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11/01/2018 | FRANCE | N°16BX00456

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 11 janvier 2018, 16BX00456


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

A la demande de Mme A...C..., propriétaire d'une maison située sur la commune de Roquefort (Lot-et-Garonne) à proximité immédiate de l'emprise de l'autoroute A 62, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, par une ordonnance du 14 février 2013, a missionné M.E..., expert, aux fins notamment de décrire les préjudices sonores et visuels qu'elle subit du fait de l'existence et du fonctionnement de cette autoroute et de déterminer le montant des travaux nécessaires pour y remédier.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

A la demande de Mme A...C..., propriétaire d'une maison située sur la commune de Roquefort (Lot-et-Garonne) à proximité immédiate de l'emprise de l'autoroute A 62, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, par une ordonnance du 14 février 2013, a missionné M.E..., expert, aux fins notamment de décrire les préjudices sonores et visuels qu'elle subit du fait de l'existence et du fonctionnement de cette autoroute et de déterminer le montant des travaux nécessaires pour y remédier.

A la suite de la remise du rapport de l'expert le 29 juillet 2014, le juge des référés du tribunal, à nouveau saisi par MmeC..., a condamné la société Autoroutes du Sud de la France (ASF), concessionnaire de cette voie autoroutière à lui verser une indemnité provisionnelle de 30 000 euros à valoir sur la réparation des entiers préjudices qu'elle a subis.

La société ASF ayant demandé au tribunal de fixer définitivement le montant de sa dette à l'égard de MmeC..., le tribunal administratif de Bordeaux, par un jugement n° 1404694 du 1er décembre 2015, a jugé que la société ASF n'était redevable d'aucune dette envers Mme C... à raison des préjudices pour lesquels sa responsabilité était recherchée, a enjoint à Mme C...de restituer la somme de 30 000 euros versée par la société ASF à titre de provision et a mis à la charge définitive de Mme C...les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 6 284,09 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 janvier 2016, Mme A...C..., représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 1er décembre 2015 ;

2°) d'homologuer le rapport d'expertise de M. E...;

3°) de fixer le montant définitif de la dette de la société ASF à son égard à la somme totale de 390 441,68 euros en réparation des préjudices subis, et de condamner la société ASF à lui verser cette somme, après déduction de la somme provisionnelle de 30 000 euros acquittée dans le cadre de la procédure de référé ;

4°) d'enjoindre à la société ASF de réaliser un " écran routier " ;

5°) de mettre à la charge de la société ASF, outre les entiers dépens, la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- selon une jurisprudence constante, les riverains victimes d'un dommage permanent résultant de l'existence ou du fonctionnement d'ouvrages publics bénéficient d'un régime de responsabilité de plein droit, ouvert à condition d'établir le caractère anormal et spécial du dommage et le lien de cause à effet entre l'ouvrage et ce dommage ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, elle subit bien un préjudice anormal. Sa propriété est identifiée dans le plan départemental de prévention du bruit comme un " point noir bruit ", soit un bâtiment localisé dans une zone de bruit critique et devant bénéficier d'un programme de réduction du bruit à la source, ainsi que l'ont reconnu l'expert et la société ASF en première instance. L'autoroute A 62 est en outre implantée en surplomb de son jardin et de sa maison. Dès lors, les nuisances acoustiques et visuelles qu'elle doit supporter du fait de l'existence de l'autoroute A 62 excèdent les inconvénients que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les propriétaires de fonds voisins des voies publiques. Les premiers juges se sont mépris en ne retenant pas le caractère anormal du préjudice au motif que la maison avait été acquise après la construction de l'autoroute. L'antériorité de la mise en service de l'ouvrage est un argument inopérant, dans la mesure où le critère d'antériorité entrant dans la définition d'un point noir bruit est évalué en fonction de la date de construction du bâtiment en cause et non de sa date d'acquisition, laquelle est par conséquent sans incidence sur la définition du point noir bruit et donc sur la nécessité de mettre en oeuvre des mesures de réduction des nuisances sonores. En outre, cette notion d'antériorité ne saurait être invoquée si les nuisances étaient imprévisibles. Or, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'était pas possible, à la date d'acquisition de la maison, de prévoir un triplement constaté par l'expert du trafic des poids lourds, lesquels génèrent le plus de nuisances sonores ;

