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25/01/2018 | FRANCE | N°17BX03194,17BX03195

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 25 janvier 2018, 17BX03194,17BX03195


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Christ JJ a demandé au tribunal administratif de Toulouse : 1) de constater l'irrégularité de l'emprise du transformateur électrique implanté par la société électricité réseau distribution de France (ERDF) sur sa propriété ; 2) d'annuler la décision implicite par laquelle la société ERDF a rejeté sa demande tendant à ce que ce transformateur soit déplacé ; 3) d'enjoindre à cette société de déplacer cet ouvrage et ses installations annexes, à ses frais, si mieux n'aime de procéder à

sa suppression, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Christ JJ a demandé au tribunal administratif de Toulouse : 1) de constater l'irrégularité de l'emprise du transformateur électrique implanté par la société électricité réseau distribution de France (ERDF) sur sa propriété ; 2) d'annuler la décision implicite par laquelle la société ERDF a rejeté sa demande tendant à ce que ce transformateur soit déplacé ; 3) d'enjoindre à cette société de déplacer cet ouvrage et ses installations annexes, à ses frais, si mieux n'aime de procéder à sa suppression, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; 4) de mettre à la charge de la société ERDF une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1303940 du 8 août 2017, le tribunal administratif de Toulouse a enjoint à la société Enedis, nouvelle dénomination de la société ERDF, de déplacer l'ouvrage électrique situé sur la propriété de la SCI dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement et a mis à sa charge le versement à la SCI d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 27 septembre 2017 et un mémoire enregistré le 21 décembre 2017 sous le n° 17BX03194, la société Enedis, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1303940 du 8 août 2017 ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la SCI Christ JJ devant le tribunal administratif ; à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge civil compétent se soit prononcé sur l'éventuelle caducité de la convention du 14 avril 1980 ;

3°) de condamner la SCI Christ JJ à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les ouvrages électriques litigieux ont été régulièrement implantés sur le terrain devenu la propriété de la SCI Christ JJ en vertu d'une convention passée entre EDF et la société Otegi le 14 avril 1980 ; cette convention confère au concessionnaire du service public de distribution d'électricité, conformément aux dispositions de l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 pris pour l'application de l'article 12 de la loi du 12 juin 1906, des servitudes administratives de passage de lignes électriques ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, cette convention n'est pas atteinte de caducité : les servitudes administratives qu'elle instituent subsistent tant que la convention n'a pas été abrogée ; ensuite, la cause de l'obligation définie par l'article R. 332-16 du code de l'urbanisme est le projet de construction ou de lotissement et non sa réalisation et, dès lors que cette cause existait au moment de la signature du contrat, l'abandon ultérieur du projet ne saurait emporter disparition de la cause et donc caducité du contrat ; enfin, la caducité d'une convention pour disparition de la cause doit être extérieure aux parties, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que la prétendue disparition de la cause serait liée à la décision du constructeur signataire de la convention de ne pas mener à terme son projet de construction.

Par un mémoire enregistré le 12 décembre 2017, la SCI Christ JJ conclut : 1) au rejet de la requête de la société Enedis et à ce que l'injonction de déplacer l'ouvrage dans les deux mois soit assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard ; 2) à la condamnation de la société Enedis à lui verser 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la convention signée le 14 avril 1980, qui ne vise que le décret du 20 mars 1970, qui ne fait aucune référence au décret du 6 octobre 1967 et qui ne contient aucune clause exorbitante du droit commun, est un contrat de droit privé soumis aux règles de caducité définies par les articles 1186 et 1187 du code civil ; cette caducité est encourue en l'espèce dès lors que la cause de l'installation du transformateur électrique litigieux est la desserte d'un immeuble dont la construction n'a finalement pas été réalisée ;

- à supposer que cette convention ne soit pas caduque, elle ne saurait de toute façon constituer un titre justifiant l'occupation des terrains dès lors qu'elle ne comporte pas de précision quant aux références cadastrales ni aucun élément permettant de localiser de façon précise l'immeuble concerné et le transformateur, qu'elle n'est pas signée par le propriétaire du terrain qui n'est pas désigné, qu'elle fait référence à un projet de lotissement qui n'existe pas, qu'elle comporte des blancs et, enfin, qu'elle n'a jamais été publiée aux Hypothèques.

