Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2016 par lequel le préfet de la Charente a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1602831 du 15 mars 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté contesté et enjoint au préfet de la Charente de réexaminer la situation de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 mars 2017, le préfet de la Charente demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal par M.B....
Il soutient que :
- l'arrêté du 14 novembre 2016 a été signé par une autorité compétente ;
- l'acte de naissance produit par M. B...est faux, selon le rapport circonstancié des services de police spécialisés ;
- l'intéressé n'est pas isolé dans son pays d'origine puisqu'il a fait établir un deuxième acte de naissance par sa soeur ; il ne remplit donc pas les conditions pour bénéficier du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- son éloignement ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- s'il déclare à présent qu'un éloignement vers le Mali lui serait préjudiciable en raison de son homosexualité, cette circonstance n'est pas établie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2017, M.B..., représenté par Me Rahmani, conclut au rejet de la requête, demande qu'il soit enjoint au préfet de la Charente de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " et que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- il n'est pas justifié d'une délégation régulière de signature à M.C... ;
- il n'est pas contesté qu'il a été pris en charge avant son seizième anniversaire ;
- les services de police n'ont pas mis en cause l'authenticité de l'acte de naissance produit en raison d'un vice dans sa légalisation ; conformément à la loi malienne il a donc sollicité dans un premier temps un jugement supplétif d'acte de naissance qui a permis l'obtention d'un nouvel extrait, qui fait nécessairement l'objet d'un numéro différent du précédent en application de la loi malienne ; sa minorité a toujours été acceptée par les autorités françaises et par le juge des enfants ; il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est pris en charge par le service d'aide sociale à l'enfance depuis plus de deux ans, a suivi des études et une formation, et le refus de titre de séjour méconnaît donc l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il en va de même de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- cette décision est par ailleurs dépourvue de base légale ;
- la décision fixant le pays de renvoi viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des risques qu'il encourrait en cas de retour au Mali en raison de son homosexualité.
Par ordonnance du 27 avril 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 6 juin 2017 à 12 heures.
M. B...a conservé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du tribunal de grande instance de Bordeaux du 29 juin 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité malienne, est entré en France en 2014, alors qu'il était mineur, et a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Charente. Le 16 décembre 2015, le département de la Charente a sollicité pour son compte la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 14 novembre 2016, le préfet de la Charente a refusé cette délivrance et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de renvoi. Le préfet relève appel du jugement du 15 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté préfectoral et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de M.B....
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ". Et selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
3. Pour refuser à M. B...la délivrance du titre de séjour sollicité sur le fondement du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Charente s'est fondé sur la circonstance que les actes de naissance présentés par l'intéressé et établis successivement les 8 août 2014 et 22 mars 2016 ne pouvaient être regardés comme authentiques et comme établissant donc avec certitude qu'il avait été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans.
4. Il ressort des pièces du dossier que le service spécialisé de la direction départementale de la police aux frontières de la Charente a émis le 19 février 2016 un avis défavorable sur l'authenticité de l'acte de naissance détenu par M.B..., délivré le 8 août 2014 par le centre principal de la commune 4 de Bamako. Les réserves de ce service ne portaient toutefois que sur un doute quant à la légalisation de cet acte, tenant à ce qu'elle était établie au moyen d'un cachet comportant la mention " centre secondaire ", les officiers d'état civil de tels centres n'ayant en principe pas les mêmes habilitations que ceux des centres principaux. Le rapport de police relève par ailleurs que le document possède toutes les caractéristiques d'un authentique acte d'état civil malien, sans traces de fraude, et que le cachet humide circulaire de l'officier d'état civil présente lui-même toutes les garanties d'authenticité. Par ailleurs, M. B...a fait établir, sur jugement supplétif du 15 mars 2016, un nouvel acte de naissance aux mentions conformes et cohérentes avec celles du premier, délivré le 22 mars 2016 par le centre secondaire d'état civil de Hamdallaye, à Bamako, et dont les services de police ont constaté, par un rapport du 17 mai 2016, qu'il présente toutes les caractéristiques d'un acte authentique ainsi qu'une légalisation régulière. Si ce second rapport relève néanmoins que cet acte porte un numéro d'identifiant de référence différent de celui délivré le 8 août 2014, le requérant explique sans être contredit que, conformément à la réglementation en vigueur au Mali, les actes établis sur jugement supplétif reçoivent un nouveau numéro d'identification. Dans ces conditions, et alors que les autorités maliennes n'ont pas été saisies aux fins de contre-vérification des documents d'état civil en cause, le préfet ne peut être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère inauthentique de ces documents ou de ce que leurs mentions ne seraient pas conformes à la réalité.
5. M. B...étant né le 13 novembre 1998 selon les actes de naissance qu'il a produits, il n'avait donc pas seize ans lorsqu'il a été placé sous la protection du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Charente par un jugement du tribunal d'instance d'Angoulême du 12 novembre 2014. Le préfet de la Charente ne pouvait, par suite, lui refuser la délivrance du titre de séjour sollicité sur le fondement du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif qu'il ne remplissait pas cette condition d'âge. Si, par ailleurs, le préfet relève que M. B...conserve de la famille au Mali en la personne d'une soeur, il ne ressort ni des mentions de l'arrêté litigieux ni des pièces du dossier, comme l'a indiqué le tribunal, qu'il aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Charente n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 9 novembre 2016 refusant de délivrer un titre de séjour à M. B...ainsi que, par voie de conséquence, les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la demande de M. B...soit réexaminée. Le tribunal ayant déjà prononcé à l'endroit du préfet de la Charente une injonction exécutoire en ce sens, il n'y a pas lieu de réitérer celle-ci.
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rahmani, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE
Article 1er : La requête du préfet de la Charente est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Rahmani, avocat de M.B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Rahmani. Copie en sera adressée au préfet de la Charente.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2017 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 1er août 2017.
Le rapporteur,
Laurent POUGET Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Virginie MARTY La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX00862