- l'exigence de spécialité du préjudice est aisément remplie en matière de dommages de travaux publics. En effet, la notion même de voisinage implique une limitation du nombre des victimes et le juge administratif reconnaît traditionnellement un droit à réparation aux propriétaires des parcelles attenantes aux ouvrages publics. En l'espèce, sa propriété est en bordure de l'autoroute A 62, son préjudice revêt donc un caractère spécial ;

- les nuisances acoustiques et visuelles qu'elle subit résultent directement et incontestablement de l'existence de l'autoroute A 62 à proximité de sa propriété. Elle est donc fondée à demander à la cour que le concessionnaire de l'autoroute l'indemnise de ses entiers préjudices sur la base des éléments contenus dans le rapport de l'expert ;

- l'expert indique que le chiffrage des travaux d'isolation de la façade s'élève à une somme de 38 441,68 euros TTC. L'indemnisation réclamée pour ce chef de préjudice ne pourra être inférieure à ce montant ;

- M. E...estime que la construction d'un écran acoustique en bois de 5 mètres de hauteur sur 150 mètres de long permettrait de gagner entre 5 et 7 dN et évalue le montant des travaux à 252 000 euros. La cour ne pourra que s'en remettre à cette proposition, d'autant que d'autres particuliers dans la même situation que Mme C...ont obtenu, contrairement à ce que soutient le concessionnaire, qu'un tel mur soit édifié ;

- la perte de valeur vénale de sa maison doit être estimée à 100 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2016, la société anonyme Autoroutes du Sud de la France (ASF), prise en la personne de ses représentants légaux, représentée par Me B..., conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la cour fixe le montant définitif de sa dette à l'égard de Mme C...à la somme de 28 188,89 euros où, à défaut, à la somme de 38 441,68 euros si mieux n'aime que cette réparation se fasse par la réalisation des travaux d'insonorisation de façades et par suite, condamne Mme C...à lui restituer la différence entre cette première somme et la somme provisionnelle de 30 000 euros déjà versée ou, à défaut, lui demande de verser le complément d'indemnisation fixé après déduction de cette même somme provisionnelle ;

3°) en toute hypothèse, à ce que soit mise à la charge de MmeC..., outre les entiers dépens dont les frais d'expertise s'élevant à 6 284,09 euros, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société ASF fait valoir que :

- les préjudices allégués par Mme C...étaient parfaitement prévisibles, ce qui exclut toute réparation. Si le caractère anormal du dommage est appréhendé par la référence à un seuil de trouble admissible compte tenu de l'intérêt général de l'ouvrage en cause, le dommage n'est pas considéré comme anormal si la victime s'y est exposée en connaissance de cause, autrement dit si le dommage était prévisible. Dès lors que le requérant a fait sciemment le choix d'installer sa résidence à proximité de l'autoroute, il ne peut demander l'indemnisation liée à la présence de cet ouvrage public, notamment en ce qui concerne la perte de valeur vénale de son bien. Dans le cadre d'une procédure contentieuse, c'est l'antériorité réelle qui doit s'appliquer, s'agissant de la construction d'une route nouvelle, de la modification d'un tracé ou de l'élargissement de l'assiette de la voie. Les photos prises par l'expert montrent que la maison de Mme C...est implantée au même niveau que l'autoroute A62, et non que l'ouvrage serait en surplomb de sa propriété comme elle l'allègue. Par ailleurs, l'augmentation alléguée du trafic routier n'est absolument pas vérifiée, le trafic moyen journalier annuel sur l'A62 dans le secteur étant au contraire en diminution depuis l'année 2010 et notamment le trafic poids lourds qui a diminué de 13% entre 2007 et 2012. Enfin, il convient de rappeler que Mme C...se plaint du bruit résultant du trafic autoroutier depuis l'acquisition de la maison. Ainsi, les nuisances dont elle entend être indemnisées sont antérieures à son installation et n'ont pas évolué dans des proportions imprévisibles depuis. Le principe d'antériorité fait donc obstacle à l'indemnisation des nuisances sonores et visuelles invoquées par Mme C...;

