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19/03/2018 | FRANCE | N°16BX02410

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 19 mars 2018, 16BX02410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Haute-Garonne a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre (composé des SCP d'architectes Cirgue Dargassies et Espagno Milani et du bureau d'études techniques Beterem Ingenierie), la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et la société Apave Sud Europe à lui verser la somme de 203 320 euros TTC en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des deux catégories de désordres constatés dans le bâtimen

t C de l'hôtel départemental, devant être prise en charge respectivement à haute...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Haute-Garonne a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre (composé des SCP d'architectes Cirgue Dargassies et Espagno Milani et du bureau d'études techniques Beterem Ingenierie), la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et la société Apave Sud Europe à lui verser la somme de 203 320 euros TTC en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des deux catégories de désordres constatés dans le bâtiment C de l'hôtel départemental, devant être prise en charge respectivement à hauteur 40 155,70 euros TTC par le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum, 158 081,30 euros TTC par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et 5 083 euros TTC par la société Apave Sud Europe, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1203488 du 8 juin 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 20 juillet 2016 et 7 juillet 2017, le département de la Haute-Garonne, représenté par MeH..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1203488 du 8 juin 2016 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de condamner les constructeurs à lui verser la somme de 203 320 euros TTC, devant être prise en charge respectivement à hauteur de 40 155,70 euros TTC par le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum, 158 081,30 euros TTC par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et 5 083 euros TTC par la société Apave Sudeurope, à titre principal, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité décennale, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre très subsidiaire, de condamner le seul groupement de maîtrise d'oeuvre in solidum à lui verser cette somme de 203 320 euros TTC, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de chaque intervenant à l'acte de construire dont la responsabilité est engagée la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a écarté chacun des fondements invoqués pour fonder la responsabilité des intervenants à l'acte de construire, qu'il s'agisse de la garantie de parfait achèvement, de la garantie décennale ou du défaut de conseil des maîtres d'oeuvre ;

- s'agissant d'abord de la garantie de parfait achèvement, il résulte d'une jurisprudence constante que le constructeur est tenu à une obligation de résultat, à laquelle il manque si le produit qu'il installe s'avère défaillant à remplir sa fonction, nonobstant le fait qu'il ait été prévu au marché avec l'accord du maître d'ouvrage ;

- il résulte de deux arrêts de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 12BX00434 (30 mai 2014, Sté Bureau Veritas) et n° 13BX00189 (2 déc. 2014, SNC Eiffage construction Nord Aquitaine) que l'absence de réserves lors de la réception ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de la garantie des constructeurs si le désordre se manifeste postérieurement à la réception, et ce même si la cause structurelle de ce désordre existe et est apparente au jour de la réception, mais ne produit pas encore ses effets, du fait des conditions exogènes prévalant à cet instant ;

- en l'espèce, dès lors que le phénomène de rayonnement rasant à l'origine des phénomènes d'éblouissement et de chaleur excessive, que les résilles " brise-soleil " ont failli à occulter, n'est généralement constaté qu'en hiver, le département était dans l'incapacité d'émettre la moindre réserve quant aux performances de la résille installée lors de la réception de l'ouvrage, du fait de la position du soleil haute sur l'horizon en été ;

- ainsi, le fait que le désordre n'ait pas été apparent lors de la réception, ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre de la garantie de parfait achèvement à ce titre ;

- en particulier, le fait que la résille installée ait été celle prévue au marché, sur conseil du groupement de maîtrise d'oeuvre, est sans incidence, dès lors que cette résille s'avère structurellement défaillante à remplir la fonction de brise-soleil qui était la sienne et que le marché lui assignait, ce qui caractérise un manquement à l'obligation de résultat des intervenants à l'acte de construire ;

- si les défendeurs font valoir que la département avait été informé des problèmes de luminosité excessive en amont, il convient de relever, d'une part, que dans la notice thermique réalisée au tout début des études, le groupement de maîtrise d'oeuvre a préconisé la solution d'une façade double peau avec stores intégrés, en listant ses divers avantages, et s'était engagé à trouver des solutions pour réduire le risque d'éblouissement, notamment par la mise en oeuvre de brise-soleil ;

- s'agissant de la responsabilité décennale, c'est à tort que le tribunal, qui a dénaturé le rapport de l'expert et insuffisamment motivé son jugement au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative, a considéré que la luminosité excessive et les températures trop élevées constatées dans certains bureaux des façades sud et ouest du nouveau bâtiment, qui sont limitées aux périodes de l'année et aux heures du jour où le soleil est rasant, ne rendent pas cet ouvrage impropre à sa destination, dès lors que le fait qu'un désordre soit intermittent, et n'affecte qu'une partie de l'ouvrage et de ses usagers, ne fait pas obstacle à une telle qualification ;

- à cet égard, dès lors que l'expertise diligentée par le tribunal a conclu de façon parfaitement explicite que les phénomènes d'éblouissement rendent l'ouvrage impropre à sa destination, le tribunal ne pouvait se borner à affirmer, sans aucune motivation ou se référer à une quelconque autre pièce de l'instruction, que la luminosité excessive ne rendait pas l'ouvrage impropre à sa destination ;

- s'agissant de la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil, le tribunal ne pouvait pas juger que les désordres constatés " n'ont pas pour cause une malfaçon qu'il aurait appartenu au maître d'oeuvre de déceler, mais l'imperfection de la résille " brise-soleil " prévue au marché ", sans entacher son jugement d'une contradiction de motifs, dès lors que le tribunal a précédemment estimé, au moins implicitement mais nécessairement, que la défaillance de la résille à remplir sa fonction était apparente au moment de la réception, puisque c'est la raison pour laquelle il a écarté la mise en oeuvre de la garantie de parfait achèvement ;

- ainsi, en jugeant à la fois que les désordres étaient apparents (pour écarter la garantie de parfaitement achèvement) et qu'ils ne l'étaient pas (pour écarter le défaut de conseil des maîtres d'oeuvre), le tribunal a entaché le jugement attaqué d'une contradiction de motifs, aboutissant à une forme de déni de justice pour le département ;

- c'est la raison pour laquelle le département soutient à titre principal que les désordres n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage, et que c'est donc la garantie de parfait achèvement qui doit être mise en oeuvre, faute pour les intervenants à l'acte de construire d'avoir respecté leur obligation de résultat qui impliquait, notamment, la protection des usagers contre l'éblouissement et les températures anormalement hautes ;

- si, toutefois, la cour en jugeait autrement, elle n'aurait alors d'autre choix que de tirer les conséquences de sa propre appréciation en constatant que les maîtres d'oeuvre ont manqué à leur devoir de conseil en s'abstenant de conseiller au département de formuler les réserves nécessaires sur la résille défectueuse installée, et de condamner le groupement de maîtrise d'oeuvre à l'indemniser de l'intégralité du préjudice subi du fait de ce défaut de conseil, lequel est, en toute hypothèse, d'autant plus avéré qu'il ressort de l'étude thermique réalisée en phase de conception qu'ils avaient conscience du risque d'éblouissement et s'étaient engagés à compléter leurs études pour le neutraliser ;