Un nouveau mémoire, enregistré le 2 janvier 2018, ne contenant pas d'éléments nouveaux, a été présenté pour la SCI Christ JJ.

Par ordonnance du 22 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 2 janvier 2018 à 12h00.

II. Par une requête enregistrée le 27 septembre 2017 sous le n° 17BX03195, la société Enedis demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, d'ordonner le sursis à exécution du jugement susvisé du tribunal administratif de Toulouse.

Elle soutient que :

- l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables : elle implique la destruction irréversible d'ouvrages publics de distribution électrique et la création de nouveaux ouvrages ; en cas de réformation du jugement, la SCI Christ JJ devrait indemniser société Enedis pour une somme supérieure à 70 000 euros ;

- les moyens énoncés dans la requête au fond sont sérieux.

Par un mémoire enregistré le 31 octobre 2017, la SCI Christ JJ conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Enedis à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas démontré l'existence de conséquences difficilement réparables ;

- les moyens invoqués dans la requête ne sont pas sérieux.

Par ordonnance du 22 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 2 janvier 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'énergie ;

- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- le décret n° 70-254 du 20 mars 1970 ;

- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Aymard de Malafosse,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant la SCI Christ JJ.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI Christ JJ a acquis, par acte du 31 janvier 2001, un terrain sis 34 chemin de Virebent à Toulouse, auprès de la société Bail Investissement qui en était propriétaire depuis 1978. La SCI Christ JJ, qui souhaitait entreprendre des travaux sur ce terrain, a demandé à la société ERDF de déplacer le poste de transformation électrique qui y était implanté. La société ERDF ayant fait savoir à la SCI que ce déplacement lui serait facturé dès lors que ce transformateur avait été régulièrement implanté en vertu d'une convention passée le 14 avril 1980 avec le précédent propriétaire du terrain, la SCI a saisi le tribunal administratif de Toulouse, après avoir vainement invoqué la voie de fait devant les juridictions de l'ordre judiciaire, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la société ERDF de procéder à ses frais au déplacement du transformateur et des installations annexes ou à sa suppression, sous astreinte. Par un jugement du 8 août 2017, le tribunal administratif a enjoint à la société Enedis, anciennement dénommée ERDF, de déplacer l'ouvrage électrique situé sur la propriété de la SCI Christ JJ, sans assortir cette injonction d'une astreinte.

2. La société Enedis a fait appel, par la requête enregistrée sous le n° 17BX03194, de ce jugement. Par une requête enregistrée sous le n° 17BX03195, elle demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 17BX03194 :

3. Pour prononcer l'injonction contestée, le tribunal administratif a jugé que, dès lors que le projet de construction d'un ensemble immobilier ayant justifié la conclusion de la convention du 14 avril 1980 et les obligations en résultant avait été abandonné antérieurement au 31 janvier 2001, date à laquelle la SCI Christ JJ a acquis le terrain, la cause de la convention avait disparu postérieurement à sa conclusion. Se fondant ainsi sur la caducité de cette convention, le tribunal administratif en a déduit que la société Enedis ne justifiait plus d'un titre l'autorisant à occuper une partie de la propriété de la société requérante afin d'y maintenir le transformateur électrique.

4. La convention du 14 avril 1980 a été signée par " O.T.E.G.I. ", se présentant comme propriétaire de la parcelle, et par EDF. Elle met gratuitement à la disposition d'EDF un terrain de 39 m² destiné à l'installation d'un poste de transformation de courant électrique affecté à l'alimentation de l'ensemble immobilier à usage principal d'habitation dont la construction était envisagée ainsi que du réseau de distribution publique dont ce poste ferait partie intégrante. Elle prévoit en outre, par son article 2, qu'il est concédé à EDF le droit de faire passer sur ou sous le terrain de l'ensemble immobilier les lignes électriques nécessaires " pour la distribution générale d'électricité, pour l'éclairage public et pour les branchements des abonnés ", ainsi que le droit d'implanter les supports destinés aux conducteurs électriques.

