Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 juin 2017 par lequel le préfet de la Corrèze a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1700870 du 2 novembre 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 décembre 2017, MmeB..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 2 novembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
S'agissant du refus de séjour :
- le préfet a commis une erreur d'appréciation au regard du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en édictant cette décision ; elle réside en France depuis plus de six ans, elle est marié depuis le 21 juillet 2017 à un compatriote titulaire d'une carte de séjour de dix ans avec lequel elle vit depuis septembre 2015, ils ont un enfant né en France le 11 janvier 2017 ;
- la même décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et comporte une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ; elle vit actuellement en France avec son époux et sa fille alors qu'elle est démunie de toute attache au Maroc ; elle n'était pas mariée au jour de la décision du préfet, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier des cas d'ouverture de l'immigration familiale ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour sur lequel elle se fonde ;
- elle méconnaît son droit d'être entendue ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui est de continuer de vivre avec ses deux parents ;
S'agissant de la fixation du pays de renvoi :
- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire sur laquelle elle se fonde.
Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2018, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 12 décembre 2017 ; la clôture d'instruction a été fixée au 18 janvier 2018 à 12h00.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aymard de Malafosse,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissante marocaine, est entrée en France le 10 août 2011 de manière irrégulière. Elle a demandé le 31 mars 2017 au préfet de la Corrèze son admission au séjour au titre de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 7 juin 2017, le préfet a rejeté sa demande, et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire en fixant le pays de renvoi. Mme B...fait appel du jugement du 2 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
3. Mme B...soutient que le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouve désormais en France où elle réside depuis six ans et où elle vit avec son époux, également ressortissant marocain, titulaire d'une carte de résident, et leur fille née le 11 janvier 2017. Toutefois, son mariage est postérieur à l'arrêté attaqué et la requérante ne justifie pas de la réalité d'une vie commune qui serait antérieure au mois de septembre 2016. S'il ressort des pièces du dossier que son époux a exercé une activité professionnelle d'élagueur avant de subir un accident du travail et qu'il a désormais une capacité de travail réduite, il ne ressort pas en revanche de ces mêmes pièces qu'il aurait en France des attaches professionnelles, familiales ou privées telles qu'il aurait vocation à y demeurer. La requérante ne démontre pas avoir développé en France des liens d'une intensité particulière en dehors de sa cellule familiale. Elle ne prouve par aucun moyen son absence d'attaches familiales au Maroc où elle a par ailleurs résidé jusqu'à l'âge de 20 ans. Compte tenu du jeune âge de sa fille, et du fait que son mari est également ressortissant marocain, aucune circonstance particulière ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue au Maroc. Enfin, la requérante est entrée en France de manière irrégulière et s'est maintenue dans cette situation durant la quasi-totalité de son séjour puisque sa première demande de régularisation est celle ayant abouti à l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, le refus de séjour contesté ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. En lui opposant ce refus, le préfet de la Corrèze n'a donc méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le refus de séjour n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
4. Au termes de l'article L. 313-14 alinéa 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 ".
5. Eu égard à la situation de Mme B...telle qu'elle a été exposée au point 3, le préfet ne peut être regardé comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la requérante ne faisait pas état de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
6. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision portant refus de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
8. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Or, il ressort des pièces du dossier que le préfet a informé Mme B... de la possibilité de présenter toute information complémentaire à sa demande qu'elle juge utile. Mme B...a d'ailleurs fait usage de cette possibilité par un courrier adressé au préfet le 28 avril 2017. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que Mme B...aurait été privée du droit d'être entendu qu'elle tient du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante dont serait entachée la décision contestée.
10. L'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 stipule : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, aucune circonstance, compte tenu notamment de la nationalité de l'époux de l'intéressée et de l'âge de l'enfant, n'empêche la cellule familiale de se reconstruire hors de France. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance, par la décision portant obligation de quitter le territoire, du 1 de l'article 3 de la convention sur les droits de l'enfant doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait dépourvue de base légale doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 7 février 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 8 mars 2018.
Le président-assesseur,
Laurent POUGET
Le président-rapporteur,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03770