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20/03/2018 | FRANCE | N°16BX00896

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 20 mars 2018, 16BX00896


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A..., veuveB..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 28 mai 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'État à lui réparer les préjudices subis et d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaire

s pour qu'il procède à l'évaluation desdits préjudices.

Par un jugement n° 1205...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A..., veuveB..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 28 mai 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'État à lui réparer les préjudices subis et d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour qu'il procède à l'évaluation desdits préjudices.

Par un jugement n° 1205583 du 21 janvier 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 mars 2016 et 17 octobre 2017,

Mme D...A..., veuveB..., représentée par la Selarl Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 janvier 2016 ;

2°) d'annuler la décision du ministre de la défense du 28 mai 2013 ;

3°) d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de réexaminer sa demande et de procéder à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables aux maladies radio-induites dont était atteint son défunt mari, dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, l'indemnité due devant être majorée des intérêts au taux légal à compter de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette date ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conditions de lieux, de temps et de pathologie posées par la loi du 5 janvier 2010 modifiée pour bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie sont remplies ;

- le ministre ne peut établir que la pathologie de son défunt mari résulte exclusivement d'une cause étrangère alors qu'il a été nécessairement soumis à un risque de contamination par inhalation et ingestion de poussières de gaz radioactifs.

Par des mémoires, enregistrés les 27 mai 2016 et 4 décembre 2017, le ministre de la défense s'en remet, dans le dernier état de ses écritures, à la sagesse de la cour.

Il soutient que s'il n'est pas contesté que Daniel B...a été exposé aux rayonnements ionisants, il n'y a pas eu d'incidence sur sa santé.

Les parties ont été informées, le 26 septembre 2017, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du

28 février 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, et notamment son article 113 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

- l'avis du Conseil d'État n° 409777 du 28 juin 2017.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.C...,

- et les conclusions de M. Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. DanielB..., engagé dans l'armée en 1970, a été affecté sur le site des expérimentations nucléaires françaises à Mururoa, en Polynésie française, au cours de la période allant du 13 août 1971 au 13 août 1972 en qualité de mécanicien chaudronnier à bord du bâtiment de soutien logistique " Garonne " puis, du 27 décembre 1972 au 24 juin 1974, en qualité de chaudronnier-tôlier au sein de la direction du port de Mururoa. Un cancer du poumon lui a été diagnostiqué en 1996, dont il décèdera le 12 septembre de la même année. La demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français présentée par MmeA..., veuveB..., en sa qualité d'ayant-droit, a été rejetée par une décision du ministre de la défense

du 28 mai 2013, au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de son défunt mari pouvait être qualifié de négligeable. MmeA..., veuveB..., relève appel du jugement du 21 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices imputables à l'exposition de Daniel B...aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires.

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ (...) ". L'article 4 de cette même loi, dans sa rédaction issue du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l'espèce, dispose que : "I. Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...). V. Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité. (...) ". Enfin, aux termes du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 : " Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision.

Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. ".

3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

4. Il résulte de l'instruction que Daniel B...a séjourné dans des lieux et pendant une période définis par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il a souffert figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

5. Le ministre fait valoir que lors des cinq essais nucléaires réalisés dans l'atmosphère au cours du premier séjour de DanielB..., la radioactivité est restée très basse dans la zone Kathie où se trouvait l'intéressé, le bâtiment " Garonne " restant à une distance supérieure

à 50 kilomètres du centre du tir et la tâche radioactive disparaissant rapidement dans le lagon. Il en a été de même, selon le ministre, lors des sept essais réalisés au cours du second séjour de l'intéressé. Le ministre soutient également que le niveau de radioactivité du lagon entre 1972 et 1974 a " à peine dépassé " la radioactivité naturelle de l'eau dans cette région du Pacifique et que la radioactivité atmosphérique en zone Kathie a atteint son maximum le 15 août 1971 avec un niveau de 0,5 Bq/m³ d'air. Ces éléments ne peuvent cependant suffire, ainsi que l'admet d'ailleurs le ministre dans ses dernières écritures, à établir que DanielB..., qui n'a pas bénéficié d'une surveillance dosimétrique externe et a fait l'objet d'un unique examen anthroporadiométrique à l'issue de son second séjour, n'aurait subi au cours de ses séjours aucune exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires et qu'ainsi sa pathologie résulterait exclusivement d'une cause étrangère à celle-ci, alors même que le diagnostic en a été posé plus de vingt ans après ces séjours.

6. Il résulte de ce qui précède que MmeA..., veuveB..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 21 janvier 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense

du 28 mai 2013.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Il résulte des dispositions de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 que lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que le présent arrêt implique nécessairement que le CIVEN réexamine la demande introduite par MmeA..., veuveB..., et lui adresse une proposition d'indemnisation tendant à la réparation intégrale des préjudices subis en raison de l'exposition de Daniel B...aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au CIVEN d'adresser à MmeA..., veuveB..., une proposition d'indemnisation dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt. L'indemnisation qui lui sera versée inclura les intérêts au taux légal et capitalisés auxquels elle peut prétendre. Il n'y a cependant pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par MmeA..., veuveB..., et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 janvier 2016 est annulé.

Article 2 : La décision du ministre de la défense du 28 mai 2013 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'adresser une proposition d'indemnisation à MmeA..., veuveB..., dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à MmeA..., veuveB..., une somme de 1 200 euros au

titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A..., veuveB..., au ministre des armées et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 15 février 2018 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 mars 2018

Le rapporteur,

Didier C...

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00896


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00896
Date de la décision : 20/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Didier SALVI
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE - TOPALLOF - LAFFORGUE- ANDRIEU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-20;16bx00896 ?
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