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01/03/2018 | FRANCE | N°15BX03146

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 01 mars 2018, 15BX03146


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commission départementale d'aménagement cinématographique (CDACI) de la Charente a, par une décision du 3 février 2015, autorisé la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Raychamond à procéder à la création d'un établissement de spectacles cinématographiques de 10 salles et 1 922 places à l'enseigne " Méga CGR " sur la commune de Champniers.

Par des recours enregistrés sous le n° 245, la commune d'Angoulême (recours n° 245 A), les associations ACOR (association des cinéma

s de l'ouest pour la recherche, n° 245 B) et " Ciné Passion 16 " (n° 245 C) ainsi que la com...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commission départementale d'aménagement cinématographique (CDACI) de la Charente a, par une décision du 3 février 2015, autorisé la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Raychamond à procéder à la création d'un établissement de spectacles cinématographiques de 10 salles et 1 922 places à l'enseigne " Méga CGR " sur la commune de Champniers.

Par des recours enregistrés sous le n° 245, la commune d'Angoulême (recours n° 245 A), les associations ACOR (association des cinémas de l'ouest pour la recherche, n° 245 B) et " Ciné Passion 16 " (n° 245 C) ainsi que la commune de La Rochefoucauld et la communauté de communes 4B sud Charente (n° 245 D) ont demandé à la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACI) d'annuler cette autorisation.

Par une décision en date du 30 juin 2015, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a admis ces recours et refusé d'autoriser ce projet.

Procédure devant la cour :

Par une requête conjointe enregistrée au greffe de la cour le 24 septembre 2015, un mémoire enregistré le 1er mars 2017 et régularisé le 2 mars 2017 et une production de pièce enregistrée le 10 novembre 2017, la commune de Champniers et la communauté de communes de Braconne et Charente, prises en les personnes de leur maire et président en exercice, représentées par MeB..., demandent à la cour :

1°) d'annuler la décision du 30 juin 2015 de la Commission nationale d'aménagement cinématographique ;

2°) d'enjoindre à cette commission de réexaminer le projet dans un délai de quatre mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à leur verser à chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les collectivités soutiennent que :

- leur requête est recevable dès lors qu'elle a été enregistrée dans les délais légaux et qu'elles justifient d'un intérêt pour agir en tant que commune d'implantation et de concédant de la ZAC des Montagnes Ouest dans laquelle doit être édifié le projet. L'administration n'a au demeurant pas produit l'avis de réception du courrier adressé à la communauté de communes. Leur recours ne peut être considéré comme tardif comme le soutient la commission. Si celle-ci prétend que leurs délibérations énonçant la date de notification de la décision au 24 juillet 2017 ne sauraient suffire à établir que la notification est bien intervenue à cette date, elle n'apporte aucun élément en sens contraire ;

- la décision est irrégulière en l'absence de mentions, notamment dans les visas, permettant de vérifier la composition de la commission ;

- le pétitionnaire n'a pas été à même de répondre aux observations sur le projet présentées par le président du conseil départemental dans une lettre adressée au président de la commission le 12 juin 2015, visée dans la décision en litige, et dont il n'a pas eu connaissance du contenu, en violation du principe du contradictoire garanti par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, applicable aux décisions de la commission. La commission ne saurait se prévaloir de ce que les observations du conseil départemental seraient identiques aux moyens développés par les auteurs du recours ;

- la décision de la commission n'est pas suffisamment motivée. Sur les onze considérants de la décision, seuls trois concernent véritablement l'appréciation des caractéristiques du projet, les autres étant relatifs au contexte local, à l'impact des deux projets généralistes et grand public déjà autorisés, notamment en matière de complémentarité des programmations, et à l'impact du projet sur le déséquilibre des zones commerciales entre elles et sur l'animation de la vie urbaine d'Angoulême, ces deux derniers motifs ne constituant au demeurant pas des critères d'appréciation des projets en matière cinématographique. Les trois autres motifs sont fondés sur des suppositions par ailleurs dénuées de précision sur l'atteinte portée aux cinémas existants en matière d'accès aux films ou sur l'absence de protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique ;