- à cet égard, il ne saurait être sérieusement soutenu que les défaillances du produit finalement installé avaient été signalées au département dans cette étude, dès lors qu'au stade de l'APS, le département n'avait validé qu'un principe (la DFV) - que le groupement de maîtrise d'oeuvre avait présenté explicitement et à plusieurs reprises comme une solution offrant une occultation solaire efficace - et non un produit (la résille défectueuse finalement préconisée et installée) ;

- ainsi, le groupement de maîtrise d'oeuvre n'a pas approfondi les études relatives aux stores, comme il s'y était engagé dans cette étude thermique et comme il lui appartenait de le faire dans le cadre de sa mission ;

- s'agissant du chiffrage du préjudice et de la répartition des responsabilités, le département entend renvoyer la cour au mémoire complémentaire qu'il a produit en première instance le 19 février 2016, seuls étant rappelés, pour l'essentiel, les résultats de l'expertise sur ces points ;

- en ce qui concerne le préjudice lié à la luminosité excessive, la somme de 100 000 euros HT retenue par l'expert, correspondant au coût lié à la poste d'un store vénitien sur l'ensemble des façades Sud (85 modules) et Ouest (320 modules) du bâtiment, devra être majorée du surcoût lié aux contraintes de poses résultant de travaux en site occupé, impliquant un phasage de l'opération par bureaux, en fonction de leur occupation, soit une somme totale de 140 000 euros HT ;

- en ce qui concerne le préjudice lié à la surchauffe des bureaux de la façade Sud, qui requiert la mise en place de stores côté intérieur servant de réflecteur, et réduisant l'apport calorifique du rayonnement solaire, l'expert a proposé un coût de réparation de 15 000 euros HT correspondant à la mise en place de stores vénitiens, qui devra être portée à 21 000 euros HT pour tenir compte des contraintes qui viennent d'être exposées ;

- en ce qui concerne le préjudice lié à une consommation énergétique non prévue initialement, l'expert a procédé à l'estimation du coût de cette surconsommation énergétique à 3 000 euros par an, sur une période de vie de dix ans, de sorte que la Cour devra retenir une somme de 30 000 euros HT au titre de ce chef de préjudice ;

- quant au partage des responsabilités, il convient de se référer aux fourchettes fixées par l'expert dans son rapport, selon que la responsabilité des constructeurs serait engagée au titre de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2016, la SCP Cirgue-Dargassies et la SCP Espagno-Milani, représentées par MeB..., concluent :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la part de responsabilité de la maîtrise d'oeuvre soit limitée à 10 % concernant l'éblouissement et 20 % concernant la surchauffe des bureaux et à ce que les sociétés Eiffage Construction Midi-Pyrénées es qualité de titulaire du marché, Apave Sud-Ouest et Beterem Ingénierie soient condamnées à la relever et les garantir de toute condamnation supérieure aux sommes découlant desdites pourcentages de responsabilité, susceptible d'intervenir à leur encontre ;

3°) à ce que soit mise à la charge département de la Haute-Garonne la somme globale de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- la garantie de parfait achèvement ne peut être invoquée qu'à l'encontre des entrepreneurs et non à l'encontre du maître d'oeuvre, conformément à l'article 1792-6 du code civil et à la jurisprudence ;

- la responsabilité contractuelle des architectes ne saurait être retenue dans la mesure où la réception met fin aux rapports contractuels en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et qu'aucun manquement à leur devoir de conseil lors des opérations de réception ne peut leur être imputé, et ce d'autant plus que le département de la Haute-Garonne avait accepté les risques d'éblouissement en connaissance de cause et était donc informé de l'existence des prétendus désordres antérieurement à la réception ;

- à cet égard, pas moins de quatre avis avec observations ont été diffusés, sans que la maîtrise d'ouvrage n'émette d'observation sur la luminosité et sur la nécessité d'une maille différente, alors même que les avis ont été rendus en janvier et février 2010, soit en période hivernale, période dont la maîtrise d'ouvrage soutient qu'elle est désormais critique ;

- l'éblouissement pouvait, dès l'origine du projet, être pris en compte et un avenant pouvait être conclu pour prévoir la mise en place de stores, ce que le département a choisi de ne pas faire ;

- ainsi, dès lors que le prétendu désordre était connu dès avant la réception de l'ouvrage, le département n'est pas fondé à solliciter la prise en charge de la mise en place de stores ;

- la garantie décennale des constructeurs ne peut pas davantage être invoquée dès lors que l'excès de luminosité ne compromet pas la solidité de l'ouvrage et ne le rend pas impropre à sa destination ;

- il en est de même de la prétendue surconsommation électrique découlant de l'excès de luminosité ;

- il sera par ailleurs noté l'absence de permanence du litige, les prétendus désordres n'étant invoqués qu'en présence de soleil hivernal (soleil rasant) et en fin de journée ;

- à titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour venait à examiner les responsabilités des constructeurs, il convient de relever que l'expert a identifié dans son rapport, outre la responsabilité des concluants, la responsabilité du conseil général de la Haute-Garonne, du bureau de contrôle Apave, du sous-traitant d'Eiffage Construction Midi Pyrénées, en l'occurrence la société Realco et son fournisseur, la société GKD Team France (sous-traitant du sous lot n° 4) et de Société Génie climatique Mispouillé (sous-traitant du sous lot n° 4) ;

- s'agissant des quantums, la cour ne pourra que limiter la somme allouée au titre de la mise en place des stores vénitiens à la somme indiquée dans le devis de la société Xamaca Glastint, soit la somme de 94 006,92 euros HT ;

- le prétendu préjudice de surconsommation électrique, chiffré par l'expert à la somme de 30 000 euros HT sans aucun justificatif, ne pourra donner lieu à aucune indemnité à verser au département ;

- s'agissant du partage de responsabilités, le devis produit étant de 94 006,92 euros HT, il convient de procéder à une distinction entre, d'une part, les travaux de reprise concernant l'éblouissement (79 905,88 euros HT) et les travaux de reprise concernant la surchauffe des bureaux (14 101,04 euros HT) ;

- en ce qui concerne les travaux de reprise concernant l'éblouissement, la cour devra, d'une part, laisser à la charge du département une partie des frais de mise en place des stores vénitiens compte tenu de sa parfaite connaissance de l'éblouissement lié au choix du système constructif et, d'autre part, laisser une part majeure de responsabilité à la charge du groupe Eiffage Construction Midi-Pyrénées du fait de ses sous-traitants, 10 % seulement devant incomber au groupement de maîtrise d'oeuvre, soit la somme de 7 990,59 euros HT ;

- compte tenu des compétences du bureau d'études, notamment en matière thermique, cette somme sera répartie par moitié entre la SCP Cirgue-Dargassies / SCP Espagno-Milani et la société Beterem Ingénierie, de sorte que les exposantes ne pourront être condamnées à verser au département une somme supérieure à 3 995,29 euros HT ;

- en ce qui concerne les travaux de réparation de la surchauffe des bureaux, seule une part de 20 % pourra être mise à la charge de la maîtrise d'oeuvre soit 2 820,21 euros HT, la moitié pouvant être laissée à la charge de la société Beterem compte tenu des compétences technique de ce bureau d'étude.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire enregistrés les 1er février 2017 et 28 juin 2017, la SAS Apave SudEurope, représentée par MeG..., conclut :

1°) à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel comme irrecevable en raison de son insuffisance de motivation ;

