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27/06/2017 | FRANCE | N°17BX00873

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 27 juin 2017, 17BX00873


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 17 février 2017 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1700787 du 20 février 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre des frais de procès.

Procédure devant la cour :

Par

une requête, enregistrée le 21 mars 2017, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 17 février 2017 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1700787 du 20 février 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre des frais de procès.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2017, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 20 février 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que l'ingérence dans la vie familiale de l'intéressé, sans enfants et sans lien personnel ancien et intense en France, dont l'épouse a initié tardivement une procédure de regroupement familial, n'est pas disproportionnée, que le requérant pourra poursuivre sa vie familiale hors de France et que le parcours de l'intéressé démontre un non respect flagrant des lois de la République et une absence d'intégration.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 mai 2017, M.A..., représenté par Me C..., conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- l'arrêté attaqué ne répond pas à l'exigence de motivation imposée par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; la motivation de l'arrêté constitue une clause de style ; la décision est motivée par des généralités et non par des circonstances précises et concrètes ; cette motivation succincte et stéréotypée ne satisfait pas à l'exigence de motivation en fait permettant au juge d'effectuer son contrôle ;

- en ne soumettant pas le refus de séjour à la procédure contradictoire, le préfet a entaché d'illégalité sa décision au regard de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoyant que hors les cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles devant être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions prises en considération de la personne sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ; l'article L. 122-1 précise que les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ; la Cour devra examiner avec attention le procès-verbal d'audition du 16 février 2017 ; certes, à la fin de l'audition, les enquêteurs visent les principes fondamentaux de l'Union européenne dont le principe général du droit à bonne administration et le fait qu'il est informé qu'une décision d'éloignement est susceptible d'être prise ; il est, alors, indiqué la possibilité de présenter spontanément des observations écrites ou orales ; pour autant, force est de constater que les observations n'ont pas été recueillies ; il n'a pas été expressément indiqué qu'il n'avait pas d'observations ; il a été entendu non sur sa situation administrative mais sur les raisons de son interpellation et n'a donc pas été mis en mesure de présenter les observations utiles ;

- le défaut d'examen de sa situation est révélé par la motivation de l'arrêté litigieux ;

- le droit d'être entendu a pour objectif de mettre à même l'administration de tenir utilement compte de l'ensemble des éléments pertinents relatifs à une situation donnée, comme l'a précisé la Cour de Justice de l'Union Européenne ; en ne sollicitant pas les éléments pertinents et nécessaires à un examen exhaustif de sa situation, l'administration a failli à son obligation d'examen de chaque situation particulière ;

- la décision litigieuse porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ; l'administration n'a pas examiné si cette atteinte était caractérisée ; il bénéficie d'une ancienneté au séjour non continue mais très importante ; il est entré une première fois en France en 1992, soit il y a 25 ans, une seconde fois le 7 janvier 2000, sous couvert d'un visa de 30 jours puis à la fin de l'année 2014 ; il réside depuis cette date en France ; il a initié de nombreuses démarches pour régulariser sa situation et a été mis en possession de 9 récépissés ; par deux fois, des décisions de justice ont annulé des mesures d'éloignement prononcées à son encontre ; il justifie d'attaches stables, intenses et anciennes sur le territoire national ; il entretient une relation amoureuse avec une Algérienne; la réalité des sentiments des époux n'est pas discutée ; il l'a épousée le 6 mai 2014 ; elle est titulaire d'une carte de résidant depuis 2011 ; ils vivent ensemble à Colomiers ; il résulte des procès-verbaux de gendarmerie produits aux débats qu'il est domicilié... ; son épouse a confirmé la réalité de cette union en précisant qu'un dossier de regroupement familial a été déposé ; il peut incontestablement se prévaloir d'une vie familiale en France ; il existe, en l'espèce, des empêchements à la poursuite de sa vie de couple en cas d'éloignement vers la Tunisie ; l'installation de son épouse dans ce pays constituerait pour elle un véritable déracinement et se heurterait à de réels obstacles pratiques et même juridiques ; sa vie privée et familiale ne peut se dérouler ailleurs qu'en France compte tenu des différences de nationalité ; son épouse est la mère de trois enfants, tous de nationalité française ; ils n'ont pas été destinataires de la décision de rejet de la demande de regroupement familial ; la circonstance que les époux relèvent de la procédure de regroupement familial ne permet pas d'écarter la violation des stipulations susmentionnées ; le regroupement familial a été refusé compte tenu du caractère instable de l'emploi de son épouse ; dans l'hypothèse d'un éloignement, les époux seraient séparés très longtemps ; la relation amoureuse a débuté en 2002, il y a 15 ans ; le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe et la Cour Européenne des droits de l'Homme ont émis un avertissement à l'attention de l'Etat français concernant les procédures de regroupement familial ; les conditions de l'interpellation ne permettent pas, à elles seules, de dénier l'intégration qui est la sienne en France en l'absence de fait caractérisant une menace grave pour l'ordre public ; il n'a jamais été condamné pénalement, maîtrise la langue française et contrairement à ce qu'affirme le préfet, il justifie de perspectives professionnelles, a travaillé en France, est en capacité de travailler sur le territoire et participe aux besoins du foyer ; le préfet ne discute pas utilement la motivation du jugement et ne discute même d'aucun des éléments retenus ;