- le projet en litige répond au critère de diversité cinématographique et la commission a entaché sur ce point sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. La programmation prévue étant essentiellement généraliste, l'impact du projet sur les cinémas " Art et essai " apparaît limité. Par ailleurs, des engagements, homologués par le centre national du cinéma et de l'image animée, ont été pris sur le fondement des articles L. 212-19 et L. 212-20 du code du cinéma et de l'image animée permettant de garantir la pérennité des établissements Art et Essai existants, y compris ceux implantés dans le centre-ville d'Angoulême, ce que le rapporteur devant la commission avait d'ailleurs relevé. La commission s'est en outre abstenue de préciser en quoi ces engagements ne permettraient pas d'assurer le maintien du pluralisme dans ce secteur ;

- les difficultés d'accès aux films sur lesquelles la commission nationale a fondé son refus ne présentent qu'un caractère hypothétique et la position du rapporteur sur ce point n'est absolument pas étayée. Les autres exploitants auditionnés par le rapporteur n'ont à aucun moment fait mention de telles difficultés. Ainsi, la commission ne pouvait sans erreur manifeste déduire de la seule implantation de dix nouvelles salles dans ce secteur qu'elle aurait des " effets prévisibles négatifs " notamment en matière d'accès aux films ;

- le projet présente d'incontestables effets positifs au regard de la diversité de l'offre cinématographique, contrairement à ce qu'a estimé la commission. Il répond aux attentes des spectateurs du secteur, contribuera à son animation culturelle et réduira le déficit de fréquentation et d'équipement constaté par le rapporteur. Il n'existe en effet que cinq établissements, auxquels s'ajoute un sixième récemment autorisé sur la commune de Garat mais non encore ouvert au public, pour un total de 22 écrans en comptant les six prévus sur le dernier complexe autorisé. Sur la zone primaire de la zone d'influence cinématographique, seulement treize écrans sont dénombrés, tous situés à Angoulême, laquelle commune ne représente qu'un tiers de la population de la zone. L'indice de fréquentation des salles de cinéma, même particulièrement élevé, ne saurait par lui-même révéler à lui seul un quelconque risque de déséquilibre, le projet permettant au contraire d'approcher le taux d'équipement de la zone et l'indice de fréquentation des moyennes nationales ;

- la commission a estimé à tort que la réalisation d'un établissement de type Art et essai de six salles sur la commune de Garat, au sud-est d'Angoulême, serait incompatible avec un projet de multiplexe au nord de l'agglomération, dont l'enseigne, " CGR " est par ailleurs déjà présente en centre-ville. La commission s'est bornée à relever l'existence d'une autorisation pour l'établissement de Garat sans en tirer de conséquences légales quant à l'offre de programmation de celui-ci, alors qu'il s'avère que les différences présentées par les deux projets en matière de programmation conduisent nécessairement à ce que le spectateur puisse choisir entre des genres cinématographiques différents. En outre, une autorisation d'aménagement cinématographique ne peut être refusée au motif qu'un autre projet serait également sur le point de voir le jour à proximité. En défendant l'activité future d'un cinéma déjà autorisé, la commission a méconnu l'obligation qui lui incombait de se prononcer sur la seule légalité du projet au regard des critères fixés par le code du cinéma et de l'image animée. Par ailleurs, la circonstance qu'une enseigne cinématographique soit déjà présente en centre-ville ne saurait, par elle-même, faire obstacle à la réalisation d'un nouveau projet situé au sein de la même agglomération. Ainsi, les divers engagements pris pour la conservation du cinéma du centre-ville d'Angoulême ne sauraient être remis en cause. Par ailleurs, l'opposition entre les cinémas dits " généralistes " et les cinémas classés " Art et Essai ", n'est pas pertinente dès lors qu'il est constant que l'installation d'un aménagement cinématographique de type " multiplexe " n'a qu'un effet marginal sur la fréquentation des seconds ;