- son habitation ne constitue pas à ce jour un " point noir de bruit ", au sens de la règlementation en vigueur et nécessitant des mesures de protection. L'expert indique dans son rapport que " le mesurage réalisé durant la période d'observation a conduit à des valeurs de niveau sonore LAeq non réglementaires (62,8 pour 60 dB(A) en période diurne et 57,4 pour 55 dB(A) en période nocturne et en conclut, en considérant l'augmentation du trafic autoroutier de long terme, qu'il est en présence d'un " point noir bruit " au sens de la circulaire interministérielle de mai 2004. Or, les seuils sur lesquels il s'appuie, fixés par l'arrêté ministériel du 5 mars 1995, ne sont applicables qu'aux seules constructions de voies nouvelles ou aux modifications significatives du tracé ou de l'assiette des voies. C'est par suite à bon droit que le tribunal a jugé que les valeurs relevées par l'expert sont inférieures aux seuils limites réglementaires définis pour les " points noirs de bruit " par la circulaire du 25 mai 2004 relative au bruit des infrastructures de transport terrestre, laquelle prévoit des seuils respectivement de 70 dB de 6h à 22 h et de 65 dB de 22 h à 6 h. Il s'en déduit que, contrairement aux affirmations de l'expert, la maison de Mme C...ne pouvait être considérée comme un point noir bruit, alors au demeurant qu'ASF a fait procéder au changement du revêtement, ce qui a permis d'atténuer les nuisances sonores de près de 5 dB et que ces mesures sont également inférieures au seuil fixé à 65 dB(A) en façades des immeubles d'habitation existants pour les créations de voies nouvelles par la circulaire n° 78-43 du 7 mars 1978. Une évolution du trafic permettant de dépasser ces seuils n'est qu'une simple éventualité. Mme C...ne saurait bénéficier de travaux d'isolation phonique mis à sa charge ou d'une indemnisation pour mener ces travaux, d'autant plus qu'elle a refusé toutes ses propositions amiables de travaux depuis 10 ans. Il appartiendra à MmeC..., le cas échéant, de la solliciter ultérieurement au sujet d'éventuels préjudices anormaux et spéciaux qui pourraient survenir en cas de forte augmentation du trafic, laquelle générerait d'importantes nuisances sonores, si elle s'y croit fondée ;

- la perte de valeur vénale de sa maison depuis son acquisition n'est pas établie. La demande de Mme C...et les appréciations d'un expert en acoustique mais pas en matière foncière, pour valider ce montant sont totalement infondées et ne reposent sur aucun élément probant. L'expert ne produit aucun terme de référence pour des biens se trouvant dans une situation semblable à celui en cause et se borne à produire une estimation d'agent immobilier de pure complaisance effectuée à la demande du propriétaire. Cette estimation, dénuée elle aussi de toute référence, affirme que la valeur vénale de la propriété s'élèverait à 250 000 euros au lieu de 350 000 euros, en raison de la présence de l'autoroute et que la valeur vénale de l'immeuble aurait chuté de 30 %. S'il n'est guère contestable que la construction de l'autoroute A62 a profondément modifié l'environnement de l'habitation des épouxC..., l'acquisition de la maison n'est intervenue qu'après la mise en service de l'autoroute. Ils étaient donc parfaitement en mesure d'apprécier la nature et l'importance des nuisances, notamment visuelles et sonores, qu'ils allaient subir ou qu'ils pourraient subir à l'avenir. Par ailleurs, si le couple a sans doute pu bénéficier d'un prix de vente avantageux au moment de l'acquisition du bien, il ne peut aujourd'hui valablement pas faire valoir que la vente de leur maison à un prix plus élevé que le prix d'achat serait impossible en raison de la présence de l'autoroute, et alors en outre que l'augmentation alléguée du trafic routier n'est absolument pas démontrée. En l'absence de réalisation de travaux significatifs sur cette voie depuis l'acquisition de la maison en 1988, aucune dépréciation supplémentaire de la valeur vénale du bien, en lien avec l'autoroute, n'a pu intervenir ;

- si la cour devait la condamner à réparer ce préjudice, le juge administratif devra tenir compte, dans l'estimation de son indemnisation, de la pollution sonore préexistante pour réduire le montant des indemnités le cas échéant, et des mesures de compensation intervenues pour réduire les nuisances sonores ;

- le juge administratif, qui ne doit par principe pas prononcer d'injonction de faire à l'encontre de l'administration, peut toutefois, après avoir reconnu l'existence d'un dommage, offrir à cette dernière une alternative pour la réparation de celui-ci : soit verser une indemnité fixée à titre de réparation ou bien réparer en nature, selon la formule consacrée, " si mieux n'aime" en effectuant les travaux, sous réserve de l'accord de la victime du dommage si lesdits travaux doivent être accomplis sur sa propriété. En l'espèce, l'indemnisation accordée en toute hypothèse ne pourra prendre la forme que de travaux pour procéder à l'isolation phonique de l'habitation de Mme C...ou d'une indemnisation à hauteur des travaux à réaliser pour arriver à cette fin.