3°) à titre subsidiaire, au rejet de toutes les prétentions, fins et demandes formées à l'endroit de l'Apave, tant en ce qui concerne le phénomène d'éblouissement que celui de surchauffe dans le bâtiment ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, au rejet des demandes indemnitaires du département, tant matérielles qu'immatérielles, à la condamnation in solidum des sociétés Cirgue-Dargassies, Espagno-Milani, Beterem Ingénierie et Eiffage Construction Midi-Pyrénées à la relever et garantir intégralement de toute condamnation qui pourrait être prononcé à son encontre, et, à tout le moins, à ce que le montant de ladite condamnation soit limitée à la somme de 5 083 euros TTC ;

5°) à ce que soit mise à la charge in solidum du département de la Haute-Garonne, sociétés Cirgue-Dargassies, Espagno-Milani et Beterem Ingénierie la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête du département de la Haute-Garonne est irrecevable, dès lors que s'il explique en quoi le groupement de maîtrise d'oeuvre auraient engagé sa responsabilité, il n'est développé aucun moyen ni en droit ni en fait à l'endroit de l'Apave ès qualités de contrôleur technique ;

- s'agissant de la responsabilité, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement à son encontre, dès lors qu'elle ne vise que les seuls entrepreneurs ;

- le département ne saurait rechercher la responsabilité décennale des constructeurs, en application des principes inspirés des dispositions de l'article 1792 du code civil, concernant un vice apparent et non réservé à la réception, dont il avait été parfaitement alerté au stade APS et, plus précisément, au travers de l'étude thermique de la société Beterem, point que confirme l'expert judiciaire ;

- d'une part, la responsabilité du bureau de contrôle ne saurait être engagée en ce qui concerne le phénomène d'éblouissement dès lors que l'expert considère que ce désordre ne remet pas en cause la destination de l'ouvrage et n'indique pas au titre de quelle mission le contrôleur technique pourrait voir sa responsabilité recherchée et quel référentiel en fonction duquel le contrôleur technique exerce sa mission aurait été violé ;

- en particulier, la résille incriminée dans le cadre du présent litige ne fait à l'évidence pas partie des éléments et ouvrages soumis au contrôle de l'Apave au titre de la mission SEI, telle que définie par la norme NFP 03-100 ;

- d'autre part, en ce qui concerne phénomène de surchauffe, c'est à tort que l'expert judiciaire a cru devoir conclure que la responsabilité de l'Apave serait engagée au titre de sa mission Th (mission thermique), dès lors que le système constructif critiqué n'a pas été choisi par le contrôleur technique mais par le maître d'oeuvre et que le contrôleur technique n'avait pas à vérifier l'exactitude " des caractéristiques telles qu'elles sont mentionnées " dans la fiche technique du panneau litigieux ;

- s'agissant des réclamations indemnitaires, le département de la Haute-Garonne devra être débouté de sa demande de remboursement des frais la mise en oeuvre de stores vénitiens préconisée par l'expert dès lors qu'il ne s'agit pas de travaux de réparation mais de travaux destinés à compléter un ouvrage incomplet et qui auraient dû être financés, en tant que tels, par le maître de l'ouvrage dès l'origine ;

- en tout état de cause, seul le chiffrage retenu par l'expert judiciaire (à savoir la somme de 100 000 euros HT) devra être entériné par la cour, le département ne pouvant réclamer la somme de 140 000 euros HT tenant compte des contraintes liées aux travaux sur site occupé, qui ne sont aucunement justifiées ;

- la somme de 30 000 euros réclamée au titre de la surconsommation d'énergie pendant la période hivernale est contestable tant sur le principe que le quantum dès lors que, d'une part, l'expert judiciaire n'a mené aucune étude objective permettant de dire que cette surconsommation engendrait un coût de 3 000 euros par an et que, d'autre part, l'on ne voit pas pour quelles raisons une telle indemnisation devrait être fixée sur une période de dix ans puisque la mise en oeuvre des stores vénitiens devrait, très précisément, conduire à éviter toute surchauffe ;

- à titre subsidiaire, le bureau de contrôle est fondé à solliciter la garantie totale des intervenants dont les fautes sont caractérisées par l'expert judiciaire aux pages 44 et 45 de son rapport d'expertise judiciaire, à l'origine des deux désordres ;

- si, par impossible, il n'était pas fait droit dans son intégralité à cet appel en garantie, la cour limitera le montant de la condamnation susceptible d'être prononcée à l'endroit de l'Apave à 5 083 euros TTC.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 avril 2017, la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, représentée par MeF..., conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à défaut, si la cour devait entrer en voie de réformation, à ce qu'elle soit mise hors de cause, dès lors que les désordres relèvent d'un défaut de conception ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter la somme allouée au Département au titre des travaux de reprise à 100 000 euros HT et condamner in solidum les sociétés Cirgue-Dargassies, Espagno-Milani, Beterem Ingénierie, Génie climatique Mispouillé, Eurelec Midi-Pyrénées, Realco et Apave à le relever et garantir indemne de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de tout défaillant la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité ne saurait être retenue s'agissant du premier désordre, consistant en une luminosité trop importante dans le bâtiment, lequel est la cause du second désordre, à savoir la surchauffe des bureaux en hiver façade sud ;

- en effet, ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, la cause des désagréments était apparente lors de la réception de l'ouvrage, dès lors que le problème de luminosité était connu et avait été évoqué au cours des travaux tant par le maître d'oeuvre que le maître d'ouvrage, de sorte que la responsabilité des entreprises ne peut être recherchée ni sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, si sur celui de la responsabilité décennale ;

- les travaux dont le département demande réparation sont en réalités destinés à compléter un ouvrage incomplet et doivent être pris en charge par lui-même ;

- il s'agit d'un défaut de conception majeur, qui provient exclusivement du choix du matériau mis en oeuvre qui aurait dû être complété dès le départ par des stores vénitiens à l'intérieur du bâtiment, ce qui a d'ailleurs été reconnu par la maîtrise d'oeuvre ;

- dès lors, et contrairement à ce qu'a indiqué l'expert, aucune responsabilité ne saurait être reconnue à l'encontre de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et de la société KGD Team, le fournisseur ayant livré les parois vitrées à la société Realco, qui sont conformes aux exigences du CCTP ;

- à ce titre, la société Realco a proposé à l'architecte différents types de mailles dont certaines étaient plus fermées ;

- à titre subsidiaire, si la responsabilité de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées devait être retenue, à titre résiduel, ce ne pourrait être que pour un défaut de conseil de son sous-traitant (la société Realco) et du fournisseur de celui-ci (la société KGD Team) ;

- en conséquence, elle entend dans cette hypothèse être relevée et garantie indemne par les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre qui ont failli dans leur mission de conception du bâtiment, ainsi que par la société Apave, qui n'a émis aucune réserve sur les matériaux utilisés, ainsi que les sous-traitants (Génie climatique Mispouillé, Eurelec Midi-Pyrénées et Realco), astreints à une obligation de résultat envers l'entreprise principale ;

- s'agissant des quantums demandés, la cour limitera à 100 000 euros les sommes allouées au titre des travaux de reprise, dès lors que le département ni justifie ni de la nécessité de réaliser un phasage des travaux, ni de la réalité du surcoût engendré par ce phasage ;

- le surcoût lié à la consommation énergétique devra, à titre principal, être rejeté comme contestable dans son principe et son montant et, à titre subsidiaire, ramené à de plus justes proportions, puisque le préjudice ne peut être évalué sur dix ans.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2017, la société Forclum Sud-Ouest, représentée par MeF..., conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à défaut, si la cour devait entrer en voie de réformation, à ce qu'elle soit mise hors de cause, dès lors qu'aucune demande n'est formée à son encontre ;

3°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge du département la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le département n'entend pas engager sa responsabilité, laquelle n'a pas davantage été retenue par l'expert dans son rapport.

