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06/06/2017 | FRANCE | N°16BX04153

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 06 juin 2017, 16BX04153


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler, d'une part, l'arrêté du 19 juillet 2016 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, l'arrêté du 13 octobre 2016 par lequel le préfet du Tarn a décidé son assignation à résidence.

Par un jugement n° 1604583 du 14 octobre 2016, le magistrat désigné par le pré

sident du tribunal administratif de Toulouse, statuant selon la procédure prévue au III d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler, d'une part, l'arrêté du 19 juillet 2016 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, l'arrêté du 13 octobre 2016 par lequel le préfet du Tarn a décidé son assignation à résidence.

Par un jugement n° 1604583 du 14 octobre 2016, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, statuant selon la procédure prévue au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi contenues dans l'arrêté du préfet du Tarn du 19 juillet 2016 et annulé l'arrêté du 13 octobre 2016 du préfet du Tarn décidant son assignation à résidence.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 décembre 2016, M.D..., représenté par Me Durand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 octobre 2016 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi contenues dans l'arrêté du préfet du Tarn du 19 juillet 2016 ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) d'enjoindre au préfet du Tarn de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à exercer une activité professionnelle, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les décisions litigieuses sont fondées sur un refus de séjour illégal ; en effet :

* le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé en fait ; il ne mentionne pas que l'épouse de Mme D...est atteinte d'une pathologie particulièrement lourde et ne se prononce pas sur les conséquences d'un refus de titre de séjour sur la situation des enfants du couple ;

* le défaut de motivation du refus de séjour révèle l'absence d'examen particulier de sa situation ;

* le refus de séjour ne procède pas d'un examen attentif des conditions particulières de sa situation, son épouse ayant été admise au séjour jusqu'en janvier 2017 en raison de la pathologie grave dont elle souffre ;

* le préfet, qui s'est cru lié par l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, a commis une erreur de droit ; le préfet devait se prononcer lui-même sur la nécessité de sa présence aux côtés de son épouse ;

* le refus de séjour a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des stipulations de l'article 6-5° de l'accord franco-algérien et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; en effet, il est marié depuis le 30 juin 1998, soit 18 ans à la date de l'arrêté, avec MmeB..., et deux fils sont nés de leur union, Mohammed, le 18 juin 1999, et Chourouk, le 20 décembre 2001 ; son épouse est atteinte d'un cancer ; a débuté des soins en France en décembre 2015 et subi une opération chirurgicale le 18 février 2016 ; son état de santé nécessitant des soins dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle a été admise au séjour ; il produit plusieurs certificats médicaux attestant de sa nécessaire présence aux côtés de cette dernière, dont l'état psychologique est en outre très fragile ; il n'est nullement établi, eu égard notamment au risque de rechute, que son épouse pourrait recevoir les soins appropriés en Algérie après l'expiration de son titre de séjour en janvier 2017, de sorte que la séparation du couple sera durable ; son épouse est titulaire d'une autorisation de séjour valable jusqu'en janvier 2017 mais devrait bénéficier d'un titre de séjour d'un an ; il justifie d'une promesse d'embauche et est impliqué bénévolement dans une association ; ses enfants sont scolarisés en France ;

* le refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; ses enfants, mineurs, seraient séparés de l'un de leurs parents en cas d'exécution de l'arrêté ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'insuffisante motivation de la décision d'éloignement révèle l'absence d'examen particulier de sa situation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée en fait ;

- le préfet n'a pas pris en compte sa situation pour désigner le pays de renvoi.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2017, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le refus de séjour est motivé, de sorte que l'obligation de quitter le territoire français l'est aussi ;

- il ne s'est pas cru lié par l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé ;

- la présence du requérant aux côtés de son épouse n'est pas indispensable ; cette dernière pourra recevoir des soins appropriés à son état en Algérie et, le cas échéant, être transférée en France pour y recevoir les soins que son état nécessite ; le refus de séjour n'a ainsi pas portée une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ;

- le requérant ne justifie pas de motif exceptionnel ou humanitaire au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant n'ont pas été méconnues ; les enfants de M.D..., scolarisés seulement une année en France, peuvent repartir vivre en Algérie avec leurs parents.