- Mme C...a adressé à l'expert un devis en date du 4 avril 2014, d'un montant de 28 188,89 euros TTC portant sur l'isolation phonique de l'habitation et prévoyant la pose de nouvelles fenêtres, portes et menuiseries. Elle avait pour sa part proposé à Mme C...la prise en charge de travaux totalement similaires pour un prix de 37 052,08 euros TTC, finalement arrêté après négociations avec l'intéressée et intégration de postes supplémentaires à 41 860 euros TTC. L'expert a cependant estimé que ces deux devis n'étaient pas suffisants en ce qu'ils ne comportaient pas les indices d'affaiblissement acoustiques des fenêtres privées d'entrées d'air et qu'il apparaissait nécessaire de procéder à un complément d'isolation en combles, par projection de fibre minérale sur 30 cm d'épaisseur sous l'ensemble de la couverture. Or, sous l'empire de la réglementation relative au point noir de bruit, l'objectif est d'atteindre un écart d'un minimum de 30 dB entre l'intérieur et l'extérieur de l'habitation. Les travaux qu'elle proposait dans son devis entraînaient un écart d'au moins 35 dB. Les devis initiaux prévoyaient ainsi des prestations amplement suffisantes. Si le tribunal devait la condamner à réparer les dommages subis par MmeC..., elle devrait verser à cette dernière la somme totale et définitive de 28 188,89 euros TTC ou à défaut la somme totale et définitive de 38 441,68 euros TTC, arrêtée par l'expert pour procéder aux seuls travaux d'isolation phonique de la façade ;

- la réalisation de l'écran anti bruit, même si elle n'est pas techniquement impossible au vu de la configuration des lieux, se ferait à un coût bien supérieur à la valeur vénale de l'habitation de MmeC..., tant par la solution chiffrée par l'expert que par celle évaluée par ses soins. La jurisprudence retient pour principe que la réparation du préjudice anormal et spécial ne peut excéder la valeur vénale de l'immeuble. Elle ne peut économiquement pas accepter d'être condamnée à réaliser un écran acoustique à un tel prix pour une habitation isolée. La comparaison avec la situation d'autres riverains ayant obtenu l'édification d'un tel écran, à supposer ces éléments avérés, n'est pas de nature à créer un droit à la construction d'un écran acoustique sur la propriété en cause. Elle ne saurait en tout état de cause être condamnée cumulativement à indemniser les travaux d'isolation phonique et à construire cet écran acoustique.

Par une ordonnance du 2 juin 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 août 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- les observations de MeF..., représentant Mme C...et celles de MeD..., représentant la société Autoroutes du Sud de la France.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 décembre 2017, présentée pour Mme C...par MeF....

Considérant ce qui suit :

1. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a, par une ordonnance du 14 février 2013, ordonné la réalisation d'une expertise afin notamment de décrire les préjudices sonores et visuels subis par Mme A...C..., propriétaire d'une maison acquise en 1985 située sur la commune de Roquefort (Lot-et-Garonne) à proximité immédiate de l'emprise de l'autoroute A 62, du fait de l'existence et du fonctionnement de cette autoroute et de déterminer et évaluer le montant des travaux nécessaires pour y remédier. L'expert a rendu son rapport le 29 juillet 2014, à la suite duquel le juge des référés du tribunal, à nouveau saisi par MmeC..., a condamné la société anonyme Autoroutes du Sud de la France (ASF), concessionnaire de cette voie autoroutière, à verser à la demanderesse une indemnité provisionnelle de 30 000 euros à valoir sur la réparation de ses entiers préjudices. La société ASF ayant demandé au tribunal de fixer définitivement le montant de sa dette à l'égard de MmeC..., le tribunal administratif de Bordeaux, par un jugement du 1er décembre 2015, a jugé que la société ASF n'était redevable d'aucune dette envers Mme C...à raison des préjudices pour lesquels sa responsabilité était recherchée, a enjoint à celle-ci de restituer la somme de 30 000 euros versée par la société ASF à titre de provision sur la créance dont elle se prévalait devant le juge des référés et a mis à la charge définitive de Mme C...les frais d'expertise taxés et liquidés à hauteur de 6 284,09 euros. Mme C...relève appel de ce jugement et réitère sa demande formulée en première instance tendant à ce que le montant définitif de la dette de la société ASF à son égard soit fixé à la somme de 390 441,68 euros, à ce que la société ASF soit condamnée à lui verser cette somme, après déduction de l'indemnité provisionnelle de 30 000 euros acquittée dans le cadre de la procédure de référé, et demande pour la première fois en appel à ce qu'il soit enjoint à la société ASF de réaliser un " écran routier ".