- en tout état de cause, l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; il appartient toujours au préfet de s'assurer de l'absence de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la situation personnelle de l'étranger ; l'administration n'a pas procédé à un tel examen ;

- le refus de tout délai de départ volontaire est entaché d'un défaut de motivation, tant en fait qu'en droit, en violation de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; ce délai doit être examiné en fonction de la situation personnelle de l'étranger, de sorte que le préfet est tenu de justifier sa décision au regard de la durée du séjour, la scolarisation des enfants, la vie privée ou les " liens sociaux évoqués par l'article 7.2 de la directive retour, l'intérêt supérieur de l'enfant, la vie familiale ; en application des articles 5 et 14 de la directive retour, la vulnérabilité de l'étranger exige que l'on respecte ses besoins particuliers ; la motivation de la décision doit justifier d'un examen particulier ; la décision litigieuse est insuffisamment motivée en fait et en droit sur ce point ; la décision refusant un délai de départ volontaire et qui n'intervient pas à sa demande est contraire à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ; le préfet n'a pas respecté cette exigence tirée des principes généraux du droit de l'Union européenne et a entaché sa décision d'une erreur de droit ; en tout état de cause, sa décision est dépourvue de base légale ; elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dans la mesure où le préfet qui s'est placé à tort dans un cas de compétence liée n'a pas examiné sa situation ; le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation, aucun risque de fuite n'étant en l'espèce, caractérisé.

Le 15 mai 2017 M. A...a demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré présentée par le préfet de la Haute-Garonne a été enregistrée le 31 mai 2017.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 20 février 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 17 février 2017 obligeant M.A..., de nationalité tunisienne, à quitter sans délai le territoire français et fixant le pays de renvoi.

2. Le 15 mai 2017, M. A...a demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par application de l'article 41 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, il y a lieu de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser un titre de séjour à un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à sa situation. Le préfet peut, toutefois, tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.

4. Entré irrégulièrement en France en 1992, M. A...a été reconduit à la frontière le 3 septembre 1994. Revenu en France en janvier 2000, il s'y est maintenu irrégulièrement après l'expiration de son visa et en 2004, a épousé une Française. En dépit de l'annulation du mariage, déclaré frauduleux, il s'est maintenu sur le territoire et a sollicité en mars 2010 son admission au séjour. Après avoir été à nouveau reconduit en Tunisie en novembre 2013, il est revenu irrégulièrement en France selon ses dires en 2014 et a épousé le 6 mai 2014, une Algérienne titulaire d'un certificat de résidence jusqu'en juin 2021, mère de trois enfants majeurs issus d'une précédente union. La communauté de vie entre les époux n'est pas contestée par le préfet. Si ce dernier soutient que la vie familiale du couple peut se poursuivre hors de France, il n'apporte à l'appui de ses allégations aucune précision sur les circonstances qui ôteraient à l'épouse du requérant toute vocation à résider en France où elle travaille depuis l'année 2002 et où vivent ses enfants. Dans les circonstances de l'affaire, en dépit de l'irrégularité des conditions d'entrée et de séjour en France de M.A..., alors même, d'une part, qu'il ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et n'a pas respecté cette procédure, d'autre part, qu'il n'était pas dépourvu de toute attache en Tunisie, en prononçant à son encontre une mesure d'éloignement, le préfet de la Haute-Garonne a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision et, par voie de conséquence, la décision distincte fixant le pays de renvoi.

5. M. A...a été admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle. En application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve de la décision à intervenir du bureau d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à MeC..., le recouvrement de cette somme valant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Dans le cas où le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne serait pas accordé à M. A...par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à celui-ci en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : M. A...est admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le recours du préfet de la Haute-Garonne est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à Me C...la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, le recouvrement de cette somme valant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Dans les cas où le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne serait pas accordé à M. A...par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à celui-ci en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B...A...et à MeC.5 allées du Mont d'Olmes - 31170 Colomiers Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Gil Cornevaux, président assesseur,

Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 juin 2017.

Le rapporteur,

Marie-Thérèse Lacau Le président,

Elisabeth Jayat Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX00873


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00873
Date de la décision : 27/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit au respect de la vie privée et familiale (art - 8) - Violation - Séjour des étrangers.

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Marie-Thérèse LACAU
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SELARL SYLVAIN LASPALLES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-06-27;17bx00873 ?
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