Par un mémoire en défense enregistré les 4 juillet 2017, la Société Soletanche Bachy France, représentée par MeC..., conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à défaut, si la cour devait entrer en voie de réformation, à ce qu'elle soit mise hors de cause, dès lors qu'aucune demande n'est formée à son encontre ;

3°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge du département la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- il convient de rappeler qu'elle est membre d'un groupement momentané d'entreprises conjointes qu'elle compose avec les sociétés Eiffage Construction Midi-Pyrenées et Forclum Sud-Ouest ;

- bien que le département n'entende pas engager sa responsabilité, il convient de rappeler également que sa responsabilité ne peut être retenue ni au titre de la problématique d'éblouissement, ni au titre de celle de surchauffe dès lors qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, suivant les conclusions de l'expert judiciaire, la cause des désordres invoqués était bien apparente lors des opérations de réception, de sorte que la responsabilité des entreprises ne peut être recherchée ni au titre de la garantie de parfait achèvement, ni au titre de la responsabilité décennale des constructeurs ;

- à cet égard, l'expert a relevé, au terme de son rapport, que la problématique de luminosité a effectivement été signalée au maître d'ouvrage par la maîtrise d'oeuvre en cours de chantier, de sorte que l'absence de réserve à réception a eu pour effet de purger toute possibilité de réclamation ultérieure ;

- si par extraordinaire la cour venait à réformer le jugement entrepris, elle constatera nécessairement que la responsabilité de la Société Soletanche Bachy France ne saurait être engagée dès lors que les désordres litigieux concernent exclusivement des problèmes liés à la luminosité trop importante à l'intérieur du bâtiment C et une mauvaise régulation thermique de ce bâtiment, qui ne se rattachent pas au champ de son intervention au sein du sous lot n° 2 portant sur les fondations profondes, gros oeuvre, limitée pour ce qui la concerne à l'exécution de travaux des parois moulées ;

- cette répartition des travaux est confirmée par les conditions particulières de la convention de groupement d'entreprises conjointes et notamment par le tableau de répartition des prestations entre les trois entreprises le composant, qui confirme que la Société Soletanche Bachy France n'est à aucun moment intervenue dans la réalisation des travaux faisant l'objet des réclamations formulées par le département de la Haute-Garonne dans sa requête ;

- ainsi, dès lors qu'il ressort par ailleurs de l'article 3 des conditions générales de la convention de groupement momentané d'entreprises conjointes que chacun des membres agit dans son intérêt propre, sans aucune mise en commun de biens ou d'industrie et que seul le membre du groupement, désigné comme mandataire aux conditions particulières, est solidaire de l'exécution par les autres membres de leurs obligations contractuelles, la Société Soletanche Bachy France ne pourrait assumer solidairement les conséquences des désordres affectant les travaux exécutés par un autre membre du groupement, elle n'est pas susceptible de voir imputer sa responsabilité découlant des désordres qui ont pu être constatés par l'expert judiciaire ;

- d'ailleurs, dès le début des opérations d'expertise, l'expert judiciaire s'est immédiatement interrogé sur la mise en cause de la Société Soletanche Bachy France et de l'entreprise Forclum Electricité ;

- au regard des conclusions du rapport de l'expert, le département de la Haute-Garonne et les autres intervenants à l'acte de construire n'ont formulé aucune demande de condamnation à l'encontre de la Société Soletanche Bachy France ;

- par conséquent, elle sera mise totalement hors de cause et aucune condamnation ne pourra être mise à sa charge à quelque titre que ce soit.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 juillet 2017, la Société Génie climatique Mispouillé (GCM), représentée par MeC..., conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;

2°) à titre subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de réformation, au rejet de l'ensemble des réclamations formées à son encontre ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, dire que la société GCM ne devra prendre à sa charge que 15 % du coût de l'installation de stores pour la seule surchauffe des bureaux côté sud avec une responsabilité de 35 %, soit une somme maximum de 750 euros ;

4°) à ce que soit mise à la charge in solidum de la société Eiffage, de la SCP Cirgue Dargassies et de la SCP Espagno Milani la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle n'est concernée que par le désordre relatif à la surchauffe des bureaux côté Sud, qui est dû en réalité au choix du maître d'oeuvre de construire un bâtiment entièrement vitré et à un apport calorifique du rayonnement solaire non compensé par le système d'occultation choisi ;

- de même, le choix d'un matériau non totalement occultant est la cause de l'inconfort ressenti par les occupants et la seule réparation envisagée par l'expert est la pose de stores, pour un montant de 15 000 euros, lequel est compris dans le total des réparations nécessaires pour remédier à la luminosité excessive des façades sud et ouest ;

- si l'expert reproche à la Société Génie climatique Mispouillé un défaut dans la régulation du chauffage qui ne permet pas de pallier la surchauffe en hiver, le département de la Haute-Garonne était informé de l'existence des désordres antérieurement à la réception, au cours de laquelle il n'a formulé aucune réserve, ce qui a mis fin aux relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les entrepreneurs sauf à rechercher la responsabilité contractuelle, que le tribunal a écartée à bon droit ;

- à titre subsidiaire, la Société Génie climatique Mispouillé, qui n'est que sous-traitant, ne peut voir sa responsabilité engagée ni sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ni sur de la responsabilité décennale, mais sur le seul fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, qui suppose la preuve d'une faute, laquelle n'est pas apportée en l'espèce par la société Eiffage ou le groupement de maîtrise d'oeuvre dans le cadre de leur appels en garantie respectifs ;

- à cet égard, la Société Génie climatique Mispouillé ne peut être tenue pour responsable de l'absence de performance de la résille choisie par le groupement de maîtrise d'oeuvre à l'issue des études thermiques réalisées par la société Beterem ni, davantage, de la conception de la façade, qui revenait à l'architecte ;

- la société GCM, qui a respecté le cahier des charges, ne peut voir sa responsabilité engagée ;

- à titre infiniment subsidiaire, GCM ne pourra être condamnée à verser au département que la somme maximale de 11 250 euros, compte tenu de sa part de responsabilité retenue par l'expert au titre des deux désordres ;

- au surplus, la surconsommation électrique évoquée par l'expert n'est pas justifiée.

Par ordonnance du 28 juin 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 7 août 2017.

Un mémoire présenté pour le département de la Haute-Garonne a été enregistré le 7 décembre 2017, postérieurement à la clôture d'instruction.

Par une lettre en date du 18 décembre 2017, le département de la Haute-Garonne a été invité par la cour, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, à verser au dossier le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché de travaux signé par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées en sa qualité de mandataire solidaire du groupement momentané d'entreprises conjointes.

Le 21 décembre 2017, le département de la Haute-Garonne a produit la pièce ainsi sollicitée.