Sur la responsabilité :

2. La responsabilité du concessionnaire d'un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage du fait de l'existence ou du fonctionnement de celui-ci. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir la preuve que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis, et de l'existence d'un lien de causalité entre cet ouvrage et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial. Toutefois, les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité.

3. Il est constant que M. et Mme C...ont acheté leur maison à usage d'habitation implantée sur un terrain situé à proximité immédiate de l'autoroute A 62 en 1985 alors que l'autoroute A 62 était déjà en service depuis plusieurs années. Dès lors, M. et Mme C...ne pouvaient ignorer à la date de leur acquisition les inconvénients résultant de la proximité de l'autoroute. Mme C...n'est donc pas fondée à demander réparation des préjudices liés à la prétendue dépréciation de la valeur vénale de sa maison en raison de sa proximité de l'autoroute.

4. Par ailleurs, si la requérante soutient que les nuisances sonores ont évolué dans des proportions qui n'étaient pas prévisibles, l'instruction, et notamment le rapport d'expertise, ne permet pas de l'établir en l'absence de données sur l'état du trafic sur ce tronçon d'autoroute de 1988 à ce jour et de mesures sonores au niveau de la propriété de Mme C...sur cette même période. De plus, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les mesures sonores relevées, 62,8 dB de jour et 57, 4 dB de nuit, sont inférieures aux seuils respectifs de 70 dB et de 65 dB correspondant aux valeurs limites de bruit caractéristiques des points noirs de bruit rappelés par la circulaire du 25 mai 2004 et issus de l'article 2 de l'arrêté du 3 mai 2002 pris pour l'application du décret n° 2002-867 du 3 mai 2002 relatif aux subventions accordées par l'Etat concernant les opérations d'isolation acoustique des points noirs du bruit des réseaux routier et ferroviaire nationaux. Contrairement à ce que semble soutenir MmeC..., et à ce qu'estime l'expert en se fondant uniquement sur un graphique relatif au transport intérieur de marchandises par mode de transport de 1985 à 2011 et sur un article étranger sur l'Europe des transports, il n'est pas certain que ces seuils finissent par être atteints alors que par ailleurs la société ASF a entrepris des travaux permettant de réduire les niveaux sonores, en l'occurrence en changeant le revêtement de la voie. En l'absence de point noir de bruit, les nuisances sonores auxquelles est exposée Mme C...n'excèdent pas les sujétions que les riverains d'une autoroute doivent normalement supporter. Dès lors, les préjudices invoqués à ce titre par Mme C... ne sont pas davantage de nature à engager la responsabilité de la société ASF sur le fondement des dommages permanents des travaux publics.

5. Enfin, si lors de l'audience Mme C...a invoqué le fondement de responsabilité tiré de la méconnaissance du plan de prévention du bruit dans l'environnement du réseau routier et autoroutier national du département du Lot-et-Garonne, approuvé par arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 14 février 2013, qui lui permettrait de bénéficier de la réalisation de travaux d'isolation phonique sur les façades de sa maison dont elle a pourtant refusé les offres proposées par la société ASF, elle n'a, dans ses écritures, invoqué, pour engager la responsabilité de la société ASF, que le seul fondement tiré des dommages permanents de travaux publics, le plan de prévention du bruit n'étant cité que pour démontrer le caractère anormal du préjudice invoqué.

6. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ". Il résulte de ce qu'il précède qu'il y a lieu de laisser les frais d'expertise à la charge de MmeC....

7. Il résulte de ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction d'élever un mur anti-bruit ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société ASF présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société ASF présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et à la société anonyme Autoroutes du Sud de la France.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 janvier 2018.

Le rapporteur,

Paul-André BRAUDLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 16BX00456


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