La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/10/2017 | FRANCE | N°16BX02241

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 26 octobre 2017, 16BX02241


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges à lui verser la somme globale de 78 903,36 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des faits constitutifs de harcèlement moral.

Par un jugement n° 1401559 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Limoges a condamné le CHU de Limoges à verser, d'une part, à Mme D...la somme de 29 227,98 euros, et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance

maladie de la Haute-Vienne la somme de 22 325,19 euros.

Procédure devant la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges à lui verser la somme globale de 78 903,36 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des faits constitutifs de harcèlement moral.

Par un jugement n° 1401559 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Limoges a condamné le CHU de Limoges à verser, d'une part, à Mme D...la somme de 29 227,98 euros, et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne la somme de 22 325,19 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des pièces nouvelles et un mémoire, enregistrés les 11 juillet, 17 mai 2016 et 26 juillet 2017, le CHU de Limoges, représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 mai 2016 ;

2°) de rejeter les demandes de Mme D...et de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Vienne ;

3°) de mettre à la charge de Mme D...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les faits qui sont reprochés au chef de service de gériatrie par Mme D... ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 novembre 2016, le 1er mai 2017 et les 17 et 21 août 2017, Mme D...demande à la cour :

1°) à titre principal, de porter à la somme globale de 76 507,98 euros l'indemnité allouée et de réformer le jugement sur ce point, subsidiairement de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge du CHU de Limoges la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle oppose, à titre principal, une fin de non-recevoir tirée du défaut de motivation de la requête.

Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par le CHU de Limoges ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2017, la CPAM de la Haute-Vienne, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer jusqu'à ce que la décision de la Cour d'appel de Limoges devienne définitive ;

2°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Limoges en ce qu'il a condamné le CHU de Limoges à lui verser la somme de 22 325,19 euros, et en ce qu'il l'a condamné à lui verser la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire ;

3°) d'assortir ces sommes des intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

4°) de condamner le CHU de Limoges à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par une ordonnance du 28 juillet 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 août 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.B...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant le CHU de Limoges, et de Me E..., représentant Mme A...D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...a été recrutée par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges en contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2013, en qualité d'ingénieur hospitalier pour exercer les fonctions de chef de projet, coordinatrice de l'unité de prévention, de suivi et d'analyse du vieillissement (UPSAV) dans le service de médecine interne gériatrique. Estimant avoir été victime de faits de harcèlement moral à compter du mois de septembre 2013, elle a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande indemnitaire après le rejet implicite de sa réclamation préalable adressée à l'établissement public. Le CHU de Limoges relève appel du jugement n° 1401559 du 12 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Limoges l'a condamné à verser, d'une part, à Mme D...la somme de 29 227,98 euros, et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne la somme de 22 325,19 euros. Par la voie de l'appel incident, Mme D...demande à la cour de porter à la somme globale de 76 507,98 euros l'indemnité qui lui a été allouée et de réformer le jugement en ce sens.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :

2. Aux termes de l'article R. 811-13 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort (...) ". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. Le mémoire d'appel présenté, dans le délai de recours, par le CHU de Limoges ne constitue pas la seule reproduction littérale de son mémoire de première instance et énonce, de manière précise, des conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif et au rejet des demandes de Mme D...et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne ainsi que des critiques portées aux motifs du jugement. Une telle motivation répond aux conditions posées par les dispositions précitées. Par suite, la fin de non-recevoir opposée à la requête par Mme D...doit être écartée.