- la localisation du projet en dehors du centre-ville et la prétendue atteinte à l'animation de la vie urbaine d'Angoulême ne pouvaient permettre de justifier un refus d'autorisation. Ce dernier motif, dès lors que le critère pour les centres commerciaux n'est pas applicable aux établissements cinématographiques, est totalement inopérant. Par ailleurs la création d'un cinéma situé dans une zone urbanisée, proche du centre-ville et pourvue d'équipements publics et d'habitations satisfait aux objectifs d'aménagement culturel du territoire et de rééquilibrage de l'offre cinématographique, et notamment d'accès par la population locale rurale, prévus par la loi, ce que le rapporteur devant la commission a aisément admis pour le projet en cause. Le site d'implantation est facilement accessible, notamment par la population rurale, au croisement de deux routes nationales et à proximité d'une zone d'activités abritant également d'autres activités de loisirs et dotée d'un parc de stationnement répondant pleinement aux attentes de cette population ;

- les conditions limitées de desserte d'un projet par les transports en commun ne sont jamais de nature à justifier, à elles seules, un refus d'autorisation, notamment lorsque le projet comme en l'espèce, aura un impact limité sur les flux de circulation des véhicules automobiles. Par ailleurs, le pétitionnaire a justifié dans son dossier de demande la mise en place d'une ligne privée de minibus électriques gratuits reliant la gare d'Angoulême à la ZAC ;

- le critère de la loi relatif à l'insertion paysagère des projets ne doit pas conduire à porter une appréciation personnelle, et nécessairement subjective, sur un parti architectural, mais uniquement à s'assurer de la bonne insertion du projet dans son environnement. Le projet est intégré dans la ZAC des Montagnes Ouest et respecte le cahier des prescriptions architecturales et paysagères s'imposant aux acquéreurs des terrains de cette ZAC. La direction départementale des territoires a apprécié très positivement les qualités environnementales et architecturales du projet. Au regard de la conception architecturale et paysagère du projet, ainsi que des aménagements paysagers prévus, de l'absence de tout caractère remarquable de l'environnement et des constructions environnantes, la CNACI ne pouvait sans erreur refuser l'autorisation sollicitée au motif que " l'insertion du projet dans son environnement reste largement perfectible " ;

- l'intervention volontaire de l'association des cinémas de l'Ouest est irrecevable dès lors qu'elle ne s'associe à aucun moment aux conclusions de la commission nationale.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2015, la Commission nationale d'aménagement cinématographique conclut au rejet de la requête.

La Commission fait valoir que :

- si les collectivités appelantes soutiennent que la décision attaquée leur a été notifiée par courrier le 24 juillet 2015, elles ne l'établissent pas. La mention de cette date dans les délibérations de leurs assemblées respectives ne saurait suffire à le démontrer et il ressort par ailleurs de l'accusé de réception de la décision en litige que le pli contenant cette décision a été distribué à la commune le 21 juillet 2017. La communauté de communes de Braconne et Charente ne produit aucun élément prouvant que la date de notification de la décision litigieuse serait postérieure au 23 juillet 2015. La requête est donc tardive et par suite irrecevable, du moins pour ce qui concerne la commune de Champniers ;

- comme l'a encore récemment précisé la jurisprudence, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'impose que ses décisions attestent du respect de la règle du quorum fixée par l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée. La simple lecture du procès-verbal de la réunion du 30 juin 2015 permet au demeurant de constater que ce quorum était atteint dès lors que cinq membres de la commission ont assisté à la séance ;

- contrairement aux affirmations des requérantes, aucune disposition ni aucun principe ne lui impose de procéder à une instruction contradictoire avant de rendre ses décisions. Par ailleurs, le grief relatif à la modification par la commission de la zone d'influence cinématographique du projet est sans objet, dès lors que la commission s'est fondée sur la seule délimitation présentée par le pétitionnaire. En tout état de cause, le pétitionnaire et les appelantes elles-mêmes ont pu faire valoir oralement leurs observations lors de la séance au cours de laquelle elles ont été auditionnées. Les observations soulevées par le président du conseil départemental faisant notamment état d'une sous-estimation de la zone d'influence cinématographique, et de son inquiétude concernant la fréquentation des cinémas situés dans le centre-ville d'Angoulême ont fait l'objet d'un large débat devant la commission. Le pétitionnaire a pu également faire valoir ses éléments en réponse au cours de son audition ;

- la décision est fondée sur huit motifs tirés de l'examen du dossier au regard des principes et critères fixés respectivement par les articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée. Cette décision ne saurait dans ces conditions être regardée comme insuffisamment motivée ou fondée sur de simples suppositions, alors qu'elle a fait mention d'éléments de fait développés dans le rapport d'instruction qu'elle n'est pas tenue de détailler ;

- la commission a exactement apprécié le projet au regard tant des objectifs que des critères et indicateurs posés par la loi et a rendu une décision conforme à ceux-ci.