Par une lettre du 8 février 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de l'action en garantie de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées contre ses trois sous-traitants, en l'occurrence les entreprises Génie climatique Mispouillé, Eurelec Midi-Pyrénées et Realco, avec qui elle est liée par un contrat de droit privé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code civil ;

- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 modifiée ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Axel Basset,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;

- et les observations de MeA..., représentant le département de la Haute-Garonne et MeD..., représentant les sociétés Cirgue Dargassies et Espagno-Milani.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de travaux d'extension de son hôtel départemental, consistant en la construction d'un troisième bâtiment (C), en plus des deux bâtiments A et B déjà existants, le département de la Haute-Garonne a, par acte d'engagement du 30 mai 2007, confié la maîtrise d'oeuvre de cette opération à un groupement solidaire composé des deux SCP d'architectes Cirgue Dargassies et Espagno Milani et du bureau d'études techniques Beterem Ingenierie, chargé d'une mission de base. La réalisation des travaux, divisés en 17 sous-lots techniques non allotis, a, par acte d'engagement daté du 2 décembre 2008 et signé respectivement les 12 et 13 février 2009, été confiée au groupement conjoint composé de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, mandataire solidaire dudit groupement, et des sociétés Forclum Sud-Ouest et Soletanche Bachy, pour un montant porté à la somme de 36 170 000 euros HT à la suite de la signature d'un avenant. La société Eiffage construction Midi-Pyrénées a sous-traité le sous-lot n° 14 " génie climatique, plomberie, désenfumage " au groupement d'entreprises comprenant les sociétés Génie climatique Mispouillé et Eurelec Midi-Pyrénées et le sous-lot n° 4 " façades, murs, rideaux, occultations, verrières " à la société Realco. Par acte d'engagement du 25 octobre 2007, la société Apave Sudeurope a été chargée du contrôle technique de cette opération. A la suite de la réalisation des travaux, initialement réceptionnés avec réserves le 1er août 2011, lesquelles ont été intégralement levées suivant procès-verbal en date du 18 novembre 2011, deux désordres, consistant en une luminosité excessive dans les bureaux du bâtiment C nouvellement construit, côtés sud et ouest, ainsi qu'une mauvaise régulation thermique, engendrant des températures inappropriées au confort des usagers dans le hall d'entrée et une surchauffe des bureaux situés sur la façade sud en hiver, ont été respectivement signalés au groupement d'entrepreneurs et au groupement de maîtrise d'oeuvre les 12 et 24 janvier 2012. A la suite du dépôt du rapport de l'expert, le 4 décembre 2013, désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 20 septembre 2012, le département de la Haute-Garonne a demandé à ce tribunal de condamner les constructeurs concernés à lui verser la somme de 203 320 euros TTC en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des désordres constatés, devant être prise en charge respectivement à hauteur de 40 155,70 euros TTC par le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum, 158 081,30 euros TTC par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et 5 083 euros TTC par la société Apave SudEurope. Le département de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 8 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les fins de non-recevoir opposées par les constructeurs :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-13 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV. (...) ". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. La SAS Apave SudEurope fait valoir que la requête d'appel du département de la Haute-Garonne est irrecevable, dès lors que si elle comporte des développements relatifs à la responsabilité du groupement de maîtrise d'oeuvre, il n'est développé aucun moyen de droit ou de fait à l'encontre de l'Apave ès qualités de contrôleur technique. Toutefois, il résulte des termes même de ladite requête, qui ne constitue pas la seule reproduction littérale du mémoire de première instance, qu'elle contient des moyens et des conclusions soumises au juge ainsi qu'une critique détaillée du jugement attaqué. Par suite, elle est suffisamment motivée.

4. En second lieu, le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel.

5. D'une part, la SAS Apave SudEurope a fait valoir en première instance que le président du conseil départemental de la Haute-Garonne ne dispose d'aucune habilitation pour agir en justice. Toutefois, il résulte de deux délibérations en date des 19 janvier 2012 et 30 avril 2015 produites devant le tribunal que l'assemblée délibérante de cette collectivité territoriale a délégué à son président " (...) la compétence d'intenter ou de défendre les actions en justice pendant la durée de son mandat pour les cas de contentieux suivants : (...) / 9) Les recours en recherche de responsabilité du fait de dommages liés à des travaux devant les juridictions administratives (Tribunal administratif, Cour administrative d'appel, Conseil d'Etat) (...) et ce, pour les procédures en référé et les procédures de fond. (...) ".

6. D'autre part, la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et les deux SCP d'architectes Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani ont fait valoir que les conclusions indemnitaires du département étaient irrecevables à défaut d'avoir été chiffrées. Toutefois, ni les articles R. 421-1 et R. 411-1 du code de justice administrative, ni aucune règle de procédure applicable devant la juridiction administrative n'imposent, à peine d'irrecevabilité, que des conclusions indemnitaires doivent être chiffrées devant les juges de première instance avant l'expiration du délai de recours contentieux. Il s'ensuit que si des conclusions tendant à une condamnation pécuniaire doivent en principe être chiffrées devant les juges de première instance, cette irrégularité est régularisable même après l'expiration du délai de recours contentieux tant qu'il n'a pas été statué sur la demande de l'examen du dossier de première instance. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'à la suite du dépôt du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, clôt définitivement le 4 décembre 2013, le département de la Haute-Garonne, qui avait indiqué dans sa requête introductive d'instance qu'il régulariserait sa demande en la chiffrant après le dépôt du rapport d'expertise, a, dans son mémoire complémentaire enregistré le 26 février 2016, chiffré ses prétentions indemnitaires à l'encontre des constructeurs concernés en se fondant sur les conclusions dudit rapport d'expertise. Dès lors, sa demande était recevable.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par les constructeurs tant en première instance qu'en appel doivent être écartées.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Le département de la Haute-Garonne demande en appel, d'abord, la condamnation des trois catégories de constructeurs à lui verser la somme totale de 203 320 euros TTC, devant être prise en charge respectivement à hauteur de 40 155,70 euros TTC par le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum, 158 081,30 euros TTC par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et 5 083 euros TTC par la société Apave Sudeurope, à titre principal, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité décennale et, à titre très subsidiaire, la condamnation du seul groupement de maîtrise d'oeuvre in solidum, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle à lui verser cette même somme de 203 320 euros TTC.

En ce qui concerne la mise en jeu de la garantie de parfait achèvement :

9. Aux termes de l'article 41 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché de travaux, approuvé par le décret du 21 janvier 1976 alors en vigueur et rendu applicable au marché de travaux litigieux signé par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées par l'article 3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) dudit marché : " (...) 6. Lorsque la réception est assortie de réserves, l'entrepreneur doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par la personne responsable du marché ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini au 1 de l'article 44. ". Aux termes du 1 de l'article 44 de ce même cahier, relatif au délai de garantie contractuelle : " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41.4, le titulaire est tenu à une obligation dite " obligation de parfait achèvement ", au titre de laquelle il doit : a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ; b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs, dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché ; (...) / Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. / L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. / A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. ".

10. En premier lieu, la garantie de parfait achèvement, qui court à compter de la réception de l'ouvrage et ne pèse que sur les entrepreneurs ayant participé aux travaux, s'étend à la reprise, d'une part, des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception et, d'autre part, de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l'année suivant la date de réception. Dès lors, les conclusions du département présentées sur ce fondement à l'encontre tant du groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre que de la société Apave Sudeurope, qui n'ont pas la qualité d'entrepreneurs, ne peuvent qu'être rejetées.