Sur le bien-fondé de la requête :

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

5. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

7. Pour soutenir qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral depuis le mois de septembre 2013, Mme D...fait valoir qu'elle a été destinataire de multiples reproches infondés de la part du chef du service de médecine interne gériatrique sur sa manière de servir, notamment par courriels des 19 et 21 septembre 2013 puis du 4 octobre suivant, et que lui a été présentée, le 16 octobre 2013, une grille d'évaluation, complétée par ce chef de service, qui portait une appréciation générale sur sa manière de servir, considérée comme insuffisante, et mentionnait le souhait de ce dernier de ne pas la maintenir dans le service, ces faits ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail au point qu'elle a dû être placée en position de congé de maladie en raison d'un syndrome dépressif réactionnel. Mme D...produit à cet égard une déclaration d'accident de service qu'elle a établie le 30 décembre 2013 mentionnant un accident de service survenu le 15 octobre 2013 dans le bureau du chef du service de médecine interne gériatrique puis, le 16 octobre 2013, dans le bureau du cadre supérieur de santé, et qui aurait consisté, selon elle, en " la tenue de propos ayant sérieusement porté atteinte à son intégrité psychologique ", ainsi qu'un avis d'arrêt de travail initial à compter du 4 novembre 2013. Ces éléments de fait sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre.

8. Il résulte, cependant, de l'instruction que le chef du service de médecine interne gériatrique du CHU à l'origine du recrutement de Mme D...comme coordinatrice du projet d'UPSAV régionalisée, a soutenu l'action de celle-ci au cours de ses premiers mois d'exercice, l'invitant en particulier à porter, au cours du mois de mars 2013, une analyse critique sur la mise en oeuvre de l'un des protocoles de recherche élaborés par l'unité de recherche clinique à la suite des réserves qu'elle avait émises sur sa faisabilité. Les difficultés dans les relations de travail entre Mme D...et l'équipe de l'unité de recherche clinique, qui étaient alors déjà perceptibles, ont toutefois perduré en raison de la persistance des critiques formulées par l'intéressée, en dépit de la confirmation de la validité de ce protocole intervenu, en définitive, au mois de juillet 2013. Des tensions dans les relations professionnelles entre Mme D...et le praticien hospitalier responsable de l'unité fonctionnelle de l'UPSAV sont également apparues en raison de ce même comportement, au point que ce praticien hospitalier a demandé à être retiré de la coordination régionale, s'estimant dans l'incapacité psychologique de continuer à travailler avec l'appelante. Des problèmes organisationnels ont, enfin, été mis à jour au sein de l'équipe locale de l'UPSAV, de sorte que le caractère interdisciplinaire de cette unité en a été affecté. Ces faits, qui ressortent notamment du rapport établi le 29 octobre 2013 par le chef du service de médecine interne gériatrique, cosigné par le praticien hospitalier responsable de l'unité fonctionnelle de l'UPSAV et le cadre supérieur de santé, ne sont pas sérieusement contredits par Mme D...alors qu'ils sont expressément corroborés par la lettre, produite pour la première fois en appel, adressée au directeur général du CHU par le praticien hospitalier précité, concomitamment audit rapport. Si les courriels transmis à Mme D...les 19 et 21 septembre 2013, révèlent des dysfonctionnements institutionnels, qui ne peuvent lui être exclusivement imputables, les reproches qui lui ont alors été adressés ne présentent pas de caractère abusif. Les reproches formulés par un courriel du 4 octobre 2013 sont, certes, pour certains non établis par le CHU et l'évaluation remise le 16 octobre 2013 présente un caractère très défavorable, mais ces éléments ne peuvent être regardés comme des agissements répétés excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique au point de pouvoir être constitutifs de harcèlement moral.

9. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Limoges est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges l'a condamné à verser, d'une part, à Mme D...la somme de 29 227,98 euros, et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne la somme de 22 325,19 euros. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et de rejeter, d'une part, les demandes indemnitaires de Mme D...et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne présentées devant le tribunal administratif de Limoges, et, d'autre part, les conclusions d'appel incident de MmeD....

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Limoges, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme D...et celle demandée par la CPAM au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D...la somme demandée au même titre par le CHU de Limoges.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 12 mai 2016 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de Mme D...et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne présentées devant le tribunal administratif de Limoges sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du CHU de Limoges est rejeté.

Article 4 : Les conclusions d'appel incident de Mme D...ainsi que celles présentées par elle et par la CPAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Limoges, à Mme A... D...et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 octobre 2017

Le rapporteur,

Didier B...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX02241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02241
Date de la décision : 26/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Didier SALVI
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-10-26;16bx02241 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award