- le groupe CGR exploite déjà dans le centre-ville d'Angoulême un multiplexe dont il s'est engagé à maintenir l'activité, proposant une programmation généraliste. Le projet en litige aura pour effet d'entraîner une surexposition des films " généralistes " pouvant potentiellement être à la fois programmés en centre-ville et en périphérie, sans contribuer pour autant à améliorer la diversité de l'offre cinématographique sur la ZIC. En outre, les cinémas de proximité classés " Art et Essai " situés en sous-zone secondaire et qui proposent également une part importante de séances " généralistes " dans le but de maintenir leur équilibre économique, ne pourront qu'en pâtir. L'engagement de programmation formulé spécifiquement dans le cadre du projet par le groupe CGR de " ne pas nuire au bon fonctionnement des cinémas d'art et essai notamment sur Angoulême ", n'aura qu'une efficacité très limitée. Par ailleurs, les films " d'art et essai porteurs " dont le pétitionnaire envisage la programmation pour une part certes modeste, sont déjà proposés sur trois points de diffusion, dont deux sont situés au sein de la sous-zone primaire de la zone d'influence cinématographique du secteur. Le pétitionnaire ne peut donc soutenir que l'objectif de diversité de l'offre cinématographique serait ainsi respecté ;

- l'ouverture d'un multiplexe supplémentaire en zone primaire risque, d'une part, de restreindre l'accès des cinémas d'Art et Essai aux films en sortie nationale, lequel est déjà considérablement limité comparé au cinéma CGR existant en centre-ville d'Angoulême et, d'autre part, de retarder davantage l'accès des cinémas situés en sous-zone secondaire aux films qui seront sortis en première semaine d'exposition dans les trois multiplexes de la zone. Les difficultés d'accès aux films pour les cinémas d'Art et d'Essai sont ainsi loin d'être des suppositions sans fondement comme le soutiennent les appelantes. Le rapporteur devant la commission faisait d'ailleurs état de ces difficultés, déjà présentes dans le recours des associations devant la commission nationale ;

- si, sur la base des estimations fournies par le demandeur, le projet doit permettre au groupe CGR d'augmenter de 145 000 le nombre d'entrées réalisées sur la zone, ce bénéfice apparaît relativement limité eu égard aux effets négatifs du projet sur les cinémas de proximité établis dans la ZIC, et en particulier à la perte d'attractivité importante que subiront les cinémas du centre-ville d'Angoulême. Par ailleurs, le critère relatif à la densité d'équipement en salles de spectacles cinématographiques de la zone n'est plus prévu par la loi, quand bien même le taux d'équipement dans la ZIC demeurerait perfectible ;

- la mention dans la décision en litige du projet de la création de six salles autorisée à Garat a pour seul but de prendre en compte l'évolution prévisible de l'offre de films et de l'indice de fréquentation observés sur la zone d'influence cinématographique. A aucun moment n'est invoqué un supposé abus de position dominante de la part du groupe CGR pour justifier le refus d'autorisation contesté ;

- les services de l'Etat ont unanimement émis des critiques sérieuses sur la localisation du projet, au regard du critère de l'aménagement culturel du territoire, en soulignant notamment l'offre surdimensionnée du projet, lequel ne contribue pas à la revitalisation du tissu commercial, ni à la préservation ou à l'attractivité du centre urbain d'Angoulême, déjà fortement pénalisée par l'ouverture du multiplexe de Garat. Enfin, le niveau de confort offert par l'ensemble des cinémas apparaît tout à fait satisfaisant, à la suite de travaux de modernisation effectués ces dernières années dans les salles existantes ;