11. En second lieu, il résulte de l'instruction que dans le cadre de sa mission de conception du nouveau bâtiment C destiné à accueillir les usagers et les agents du département de la Haute-Garonne, la SCP d'architectes Cirgue-Dargassies a opté pour un parti architectural consistant en la construction d'un ouvrage intégralement recouvert de façades vitrées, puis retenu, à la suite de la réalisation d'une étude thermique confiée au bureau d'études techniques Beterem Ingenierie, le principe de la façade " double-peau dynamique " (ou pariéto-dynamique), laquelle repose sur la création de surfaces d'échange thermique entre l'extérieur et l'intérieur du bâtiment par l'intermédiaire d'un espace tampon situé en interface, traité et géré par le système de ventilation. Au sein de ces doubles façades ventilées (DFV) ont été intégrés des panneaux métalliques en fil d'inox doré comprenant une maille de forme rectangulaire, d'une largeur de 1,35 m par unité, dénommés résilles " brise soleil " et destinés à assurer le double rôle de protection contre le soleil et de régulation sur le plan thermique en réduisant l'apport calorifique à l'intérieur du bâtiment lié à l'ensoleillement. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, et il n'est d'ailleurs contesté par aucun des constructeurs concernés, que ces résilles rectangulaires et non inclinables mises en place dans les doubles façades ventilées ne font pas obstacle au phénomène de lumière rasante, particulièrement fréquent en hiver, conduisant, d'une part, à un éblouissement important à l'intérieur des bureaux du bâtiment C, côtés sud et ouest, auquel les agents, gênés fortement dans leur travail à certaines heures de la journée, ont tenté de remédier provisoirement en déposant des cartons sur les baies vitrées et, d'autre part, à des surchauffes dans les bureaux, que la climatisation ne permet de traiter qu'en été et non en hiver, par des températures extérieures froides. Il résulte de ce même rapport d'expertise que ces deux désordres ne pouvaient pas être décelés par un maître d'ouvrage normalement précautionneux lors des opérations de réception, le 1er août 2011, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, le phénomène de lumière rasant révélant l'inefficacité des résilles placées dans les doubles façades ventilées ne se produit qu'en période hivernale ou durant les intersaisons, et non en période estivale. A cet égard, ce n'est qu'à la suite de la mise en exploitation du bâtiment nouvellement construit, en novembre 2011, que les usagers et agents du service se sont plaint des problèmes de luminosité et de températures inappropriées. En outre, et contrairement à ce que font valoir les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani ainsi que la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, il n'est pas établi que le département de la Haute-Garonne aurait été pleinement informé en amont des carences affectant les résilles intégrées dans les doubles façades ventilées et qu'il aurait, dès lors, dû émettre des réserves sur ces résilles lors des opérations de réception. En effet, ni l'étude thermique de la Société Beterem ingénierie, qui se borne à mentionner que les Doubles Façades Ventilées peuvent, de manière générale, comporter un risque d'éblouissement ou de contrastes trop forts de luminance, ni les quatre avis de la SCP Espagno-Milani rendus les 5 novembre 2009, 22 janvier 2010, 26 février 2010 et 28 mai 2010 au sujet du lot n° 4 (façades, murs rideaux, occultations verrières), qui comportent diverses recommandations et remarques concernant les impostes, le châssis pompier, l'ouvrant à projection, les portes clarit et les stores, ne comportaient de mises en garde particulières sur ce point précis. Il résulte en revanche de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'entreprise Realco, sous-traitant de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées chargée du lot n° 4, a mis en oeuvre une toile métallique ne présentant pas les qualités occultantes requises et que son propre fournisseur, l'entreprise GKD Team France, n'a pas donné suffisamment d'informations sur les limites occultantes de la résille qu'il a pourtant préconisée. Dès lors que les dispositions de la loi du 31 décembre 1975 susvisée n'ont eu ni pour objet ni pour effet de créer à la charge des sous-traitants des obligations contractuelles vis-à-vis du maître de l'ouvrage, le titulaire du marché reste seul tenu, à l'égard de celui-ci, de l'exécution du contrat tant pour les travaux qu'il réalise lui-même que pour ceux qui ont été confiés à un sous-traitant. Par suite, et ainsi que le soutient à juste titre le Département appelant, la responsabilité de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées se trouve engagée à son égard en raison de l'inefficacité des résilles installées par son propre sous-traitant, l'entreprise Realco, laquelle est contractuellement comptable de la qualité des matériaux qu'elle utilise alors même que les travaux réalisés auraient été conformes au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et aux spécifications du bon de commande qui lui avait été adressé (CE, 383203, A, 17 juin 2015, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône).

12. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, le département appelant est fondé à rechercher la responsabilité de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées sur le fondement de la garantie de parfait achèvement prévue par les dispositions précitées de l'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché de travaux, en raison des désordres litigieux survenus et signalés dans le délai d'un an suivant la levée des réserves.

En ce qui concerne la mise en jeu de la garantie décennale des constructeurs :

13. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, sans qu'il soit nécessaire que ces désordres revêtent un caractère général et permanent (CE, N° 346189, B, 9 décembre 2011, Commune de Mouans-Sartoux). En application de ces principes, est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage, liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

14. Le département de la Haute-Garonne, qui n'établit ni même n'allègue que les deux désordres litigieux menaceraient la solidité de l'ouvrage, soutient que c'est à tort que le tribunal, qui a dénaturé le rapport de l'expert et insuffisamment motivé son jugement au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative, a considéré que la luminosité excessive et les températures trop élevées constatées dans certains bureaux des façades sud et ouest du nouveau bâtiment ne rendent pas cet ouvrage impropre à sa destination, dès lors que l'expertise diligentée par le tribunal administratif a conclu que tel était le cas. Il est vrai qu'à la page 44 de son rapport, l'expert a fait état de ce que " Même si le bureau de contrôle n'avait pas une mission de fonctionnement, l'impropriété à destination du système de parois vitrées liée à un référent non respecté pouvait être détectée par ses ingénieurs. (...) " et indiqué par ailleurs que le phénomène d'éblouissement provoquait une très forte gêne des agents travaillant dans les bureaux concernés lors des épisodes de rayonnement rasant, tout particulièrement certaines matinées. Toutefois, l'expert a expressément conclu, à la page 47 dudit rapport, que " l'éblouissement gênant ne remet pas en cause la destination de l'ouvrage ", que " L'inconfort dû aux variations de température ressenti par les usagers dans le hall n'affecte pas le fonctionnement de l'ouvrage " et que " La surchauffe côté Sud, en saison froide, nécessite la mise en service du système de rafraichissement ", ce qui " entraîne une consommation énergétique non prévue initialement ". Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le phénomène d'éblouissement, constaté au niveau des façades sud et ouest du bâtiment, en période hivernale, sur des plages horaires circonscrites de certaines journées ensoleillées, rendrait l'ouvrage impropre à sa destination, en dépit de l'inconfort objectif qu'il implique à ces occasions pour les agents du service. Il n'est pas davantage établi que le désordre lié à la surchauffe des bureaux situés sur la façade sud en hiver revêtirait un tel caractère. Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges, qui, contrairement à ce que soutient le département appelant, doivent être regardés comme ayant suffisamment motivé le jugement attaqué sur ce point, ont estimé que les conditions de mise en jeu de la garantie décennale des constructeurs n'étaient pas réunies. Il s'ensuit que les conclusions du département présentées sur ce fondement à l'encontre du groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre et de la société Apave SudEurope doivent être rejetées.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'oeuvre :