5. Les seules dispositions auxquelles fait référence la convention du 14 avril 1980 sont celles du décret n° 70-254 du 20 mars 1970 codifiées à l'article R. 332-16 du code de l'urbanisme, en vertu desquelles : " Les constructeurs et lotisseurs sont tenus de supporter sans indemnité l'installation, sur le terrain de l'opération projetée, des postes de transformation de courant électrique (...). Les distributeurs d'électricité (...) ont la libre disposition des postes de transformation (...) notamment pour alimenter le réseau de distribution publique ". Cette convention a été passée au nom du propriétaire du terrain en vue de satisfaire les besoins en alimentation électrique de l'immeuble qui était projeté par ce même propriétaire. Eu égard à cet objet, et quand bien même elle confère à EDF le droit d'établir sur le terrain des lignes électriques permettant de desservir d'autres usagers, cette convention n'a pas pour effet de reconnaître, en application du décret du 6 octobre 1967, les servitudes administratives d'appui, de passage ou d'ébranchage prévues par la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, ces deux textes n'étant d'ailleurs pas visés. Elle ne contient aucune clause exorbitante du droit commun et n'associe pas le co-contractant d'EDF à l'exécution du service public de distribution d'électricité. Elle présente, dès lors, le caractère d'un contrat de droit privé.

6. Cette convention du 14 avril 1980 présentant, au regard du droit qui lui est applicable, le caractère d'un contrat à exécution instantanée, il convient de se placer au moment de sa formation pour apprécier l'existence de la cause des obligations qu'elle comporte. Par suite, la circonstance que l'ancien propriétaire du terrain sur lequel a été implanté le transformateur aurait, postérieurement à la signature de la convention, renoncé au projet de construction envisagé ne saurait avoir fait disparaître la cause de cette convention, laquelle ne peut dès lors être regardée, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, comme caduque.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Enedis est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour lui ordonner de déplacer à ses frais le poste de transformation électrique et ses installations annexes, le tribunal administratif s'est fondé sur la caducité de la convention signée le 14 avril 1980.

8. Il y a lieu toutefois pour la cour, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués par la SCI Christ JJ à l'appui de ses conclusions à fin de déplacement de l'ouvrage public.

9. Il résulte des dispositions de l'article 28 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière qu'une charge réelle n'est opposable à l'acquéreur d'un immeuble qu'à la condition qu'elle ait été publiée, ou à défaut, que le titre de l'acquéreur ou tout autre document soumis à son approbation au moment de l'acquisition en fasse mention. Or, il résulte de l'instruction, d'une part, que la convention signée le 14 avril 1980 n'a pas été publiée, d'autre part, que l'acte du 31 janvier 2001 par lequel la SCI Christ JJ s'est rendue acquéreur du terrain sur lequel est implanté le transformateur mentionne expressément qu' " il n'existe aucune autre servitude que celles dérivant de la situation des lieux, de la loi ou des plans d'urbanisme et d'aménagement de la commune, à l'exception d'un droit de passage réservé au service des eaux pour le nettoyage du fossé mère ". Par ailleurs, ladite convention ne peut être regardée comme instituant, pour les motifs indiqués au point 5, des servitudes administratives. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, compte tenu de ce qu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que le moyen peut être accueilli, la SCI est fondée à soutenir que la convention signée le 14 avril 1980 ne lui est pas opposable.

10. La société Enedis ne conteste pas que, comme l'a également relevé le tribunal administratif, aucune régularisation n'est possible et que le déplacement de l'ouvrage litigieux ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Enedis n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse lui a ordonné de déplacer l'ouvrage électrique implanté sur la propriété de la SCI Christ JJ dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la SCI Christ JJ tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte.

Sur la requête n° 17BX03195 :

12. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif, les conclusions de la requête n° 17BX03194 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. La SCI n'étant pas la partie perdante, les conclusions de la société Enedis tendant à sa condamnation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Enedis, au titre de ces mêmes dispositions, le versement à la SCI Christ JJ de la somme de 2 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 17BX03195.

Article 2 : La requête de la société Enedis enregistrée sous le n° 17BX03194 est rejetée.

Article 3 : La société Enedis versera la somme de 2 000 euros à la société SCI Christ JJ au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la SCI Christ JJ est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Enedis et à la SCI Christ JJ.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 janvier 2018.

Le président-assesseur,

Laurent POUGETLe président-rapporteur,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

Nos 17BX03194,17BX03195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX03194,17BX03195
Date de la décision : 25/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

67-01-02 Travaux publics. Notion de travail public et d'ouvrage public. Ouvrage public.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Aymard DE MALAFOSSE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-01-25;17bx03194.17bx03195 ?
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