Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...G..., M. B...A...et M. F...A...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices moraux subis du fait du suicide de M. C...A..., leur fils et frère, survenu le 28 mars 2011 à la maison centrale de Saint-Martin de Ré.
Par un jugement n°1301098 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 août 2016, Mme G...et MMA..., représentés par MeD..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 juin 2016 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 40 000 euros à Mme G...ainsi que la somme de 20 150 euros respectivement à M. B...A...et à M. F...A..., en réparation des préjudices moraux subis par eux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le risque suicidaire de Julien A...était connu de l'administration pénitentiaire ;
- les services pénitentiaires ont commis plusieurs fautes qui sont la cause directe du suicide de JulienA... ; il appartient à l'administration d'apporter la preuve qu'elle a tout mis en oeuvre pour prévenir le risque suicidaire, non seulement en termes de surveillance et de kits de protection, mais aussi en termes d'affectation et de placement en cellule disciplinaire ; l'état de santé psychique de Julien A...n'a pas été pris en compte lors de son affectation en maison centrale, structure particulièrement peu adaptée à l'accompagnement psychiatrique et à la prescription de soins ; cet état de santé n' pas davantage été pris en compte lors de son placement en cellule disciplinaire ; l'administration pénitentiaire a en outre commis une succession de fautes le soir du suicide du 28 mars 2011 ; seules deux rondes ont été effectuées par le personnel de surveillance en charge du quartier disciplinaire dont la seconde avec un retard de quinze minutes, et la ronde dite " auditive " effectuée entretemps ne saurait constituer une mesure de surveillance appropriée ; l'agent pénitentiaire qui a découvert le corps de Julien A...ne disposait pas des clés de la cellule de sorte plusieurs minutes se sont écoulées entre le moment de la découverte du corps et celui de l'ouverture de la cellule ;
- le décès de Julien A...leur a causé un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en octroyant la somme de 40 000 euros à MmeG..., mère de M. C...A..., ainsi que la somme de 20 150 euros à chacun de ses frères.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que, faute d'éléments nouveaux, il s'en remet à ses écritures produites devant le tribunal.
Par une ordonnance du 31 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juin 2017 à 12h00.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de M. F...de la Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...A..., né le 23 mai 1982, était incarcéré depuis le 4 juillet 2006 à la suite d'une condamnation à une peine de sept ans d'emprisonnement pour des faits de violences aggravées et de vol aggravé en récidive. Incarcéré successivement au sein des maisons d'arrêt de Bordeaux, de Pau et de Tulle, puis des centres de détention de Mont-de-Marsan et de Neuvic, il a été transféré à la maison centrale de Saint-Martin de Ré le 20 octobre 2010. Alors qu'il était placé dans la cellule n°7 du quartier disciplinaire depuis le 20 mars 2011 à la suite du prononcé à son encontre d'une sanction disciplinaire de placement en quartier disciplinaire pour trente jours dont dix avec sursis, il s'est suicidé le 28 mars 2011 dans sa cellule. MmeG..., sa mère, et MM. B...et F...A..., ses frères, relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices moraux qu'ils estiment avoir subis à la suite du décès de M. C...A....
Sur la responsabilité :
2. Il résulte de l'instruction que M. C...A...présentait de graves troubles psychiatriques pour lesquels il faisait l'objet d'un suivi médical, troubles qui étaient connus de l'administration pénitentiaire, qui s'était d'ailleurs prononcée favorablement le 21 mars 2011 au transfert de ce dernier vers la maison centrale sanitaire de Château-Thierry afin qu'il fasse l'objet d'un suivi psychiatrique plus adapté et qu'il bénéficie d'un rapprochement familial à même d'induire des effets bénéfiques sur son état de santé. Le formulaire renseigné par l'administration à l'appui de cette demande de transfert mentionne, concernant l'état de santé de l'intéressé, le risque de " geste auto ou hétéro agressif ". Il résulte également du rapport établi le 29 mars 2011 par le directeur de la maison centrale de Saint-Martin de Ré que la mère de M. C...A...avait alerté à plusieurs reprises l'administration pénitentiaire, la dernière fois par un appel téléphonique du 8 mars 2011, sur l'état mental de son fils et sa crainte d'un geste suicidaire. Par un courrier du 16 mars 2011 adressé à la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux, le directeur de la maison centrale de Saint-Martin de Ré indique que " ces derniers jours l'inquiétude a été grandissante pour l'intéressé (...) il a été vu assis, prostré par terre dans sa cellule, la couverture le recouvrant, endormi tout habillé sur une chaise en pleine nuit, nu sur son lit ". La " fiche signalétique suicide ", renseignée suite au décès de l'intéressé, mentionne quant à elle que le détenu était sous une surveillance spéciale en raison, notamment, " de son comportement inquiétant et du signalement de sa mère ", et précise, s'agissant des précautions mises en place, " mise en surveillance spéciale, couverture indéchirable ". Enfin, lors de leurs auditions par les services de police, les surveillants ayant découvert le corps sans vie de M. C... A...ont indiqué, pour l'un, avoir connaissance d'une précédente tentative de pendaison de l'intéressé, et pour l'autre, qu'il lui " semblait qu'il présentait un risque suicidaire ". Dans ces conditions, l'administration pénitentiaire, qui indique d'ailleurs dans ses écritures devant le tribunal que " le risque suicidaire n'avait quant à lui pas été considéré comme important, bien que ne pouvant être exclu ", ne pouvait ignorer le risque suicidaire de M. C...A..., alors même que le personnel médical ne l'avait pas alertée de l'imminence d'un passage à l'acte et n'avait pas considéré que son état était incompatible avec un placement en cellule disciplinaire.
3. Or, en organisant des rondes visuelles de nuit espacées d'environ deux heures, l'administration ne peut être regardée comme ayant mis en place un dispositif de surveillance suffisant de M. C...A.... Au surplus, et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le service pénitentiaire, qui avait pourtant délivré à l'intéressé le 20 mars 2011, jour de son placement en cellule disciplinaire, une dotation de protection d'urgence, ne lui a pas renouvelé cette dotation le 28 mars 2011 et a laissé à sa disposition le matériel lui permettant de passer à l'acte, à savoir une housse de matelas déchirable, un stylo à bille et un contour d'assiette en plastique, alors qu'il était affecté dans une cellule individuelle de sorte qu'aucun détenu ne pouvait le cas échéant contrecarrer un geste suicidaire. Dans les circonstances de l'espèce, le suicide de M. C...A...doit être considéré comme étant la conséquence directe de cette succession de négligences, qui constitue une faute imputable au service pénitentiaire.
4. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser.
5. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par les requérants.
Sur la réparation :
6. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par les requérants en condamnant l'Etat à verser la somme de 20 000 euros à Mme E...G..., mère de M. C...A..., et la somme de 10 000 euros chacun à M. B...A...et M. F...A..., frères de la victime.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1301098 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 20 000 euros à Mme E...G...ainsi que la somme de 10 000 euros respectivement à MM. B...et F...A....
Article 3 : L'Etat versera aux requérants la somme globale de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...G..., à Messieurs B...et F...A...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2017 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 juillet 2017.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Virginie MARTYLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02830