- si le pétitionnaire a effectivement évoqué dans son dossier de demande la mise en place d'une navette privée gratuite reliant la gare d'Angoulême à la ZAC des Montagnes Ouest, aucune précision n'a toutefois été apportée quant à son trajet, ses arrêts ou sa fréquence de passage. En outre, il ne justifie pas davantage des démarches entreprises auprès des collectivités locales pour la mise en oeuvre de cette desserte, laquelle n'est en conséquence absolument pas certaine et ne peut être prise en compte pour l'appréciation de la qualité environnementale du projet au sens de l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée. En tout état de cause, la desserte en transports en commun est jugée notoirement insuffisante, dès lors notamment qu'aucune ligne urbaine ne dessert actuellement le site du projet ;

- la commission n'a fait que constater, au regard des éléments contenus dans le rapport de présentation et l'avis de l'architecte des bâtiments de France, que l'insertion du projet dans son environnement, déjà très dégradé, était largement perfectible. Ainsi il a été noté que le projet ne présente pas de recherche particulière en matière d'architecture, d'insertion ou d'innovation, qu'il relève d'une architecture standard et ordinaire que l'on retrouve dans toutes les périphéries des grandes agglomérations, sans référence à l'architecture ou aux matériaux locaux. De plus, le stationnement des véhicules envisagé en toiture privilégie la fonctionnalité du bâtiment au détriment de la qualité, et la signalétique y est très présente. Compte tenu de ces éléments, il ne peut lui être reproché d'avoir commis une erreur manifeste d'appréciation sur ce point.

L'association ACOR a présenté des observations dans un mémoire enregistré le 4 avril 2016.

Par ordonnance du 2 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 12 avril 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- les observations de Me B...représentant la commune de Champniers et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême et celles de Me A...représentant la SARL Raychamond.

Considérant ce qui suit :

1. Après deux refus opposés en 2008 et 2012 à de précédents projets, la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Raychamond a obtenu de la commission départementale d'aménagement commercial de la Charente statuant en matière d'équipement cinématographique, par une décision du 3 février 2015, l'autorisation de procéder à la création d'un établissement de spectacles cinématographiques de 10 salles et 1 922 places à l'enseigne " Méga CGR " au sein de la commune de Champniers, dans la ZAC des Montagnes Ouest, au Nord d'Angoulême. Saisie par les associations " Ciné Passion 16 " et ACOR (association des cinémas de l'ouest pour la recherche), les communes d'Angoulême et de La Rochefoucauld ainsi que la communauté de communes 4B sud Charente, la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACI) a, par une décision du 30 juin 2015, admis leurs recours et refusé d'autoriser ce projet. La commune de Champniers et la communauté de communes de Braconne et Charente dont elle fait partie, laquelle a été intégrée dans la communauté d'agglomération du Grand Angoulême depuis le 1er janvier 2017, demandent l'annulation de cette décision.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Il ressort des mentions de la délibération du 8 septembre 2015 du conseil communautaire de Braconne et Charente que la notification du refus en litige du 30 juin 2015 est intervenue, pour ce qui le concerne, " le 24 juillet 2015 ". Si la commission nationale produit l'accusé de réception de la notification de cette décision indiquant que la commune de Champniers a reçu ce pli le 21 juillet 2015, elle ne conteste pas la date de notification à l'établissement public de coopération intercommunale, lequel a été représenté par son président lors de son audition, et ne produit aucun élément permettant de contredire la mention précitée, laquelle est réputée faire foi jusqu'à preuve contraire. Dans ces conditions, la demande présentée le 24 septembre 2015 par la communauté de communes de Braconne et Charente ne peut être regardée comme tardive. Il en résulte que la fin de non-recevoir opposée à cette requête collective par la commission nationale ne peut qu'être rejetée.

Sur la recevabilité de l'intervention de l'Association des cinémas de l'ouest pour la recherche (ACOR) :

3. L'ACOR avait présenté un recours devant la CNACI contre l'autorisation délivrée par la commission départementale d'aménagement cinématographique. En présentant des observations tendant à démontrer que sans un engagement de programmation spécifique de CGR organisant l'accès aux films porteurs par les cinémas Art et Essai, l'ouverture de l'établissement envisagé représenterait pour eux une réelle menace, elle doit être regardée comme s'associant aux conclusions de la CNACI tendant au rejet de la requête. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la légalité de la décision du 30 juin 2015 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'impose à la Commission nationale d'aménagement cinématographique de mentionner le nom ou le nombre de ses membres ayant pris part au vote. Le moyen tiré de ce que les mentions figurant dans la décision en litige ne permettent pas de s'assurer de la régularité de la composition de la commission doit par suite être écarté.