15. D'une part, la réception met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Elle interdit, par conséquent, après qu'elle a été prononcée, au maître de l'ouvrage de rechercher la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre et du contrôleur technique à raison des fautes qu'ils auraient commises dans la conception de l'ouvrage, la surveillance des travaux ou le contrôle technique. En revanche, la réception des travaux ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre soit recherchée à raison des manquements à leur obligation de conseil du maître de l'ouvrage au moment de la réception des travaux. L'obligation de conseil par l'architecte du maître de l'ouvrage au moment de la réception des travaux ne se limite pas à appeler l'attention de ce dernier sur les seules défectuosités susceptibles de rendre l'ouvrage impropre à sa destination et d'entrer à ce titre dans le champ de la garantie décennale, mais porte sur l'ensemble des malfaçons apparentes faisant obstacle à une réception sans réserve.

16. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 11, il ne résulte pas de l'instruction que l'insuffisance des propriétés occultantes des résilles faisant partie intégrante des doubles façades ventilées (DFV) préconisées et fournies par l'entreprise GKD Team France, à l'origine des deux désordres litigieux, aurait pu être décelée lors des opérations de réception, que ce soit par un maître d'ouvrage normalement précautionneux ou les membres du groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre qui ne peuvent, dès lors, être regardés comme ayant manqué à leur devoir de conseil vis-à-vis de celui-ci. Il s'ensuit que l'appelant ne saurait rechercher la responsabilité du groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.

En ce qui concerne la faute de la victime :

17. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 11, il ne résulte pas de l'instruction que le département de la Haute-Garonne aurait été informé en amont des limites occultantes des résilles intégrées dans les doubles façades ventilées, qu'il ne pouvait davantage déceler lors des opérations de réception de l'ouvrage. Dès lors, la société Eiffage construction Midi-Pyrénées n'établit pas que le département aurait, en sa qualité de maître d'ouvrage, commis une faute de nature à l'exonérer ne serait-ce que partiellement de sa responsabilité, en ne s'opposant pas à la mise en place des résilles défectueuses.

En ce qui concerne les préjudices dont le département demande réparation :

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, et il n'est d'ailleurs pas contesté par les constructeurs, que la suppression des deux désordres générés par l'inefficience des résilles, qui ne peuvent être remplacées dès lors qu'elles font partie intégrante de la double façade ventilée, requiert la mise en place de stores vénitiens sur les façades Sud et Ouest - lesquels, après divers essais réalisés dans les bureaux concernés du bâtiment C pendant les opérations d'expertise, ont recueilli le plus grand nombre de retours favorables des agents impactés par le phénomène d'éblouissement - pour un coût total chiffré par l'expert à 100 000 euros HT, incluant une quote-part au titre de la protection contre les apports calorifiques générés par les rayonnements solaires, estimée à 15 % par l'expert, soit 15 000 euros HT. D'une part, et contrairement à ce que fait valoir la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, il ne résulte pas de l'instruction que ces stores auraient dû être intégrés dès le départ au système constructif proposé et, partant, pris en charge par le maître d'ouvrage, si les résilles intégrées à la double façade ventilée avaient rempli de manière adéquate les missions d'occultation solaire et de régulation thermique qui leur étaient dévolues. Dès lors, la mise en place de ces stores ne saurait être regardée comme un enrichissement sans cause du maître d'ouvrage. D'autre part, en se bornant à faire état de ce qu'il sera contraint d'organiser un phasage de l'opération par bureaux, en fonction de leur occupation par les agents, " entrainant nécessairement l'allongement du délai d'exécution " et des coûts supplémentaires, le département de la Haute-Garonne ne démontre pas que la somme de 100 000 euros HT chiffrée par l'expert dans son rapport devrait être majorée de la somme de 40 000 euros HT qu'il mentionne, dont le calcul n'est au demeurant assorti d'aucune justification. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le département en condamnant la société Eiffage construction Midi-Pyrénées à lui verser la somme de 100 000 euros HT mentionnée par l'expert, alors même qu'ainsi que le font valoir la SCP Cirgue-Dargassies et la SCP Espagno-Milani, un devis de la société Xamaca Glastint avait chiffré le coût total de mise en place des stores vénitiens à la somme de 94 006,92 euros HT.

19. En second lieu, le département de la Haute-Garonne soutient que la nécessité de mettre en service le système de climatisation en hiver, pour limiter l'inconfort lié à la surchauffe des bureaux des bâtiments engendrée par le phénomène de rayonnement rasant se produisant à cette période de l'année, occasionne une surconsommation énergétique évaluée par l'expert à 3 000 euros par an, soit une somme totale de 30 000 euros HT sur une période de dix ans. Toutefois, et alors que ce montant de 3 000 euros ainsi mentionné par l'expert est dépourvu de tout élément de calcul et de justification comptable, il résulte de l'instruction que la mise en place des stores vénitiens a très précisément pour objet de remédier aux désordres constatés et, partant, d'en supprimer les effets, de sorte que le département n'établit pas l'existence et le caractère certain du préjudice dont il fait état au titre des dix années à venir. Dès lors, il ne saurait réclamer aucune somme à ce titre.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Haute-Garonne est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce que la société Eiffage construction Midi-Pyrénées soit condamnée, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, à lui verser la somme de 100 000 euros HT au titre des travaux de réparation des désordres litigieux, et à demander la réformation de ce jugement dans cette mesure.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

21. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil, créé par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / (...). ". Aux termes de l'article 1343-2 de ce code : " Les intérêt échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". Pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, y compris pour la première fois en appel. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

22. Le département de la Haute-Garonne a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 100 000 euros HT mentionné ci-dessus, à compter du 13 juillet 2012, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Toulouse, en l'absence de demande préalable antérieure. Le département de la Haute-Garonne a également demandé au tribunal la capitalisation des intérêts sur cette somme le 26 février 2016. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation du département à la date du 26 février 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

En ce qui concerne l'appel en garantie formé par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées contre ses sous-traitants :

23. La compétence de la juridiction administrative, pour connaître des litiges nés de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux ne s'étend pas à l'action en garantie du titulaire du marché contre son sous-traitant avec lequel il est lié par un contrat de droit privé (TC, 4029, B, 16 novembre 2015, Métropole européenne de Lille c/ Société Strabag Umweltangen Gmbh et autres). Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées tendant à être garantie de toutes condamnations pouvant être prononcées à son encontre par ses trois sous-traitants, en l'occurrence les entreprises Génie climatique Mispouillé, Eurelec Midi-Pyrénées et Realco, comme étant présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne les appels en garantie croisés formés par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani et la SAS Apave SudEurope :

24. D'une part, aux termes de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation : " Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil, reproduits aux articles L. 111-13 à L. 111-15, qui se prescrit dans les conditions prévues à l'article 2270 du même code reproduit à l'article L. 111-20. " Aux termes de l'article L. 111-23 du même code : " Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. Il intervient à la demande du maître de l'ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d'ordre technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes. ". Il résulte de l'acte d'engagement signé le 31 août 2007 par la SAS Apave SudEurope qu'elle était chargée, d'une part, de deux missions de base portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d'équipements indissociables (L) et la sécurité des personnes dans les établissements recevant du public (SEI) ainsi que, d'autre part, des missions complémentaires portant sur la solidité spécifique des existants (LE), l'accessibilité des constructions pour les personnes handicapées (Hand), l'isolation acoustique des bâtiments (PH), les équipements et caractéristiques thermiques des bâtiments (TH) et la solidité des ouvrages avoisinants (AV).