Par une ordonnance du 6 mars 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 mars 2017 à 12 heures.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 décembre 2016.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.D..., ressortissant algérien né le 28 juin 1971, est entré en France le 30 juillet 2015 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités espagnoles et a sollicité le 27 mai 2016 la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 19 juillet 2016, le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un arrêté du 13 octobre 2016, ladite autorité l'a assigné à résidence. Par un jugement du 14 octobre 2014, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, statuant selon la procédure prévue au III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi contenues dans l'arrêté du préfet du Tarn du 19 juillet 2016 et annulé l'arrêté du 13 octobre 2016 du préfet du Tarn décidant son assignation à résidence. M. D... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du préfet du Tarn du 19 juillet 2016 l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien: " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition de l'intéressé, que M. D...est entré en France, accompagné de son épouse et de leurs deux enfants mineurs, afin que son épouse, atteinte d'un cancer du sein, reçoive des soins appropriés à sa pathologie. Ainsi que l'indique l'avis émis le 13 janvier 2016 par le médecin de l'agence régionale de santé, l'état de santé de cette dernière nécessite des soins dont le défaut entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, soins qui doivent être poursuivis pendant un an et qui ne peuvent lui être dispensés en Algérie. Le préfet du Tarn l'a admise au séjour en qualité d'étranger malade, sous couvert d'autorisations provisoires de séjour régulièrement renouvelées jusqu'en janvier 2017. Il ressort des certificats médicaux établis les 1er décembre 2015, 21 décembre 2015, 18 février 2016 et 3 juin 2016 par deux médecins de l'Institut universitaire du cancer de Toulouse que Mme D...a suivi une chimiothérapie à partir de décembre 2015, subi en février 2016 une mastectomie avec curetage, puis suivi une radiothérapie ; à l'issue de ce traitement locorégional a été mis en place, à compter de juin 2016, une hormonothérapie, et le certificat médical du 3 juin 2016 évoque un " risque de rechute élevé ". Si le médecin de l'agence régionale de santé indique dans un courriel du 2 février 2016 qu'" il n'y a pas de caractère nécessaire de la présence d'un accompagnant aux côtés du malade au regard de l'état de santé ", ce courriel est rédigé en termes généraux et n'a pas été précédé d'un examen clinique de MmeD.... Il ressort au contraire des certificats médicaux établis par les médecins oncologues assurant le suivi médical de Mme D...que compte tenu de " la lourdeur " et de " l'impact psychologique majeur " des traitements ainsi que de " l'état de fatigue inhérent à l'accumulation " de ces traitements, la présence, à ses côtés, de son époux, qui est " sa seule personne ressource en France ", est indispensable. Il ressort également des certificats établis les 2 juin 2016 et 2 novembre 2016 par un médecin psychiatre que Mme D...présente un état anxio-dépressif sévère, provoqué par la pathologie dont elle souffre, s'accompagnant de troubles psychotiques, et que son état psychique n'est pas stabilisé. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les deux fils de M. et MmeD..., nés respectivement les 18 juin 1999 et 20 décembre 2001, vivent en France avec leurs parents et y sont scolarisés. Dans ces conditions particulières, la décision du 19 juillet 2016 par laquelle le préfet du Tarn a décidé de refuser de délivrer un titre de séjour à M. D...a porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a, ainsi, méconnu les stipulations précitées des articles 6 5° de l'accord franco-algérien et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les décisions en litige l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi sont, par suite, privées de base légale.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. D...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation desdites décisions.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Compte tenu des motifs sur lesquels elle repose, l'annulation des décisions contestées implique nécessairement que soit délivré un titre de séjour à M.D.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Tarn de délivrer ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Durand, avocate de M.D..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Les décisions du préfet du Tarn du 19 juillet 2016 obligeant M. D...à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, ensemble le jugement n° 1604583 du 14 octobre 2016 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D...dirigées contre ces décisions, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Tarn de délivrer un titre de séjour à M. D...dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Durand, avocate de M.D..., une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera à M. A...D..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet du Tarn.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2017 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 6 juin 2017.

Le rapporteur,

Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 16BX04153


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX04153
Date de la décision : 06/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre DUPUY
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : DURAND

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-06-06;16bx04153 ?
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