5. En deuxième lieu, les collectivités requérantes soutiennent que la décision attaquée est insuffisamment motivée dès lors que seule une minorité des motifs se rattache aux caractéristiques du projet. Cependant une critique des motifs ne saurait par elle-même révéler un défaut de motivation. En outre, la décision vise les dispositions du code du cinéma et de l'image animée et oppose huit motifs de refus du projet. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 alors applicable: " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 (...) n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ".

7. Si les appelantes soutiennent que le pétitionnaire n'aurait pas été à même de répondre au courrier par lequel le président du conseil départemental de la Charente a fait état à la commission nationale de son opposition au projet en se montrant soucieux de la préservation d'un équilibre des offres culturelles et d'une cohérence dans l'aménagement du territoire et en faisant valoir son inquiétude concernant la pérennité des établissements présents dans le centre-ville d'Angoulême, ces observations portaient sur une question déjà largement débattue devant la commission et sur laquelle la SARL Raychamond a pu apporter des réponses lors de son audition. Par suite, la commission n'a pas méconnu les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 en n'invitant pas expressément le pétitionnaire à présenter ses observations sur ce courrier.

En ce qui concerne l'appréciation de la Commission nationale d'aménagement cinématographique :

8. Aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée dans sa rédaction applicable : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des oeuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée que la qualité des services offerts ". L'article L. 212-9 du même code dans sa rédaction applicable prévoit que, dans le cadre de ces principes, " (...) les commissions d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique se prononcent sur les deux critères suivants : 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; c) La situation de l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles et des salles aux oeuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; d) L'insertion du projet dans son environnement ; e) La localisation du projet. " Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique, lorsqu'elles se prononcent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs et principes, au vu des critères d'évaluation et indicateurs mentionnés à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée, parmi lesquels ne figure plus la densité d'équipement en salles de spectacles cinématographiques dans la zone d'attraction du projet.

9. Pour refuser le projet autorisé par la commission départementale d'aménagement commercial statuant en matière cinématographique de la Charente, la commission nationale a opposé huit motifs. Il est reproché au projet de renforcer l'exposition en nombre de séances des films généralistes ou des films Art et Essai porteurs, laquelle se réalisera au détriment de l'exposition de ces mêmes films par les autres cinémas de la zone d'influence cinématographique. En outre, la réalisation de ce projet conduira l'agglomération d'Angoulême à disposer d'un indice de fréquentation supérieur à l'indice national. Dans ce contexte, le projet induit des effets prévisibles négatifs sur les cinémas de proximité, notamment en matière d'accès aux films. De plus, au regard de ses caractéristiques, ce projet ne permettra pas d'assurer le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique au sein de la zone d'influence cinématographique. Par ailleurs, ce projet renforcera l'attractivité du pôle commercial de Champniers, accentuant le déséquilibre important entre ce pôle et la zone commerciale du centre-ville d'Angoulême. De plus, ce projet ne contribuera ni à respecter l'équilibre entre les agglomérations ni à préserver le dynamisme d'une animation culturelle cinématographique au sein de la commune d'Angoulême. Au demeurant, le site d'installation du projet n'est pas desservi par les transports en commun. Enfin, l'insertion du projet dans son environnement reste largement perfectible.