25. D'autre part, il résulte de l'acte d'engagement signé le 26 février 2007 par les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani et le bureau d'études Beterem Ingénierie que le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre s'est vu confier diverses missions de base comprenant notamment la mission APS (études d'avant-projet sommaire), en vertu de laquelle il devait proposer les dispositions techniques pouvant être envisagées, ainsi que la mission PRO (études de projet) en vertu de laquelle il lui incombait de préciser la nature et les caractéristiques des matériaux et les conditions de leur mise en oeuvre.

26. Aucune règle de procédure ni aucun principe n'interdit, en cas de dommages imputables à plusieurs personnes, de faire droit aux appels en garantie présentés par la personne seule condamnée à indemniser le maître d'ouvrage contre les autres personnes à l'origine des dommages affectant l'ouvrage en cause, sur le fondement de leur responsabilité quasi délictuelle, dans le cadre de la répartition de la charge finale de l'indemnité (CE, N° 261478, 8 juin 2005,VILLE DE CAEN c/ M.E...).

27. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 11, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les désordres litigieux trouvent leur origine dans l'insuffisance des propriétés occultantes des résilles situées dans les doubles façades ventilées, posées par l'entreprise Realco, sous-traitant de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées chargée du lot n° 4, et fournies par l'entreprise GKD Team France, laquelle n'a pas donné suffisamment d'informations sur les limites occultantes desdites résilles qu'elle a pourtant préconisées, ce qui a conduit l'expert a relever que " le défaut de conseil du fabricant est avéré, pour ne pas dire majeur ". Dès lors, la responsabilité de la société Eiffage construction Midi-Pyrénées se trouve engagée de manière prépondérante. Il résulte également de l'instruction que les désordres litigieux sont imputables, dans une moindre mesure, au groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre, qui n'a pas suffisamment pris en compte les faibles performances occultantes de la résille dans le cadre des études thermiques approfondies du mur-rideau de la façade dont il était chargé, aux différents stades d'avancement du projet. A cet égard, la société Eiffage construction Midi-Pyrénées fait valoir sans aucun contredit utile que la société Realco avait proposé à l'architecte différents types de mailles dont certaines étaient plus fermées. Dès lors, le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre a lui-même commis une faute dans l'exécution des missions APS (études d'avant-projet sommaire) et PRO (études de projet) susmentionnées au point 25. Enfin, si - ainsi qu'elle le fait valoir - la SAS Apave SudEurope avait été investie de deux missions de base portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d'équipements indissociables (L) et la sécurité des personnes dans les établissements recevant du public (SEI), lesquelles sont étrangères aux désordres litigieux, en revanche, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que ses ingénieurs n'ont émis aucune réserve sur la qualité des résilles intégrées dans les doubles façades ventilées, alors que le contrôleur technique était chargé d'une mission complémentaire portant sur les équipements et caractéristiques thermiques des bâtiments dont s'agit (TH). Dès lors, la SAS Apave Sud Europe, qui a commis une faute dans le cadre de cette dernière mission, ne saurait solliciter sa mise hors de cause.

28. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues en fixant à 60 % la part incombant à la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, 30 % la part incombant au groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum et 10 % celle incombant à la société Apave.

29. Il résulte de ce qui précède que la société Eiffage construction Midi-Pyrénées doit être condamnée à garantir le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum et la société Apave à hauteur de 60 % des condamnations prononcées à son encontre aux points 20 et 22 du présent arrêt. Le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum garantira la société Eiffage construction Midi-Pyrénées et la société Apave à hauteur de 30 % de ladite condamnation. La société Apave garantira le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum et la société Eiffage construction Midi-Pyrénées à hauteur de 10 % de cette même condamnation.

En ce qui concerne l'appel en garantie formé par les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani à l'encontre du bureau d'études techniques Beterem Ingenierie :

30. Les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani demandent à être relevées indemnes, à hauteur de la moitié des condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre, par le bureau d'études techniques Beterem Ingenierie, compte tenu notamment de sa compétence en matière thermique. Le bureau d'études techniques Beterem Ingenierie, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été lié avec les deux autres membres du groupement solidaire par une convention répartissant les tâches à accomplir, ne conteste pas cette affirmation en appel à défaut d'avoir produit un mémoire en défense. Il résulte également de l'instruction que l'expert a retenu des manquements à la fois du bureau d'études thermiques et de l'architecte concepteur de la façade du bâtiment. Dès lors, il y a lieu de faire droit à l'appel en garantie formé par les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à leur encontre aux points 28 et 29 ci-dessus.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La société Eiffage construction Midi-Pyrénées est condamnée à verser au département de la Haute-Garonne, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, la somme de 100 000 euros HT au titre des travaux de mise en place des stores vénitiens dans le bâtiment C.

Article 2 : La condamnation prononcée à l'article 1er ci-dessus portera intérêt au taux légal à compter du 13 juillet 2012, date d'enregistrement de la demande du département de la Haute-Garonne devant le tribunal administratif de Toulouse, et les intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter du 26 février 2016, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, tendant à être garantie de toutes condamnations prononcées à son encontre par les entreprises Génie climatique Mispouillé, Eurelec Midi-Pyrénées et Realco, sont rejetées comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 4 : La société Eiffage construction Midi-Pyrénées est condamnée à garantir le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum et la société Apave à hauteur de 60 % des condamnations prononcées à son encontre aux points 1 et 2 ci-dessus.

Article 5 : Le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum est condamné à garantir la société Apave et la société Eiffage construction Midi-Pyrénées à hauteur de 30 % des condamnations prononcées aux points 1 et 2 ci-dessus.

Article 6 : La société Apave est condamnée à garantir le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre in solidum et la société Eiffage construction Midi-Pyrénées à hauteur de 10 % des condamnations prononcées aux points 1 et 2 ci-dessus.

Article 7 : Le bureau d'études techniques Beterem Ingenierie est condamné à garantir les SCP Cirgue-Dargassies et Espagno-Milani à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à leur encontre.

Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 9 : Le jugement n° 1203488 du 8 juin 2016 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Haute-Garonne, à la société Eiffage construction Midi-Pyrénées, au bureau d'études techniques Beterem Ingenierie, à la SCP Cirgue-Dargassies, à la SCP Espagno-Milani, à la société Apave SudEurope, à la Société Génie climatique Mispouillé, à la société Forclum Sud-Ouest, à l'entreprise Realco, à la Société Soletanche Bachy France et à l'entreprise Eurelec Midi-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 16 février 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président assesseur,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mars 2018.

Le rapporteur,

Axel BassetLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 16BX02410


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