du droit de préemption :

10. Aux termes de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est adressée par écrit, sous quelque forme que ce soit, au domicile des conseillers municipaux, sauf s'ils font le choix d'une autre adresse.". Aux termes de l'article L. 2121-11 du même code : " Dans les communes de moins de 3 500 habitants, la convocation est adressée trois jours francs au moins avant celui de la réunion.".

11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courriel de convocation et des attestations rédigées par les conseillers municipaux, que ces derniers ont reçu une convocation à la séance du 19 septembre 2013, au cours de laquelle a été adoptée la délibération attaquée, dès le 13 septembre 2013, par voie de courrier électronique, ou pour ceux ne disposant pas d'adresse mail à leur domicile personnel le même jour. Dès lors, il est établi que les convocations sont ainsi effectivement parvenues aux conseillers municipaux trois jours au moins avant le jour de la réunion, comme l'imposent des dispositions précitées de l'article L. 2121-11 du code général des collectivités territoriales. Dans ces conditions, M. E...n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions auraient été méconnues.

S'agissant de l'exception d'illégalité de la délibération du 24 octobre 2013 instituant le droit de préemption urbain :

12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan (...) ".

13. Aux termes de l'article R. 211-2: " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. / Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué ".

14. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou été prise pour son application. En outre, s'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.

15. L'illégalité de l'acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif.

16. La commune de Rontignon et l'EPFL Béarn Pyrénées ne produisent pas les éléments permettant d'établir le respect des obligations de publication dans deux journaux locaux du département auxquelles était soumise la délibération du conseil municipal du 27 mai 2013 instituant le droit de préemption dans les zones urbaines et les zones d'urbanisation future délimitées par le plan local d'urbanisme de la commune, faisant ainsi obstacle à ce qu'elle puisse être regardée comme ayant acquis un caractère définitif. Dès lors, M. E...est recevable à invoquer par voie d'exception l'illégalité qui l'affecterait.

17. Il ressort de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme que la seule condition qu'il fixe pour l'instauration d'un périmètre pour l'exercice du droit de préemption urbain est l'approbation préalable d'un plan local d'urbanisme. Si le conseil municipal de Rontignon a adopté son plan local d'urbanisme par une délibération n°27 du 27 mai 2013 et fixé le champ d'application du droit de préemption urbain à l'ensemble des zones U et AU par une délibération n° 28 du même jour, cette condition se trouvait ainsi remplie, alors même que le plan local d'urbanisme n'était pas devenu exécutoire au moment de l'adoption de la délibération instituant le droit de préemption urbain renforcé. Par suite, M. E...ne peut utilement faire valoir, dans le cadre d'une exception d'illégalité, qu'en l'absence de schéma de cohérence territoriale (SCOT) applicable, la délibération approuvant le plan local d'urbanisme ne pouvait devenir exécutoire, en application de l'article L.123-12 du code de l'urbanisme, qu'à l'issue d'un délai d'un mois suivant sa transmission au préfet. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'à la date de la préemption attaquée, l'une et l'autre des deux délibérations étaient exécutoires.

S'agissant du bien-fondé de la préemption :

18. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les droits de préemption urbain institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) " Selon l'article L. 300-1 du même code dans sa version applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations.".

19. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

20. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la décision en litige, que la préemption de la parcelle cadastrée AD 61 est motivée par un projet comportant de l'habitat, un équipement et un espace public, mentionné dans les orientations d'aménagement. Le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme de la commune de Rontignon approuvé le 27 mai 2013 énonce que " c'est autour du bourg que l'effort d'accueil des " néorontignonais " doit se faire, plus particulièrement sur le site de l'ancienne usine laitière Vilcontal et ses abords immédiats. Le développement du village se fera également sur les terrains autrefois agricoles enclavés dans le centre bourg ", dont la parcelle AD 61 fait partie. Il intègre une orientation pour le secteur centre bourg faisant état de la volonté de la commune de prévoir des voiries et cheminements doux afin d'offrir la desserte la plus rationnelle possible de ce quartier à urbaniser en rattachant le Nord au Sud du bourg par une alternative à la route départementale n° 37. Conformément à cette orientation, il résulte des plans qui l'accompagnent que la parcelle en cause doit servir à l'aménagement d'une voie secondaire, de cheminements doux et d'une zone d'habitat.

21. La décision attaquée mentionne également que " la commune de Rontignon étudie depuis juin 2013 un projet d'aménagement différé, qui englobe le site du projet Vilcontal et des terrains à urbaniser situés en face de la mairie, de l'autre côté de la route départementale n° 37 et que ce projet englobe la parcelle AD n° 61 ". Dès le 30 janvier 2013, l'EPFL Béarn-Pyrénées a évoqué ce projet de zone d'aménagement à intégrer dans le futur plan local d'urbanisme. Une réunion a eu lieu à la fin du mois de juin suivant pour sa réalisation en présence des services de la direction départementale des territoires et de la mer des Pyrénées-Atlantiques. La réflexion s'est engagée à partir d'une note dans laquelle la commune indique d'une part, qu'elle souhaite que le secteur "centre-bourg" et le secteur de l'usine Vilcontal communiquent entre eux de façon satisfaisante au moyen d'une liaison douce et, d'autre part, que le découpage des unités foncières sur la partie Est de cette opération " centre-bourg ", la plus proche de la route départementale, nécessite une restructuration foncière permettant d'envisager un aménagement optimal évitant l'apparition d'enclaves mal utilisées. Ainsi, l'EPFL Béarn Pyrénées justifie suffisamment de la réalité, à la date de la décision contestée, d'un projet d'aménagement urbain conforme aux dispositions précitées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme.

22. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de préempter aurait été prise pour des considérations extérieures au motif d'intérêt général qu'elle mentionne. Ainsi le détournement de pouvoir et de procédure allégué n'est pas établi.

23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées en défense, que M. E...n'est pas fondé à solliciter l'annulation de la délibération du 24 octobre 2013.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

24. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rontignon et de l'EPFL Béarn Pyrénées, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande M. E...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E...une somme globale de 1 500 euros au titre des frais de même nature exposés par l'EPFL Béarn Pyrénées et la commune de Rontignon.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1302303, 1302307 du tribunal administratif de Pau du 1er décembre 2015 est annulé en tant qu'il statue sur la délibération du 24 octobre 2013 par laquelle l'EPFL Béarn Pyrénées a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée AD n° 61.

Article 2 : La demande d'annulation de la délibération du 24 octobre 2013 par laquelle l'EPFL Béarn Pyrénées a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée AD n° 61 et le surplus des conclusions d'appel de M. E...sont rejetés.

Article 3 : M. E...versera la somme globale de 1 500 euros à l'EPFL Béarn Pyrénées et à la commune de Rontignon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., à l'établissement public foncier local Béarn Pyrénées et à la commune de Rontignon. Copie sera adressée à l'Association Les Scouts et Guides de France.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 avril 2018

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

8

No 16BX00454


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00454
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Procédures d'intervention foncière. Préemption et réserves foncières. Droits de préemption. Droit de préemption urbain.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CAMBOT ; CAMBOT ; SCP BOUYSSOU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-04-26;16bx00454 ?
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