10. S'agissant de la préservation de l'animation culturelle de la commune d'Angoulême, il ressort des pièces du dossier que la zone d'influence cinématographique du projet est définie par un temps de trajet de 30 minutes en voiture et regroupe 204 619 habitants. La zone primaire, accessible en 15 minutes et comportant 118 765 habitants, contient deux établissements de spectacles cinématographiques, d'une part le multiplexe de 11 salles et 1 876 places exploité par le même groupe que le pétitionnaire dans le centre-ville d'Angoulême, et d'autre part, le cinéma d'Art et Essai " Nemo " de 2 salles, subventionné sur fonds publics au sein de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image. Dans la zone secondaire, trois établissements de proximité adhérents au réseau " Ciné passion 16 " sont classés " Art et Essai " tout en présentant majoritairement d'autres films, et un établissement de six salles et 820 places était autorisé depuis 2011 par la commission nationale sur la commune de Garat, à 9 kilomètres au sud-est d'Angoulême, et allait ouvrir à la date de la décision attaquée. Il ressort des pièces du dossier que le projet refusé, qui accroitrait de 78 % l'offre, vise un objectif de fréquentation annuelle de 300 000 entrées avec seulement 15% de programmation art et essai. Il a été regardé par le service instructeur comme " surdimensionné " au regard de l'indice de fréquentation faible des zones rurales qui constituent l'essentiel de sa zone d'influence secondaire. Il aurait pour effet de compromettre la fréquentation du cinéma " Méga CGR ", seul cinéma généraliste implanté dans le centre-ville d'Angoulême, selon les propres estimations de l'exploitant estimant à 35% la chute des entrées. De ce fait, il aurait des effets négatifs sur l'animation culturelle du centre-ville de cette commune. En outre, dans l'hypothèse où ce cinéma de centre-ville, qui a bénéficié de travaux en 2014, serait maintenu en exploitation conformément à l'engagement du groupe CGR, il pourrait être conduit à développer une offre Art et Essai sur les films les plus porteurs, et par suite à rendre encore plus difficile l'accès à ces oeuvres pour les cinémas de plus petite taille de la zone d'influence cinématographique, pénalisés par la programmation d'une offre plus étendue dans ce domaine tant par le projet de Champniers que par le multiplexe existant d'Angoulême. La commission ne saurait être regardée comme ayant fondé sa décision sur un critère ou un indicateur non prévu par la loi en faisant état de la fréquentation des établissements cinématographiques et de l'offre dans l'agglomération d'Angoulême, dès lors qu'elle s'est bornée à examiner la demande au regard de son impact sur la zone d'influence cinématographique concernée. En retenant une atteinte à la préservation de l'animation culturelle et au respect de l'équilibre des agglomérations, et une atteinte à la diversité de l'offre au regard de la situation des petites salles de la zone, en écho aux avis défavorable de la direction départementale des territoires de la Charente et réservé de la direction régionale des affaires culturelles, la commission a fait une exacte application des dispositions précitées.

11. La commission nationale s'est en outre fondée sur l'insuffisance de la desserte du projet par les transports en commun. Il ressort des pièces du dossier que la ZAC des Montagnes Ouest n'est pas actuellement insérée dans les réseaux de transports collectifs, et que la mise en oeuvre du système de navettes à la demande évoqué par le pétitionnaire à partir du centre-ville d'Angoulême n'apparaît pas certaine. Le pétitionnaire a lui-même reconnu que 85 % des spectateurs viendront en voiture, et a d'ailleurs prévu 611 places de stationnement, dont 367 propres au cinéma dont plus d'une centaine en toiture. Par suite, le motif tiré de la qualité insuffisante de la desserte du projet par les transports en commun pouvait également justifier la décision attaquée.

12. En admettant même que la commission nationale ait fondé à tort sa décision sur les autres motifs sus-énoncés, il résulte de l'instruction que la Commission nationale d'aménagement cinématographique aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur les motifs examinés aux points précédents.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les collectivités appelantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique n° 245 du 30 juin 2015. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de l'Association des cinémas de l'ouest pour la recherche est admise.

Article 2 : La requête de la commune de Champniers et de la communauté de communes de Braconne et Charente est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Champniers, à la communauté de communes de Braconne et Charente, à la communauté d'agglomération du grand Angoulême, à la SARL Raychamond, à l'Association des cinémas de l'ouest pour la recherche et au centre national du cinéma et de l'image animée. Copie en sera adressée pour information au préfet de la Charente, à la commune d'Angoulême, à l'association Ciné Passion 16 et à la commune de la Rochefoucauld.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er mars 2018.

Le rapporteur,

Paul-André BRAUDLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 15BX03146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX03146
Date de la décision : 01/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05-02-02 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial. Procédure. Commission nationale d`aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : D'ALBERT DES ESSARTS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-01;15bx03146 ?
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