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09/10/2017 | FRANCE | N°16BX00230

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 09 octobre 2017, 16BX00230


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser une somme de 100 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison de son exposition au cours de sa carrière professionnelle à l'inhalation de poussières d'amiante et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 1 5

00 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser une somme de 100 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison de son exposition au cours de sa carrière professionnelle à l'inhalation de poussières d'amiante et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1302191 du 20 novembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2016, M. C...D..., représenté par la SELARL AFCB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 novembre 2015;

2°) de constater que la déchéance quadriennale ne lui est pas opposable, faute de point de départ du délai ;

3°) de juger que les manquements à l'obligation de sécurité d'exposition au risque de poussières d'amiante pendant 7 825 jours lui créent nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer ;

4°) de condamner le CHU de Bordeaux au paiement de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral d'anxiété ;

5°) de condamner le CHU de Bordeaux au paiement de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au bouleversement des conditions d'existence ;

6°) de mettre à la charge centre hospitalier universitaire de Bordeaux la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le condamner aux entiers dépens.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a fait application de la prescription quadriennale, alors que leur action n'était soumise qu'à la prescription trentenaire, en tant qu'elle était relative à la responsabilité du fait de la mauvaise qualité des produits fournis ou à la prescription décennale instituée par la loi du 4 mars 2002, en tant qu'elle tendait à une indemnisation au titre de la solidarité nationale et a retenu la date du décès de leur mari et père comme point de départ de la prescription, alors que ce point de départ ne pouvait être que la date, du 3 mars 2008, à laquelle elles ont eu connaissance des résultats d'enquêtes transfusionnelles, alors également que le cours de la prescription avait été interrompu par leur demande de communication d'informations relatives à la santé ;

- le CHU de Bordeaux a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne prenant pas les mesures suffisantes pour protéger les employés de l'établissement qui étaient exposés à l'inhalation des poussières d'amiante ;

- le préjudice d'anxiété dont il est victime trouve son origine directe et certaine dans la carence fautive de CHU de Bordeaux;

- l'espérance de vie moyenne d'une personne exposée à l'amiante est considérablement réduite et les maladies provoquées par l'inhalation de fibres d'amiante sont nombreuses ;

- l'exposition à l'amiante génère chez lui une anxiété permanente quant à la crainte de découvrir une pathologie grave et il est astreint à une surveillance médicale régulière ;

- la somme qu'il demande est parfaitement proportionnée à la réalité des troubles qu'il supporte.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2017, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représentés par MeA..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- à titre principal, la demande indemnitaire se heurte à la prescription quadriennale ;

- en tout état de cause, les conclusions et moyens de la requête M. D...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 juin 2017 à 12H00.

Un mémoire présenté pour M. D... a été enregistré le 30 juin 2017 à 12H13, postérieurement à la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et notamment son article 53 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 96-98 du 7 février 1996 ;

- le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, notamment son chapitre II relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante et aux décisions du fonds ;

-l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gil Cornevaux ;

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

- et les observations de Me B...représentant M. D...et Me A...représentant le CHU de Bordeaux.

Considérant ce qui suit :

1. M. D...qui a exercé la profession d'agent de sécurité du 27 janvier 1978 au 1er mai 2013 au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux a formé le 10 juin 2013 une demande indemnitaire d'un montant global de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice "d'anxiété" et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison de son exposition aux poussières d'amiante. M. D...relève appel du jugement du 20 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.

Sur la régularité du jugement :

2. M. D...ne peut utilement invoquer, pour contester la régularité du jugement, une erreur de droit que le tribunal aurait commise, un tel moyen ayant trait, en tout état de cause, au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. Il en est de même pour l'erreur de fait et l'erreur manifeste d'appréciation que les premiers juges auraient commises en se méprenant sur le fondement de la demande présentée par le requérant qui n'ont, à les supposer établies, d'incidence la encore que sur le bien-fondé.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur 1' Etat, les départements, les communes et les établissements publics: "Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : "La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. 1 Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...)". Aux termes de l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".

4. Lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance. Or, M. D...n'établit, ni même n'allègue, que lui-même ou des tiers aient fait les diligences nécessaires pour obtenir du CHU de Bordeaux la réparation des préjudices qui résulteraient d'une exposition aux poussières d'amiante, notamment par la présentation d'une demande indemnitaire ou l'introduction d'une action juridictionnelle à fin de condamnation de l'établissement hospitalier.

5. Le fait générateur de la créance que M. D...prétend détenir sur le centre hospitalier universitaire de Bordeaux est la faute commise par cet établissement en sa qualité d'employeur dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante. Le requérant soutient qu'en application des dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, son préjudice, qui est lié au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante se poursuit autant que le risque de déclaration d'une telle pathologie existe soit jusqu'à trente-cinq ou quarante ans après la fin de l'exposition, qui se poursuit actuellement.

6. En premier lieu, M. D...indique expressément dans sa requête avoir pris conscience des risques encourus liés à une exposition aux poussières d'amiante et souffrir du préjudice d'anxiété depuis l'année 1998. A cette même période, le centre hospitalier universitaire a installé un comité de pilotage amiante et la médecine du travail a étendu aux agents de sécurité le contrôle systématique mis en place pour les agents des services techniques à partir de 1996, consistant en une radio pulmonaire tous les deux ans et un scanner tous les dix ans. Enfin, les services de médecine du travail ont formé l'ensemble des agents exposés à l'amiante sur les risques encourus, les mesures de protection et les précautions à prendre au cours des années 2000 et 2001.

7. En deuxième lieu, M. D...doit être réputé avoir nécessairement eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation et dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété à compter de la publication du décret du 23 octobre 2001 relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante publié le 24 octobre 2001 qui présente notamment le détail de la procédure d'indemnisation et reconnaît la possibilité d'une origine professionnelle de l'affection liée à l'exposition à l'amiante alors que des maladies professionnelles liées à l'amiante ont été déclarées au CHU de Bordeaux à compter des années 1995 et 1998, et ce même si cet établissement ne faisait pas partie de la liste des établissements particulièrement signalés, et sans que l'attestation individuelle, délivrée par son employeur, dont il se prévaut, qui ne fait qu'indiquer la nature et les périodes d'exposition aux fibres d'amiante ainsi qu'inventorier les équipements de protection tant individuels que collectifs, mis à sa disposition dès l'année 2000, ne puisse être regardée, ni comme une cause interruptive ou suspensive de prescription, ni comme le point de départ où l'intéressé aurait eu réellement connaissance de l'étendue du risque à l'origine de son préjudice.

8. Il suit de là que le requérant doit être regardé comme ayant eu connaissance au plus tard à partir de l'année 2001 des risques liés à une exposition et d'une éventuelle défaillance de son employeur dans la mise en oeuvre des mesures de protection. Le délai de prescription quadriennale, qui a ainsi commencé à courir à compter du 1er janvier 2002, était dès lors expiré le 31 décembre 2005. Par suite à bon droit que le directeur du centre hospitalier universitaire de Bordeaux a pu, et ainsi que le tribunal administratif de Bordeaux l'a confirmé, opposer la prescription quadriennale à la demande d'indemnisation adressée par M.D.... Par suite, l'exception de prescription quadriennale invoquée doit être accueillie.

9. A supposer même que M. D...n'ait eu connaissance réellement du risque dont il fait état du fait que les représentants du personnel ont d'une part exercés leur droit d'alerte notamment en 2003 et qu'ils ont alertés, le 30 septembre 2004, la direction du CHU de Bordeaux sur le fait qu'aucun dossier technique amiante n'avait été établi, la prescription qui aurait ainsi commencée le 1er janvier 2005, serait de toute façon acquise à la date à laquelle l'intéressé a adressé sa demande indemnitaire à l'administration, soit le 10 juin 2013.

10. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. D...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 octobre 2017.

Le rapporteur,

Gil CornevauxLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

No16BX00230


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00230
Date de la décision : 09/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Point de départ du délai.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Faits n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique - Faits de guerre.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Gil CORNEVAUX
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SELARL AFC-LEDERMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-10-09;16bx00230 ?
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