La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2017 | FRANCE | N°15BX00510

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 04 mai 2017, 15BX00510


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Emitech Groupe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 octobre 2010 par laquelle le directeur du centre d'essais aéronautique de Toulouse de la Délégation générale de l'armement a infligé à la SARL AEMC Mesures, à laquelle la SA Emitech Groupe a succédé, des pénalités de retard pour un montant de 47 791,56 euros dans le cadre de l'exécution d'un marché de fourniture d'un générateur pour essais foudre sur équipements et de maintenance de cet ap

pareil, confié le 2 juin 2006.

Par ordonnance du 3 avril 2011, le président de la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Emitech Groupe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 octobre 2010 par laquelle le directeur du centre d'essais aéronautique de Toulouse de la Délégation générale de l'armement a infligé à la SARL AEMC Mesures, à laquelle la SA Emitech Groupe a succédé, des pénalités de retard pour un montant de 47 791,56 euros dans le cadre de l'exécution d'un marché de fourniture d'un générateur pour essais foudre sur équipements et de maintenance de cet appareil, confié le 2 juin 2006.

Par ordonnance du 3 avril 2011, le président de la troisième section du tribunal administratif de Paris a transmis cette demande au tribunal administratif de Toulouse, territorialement compétent pour statuer sur ce litige.

Par un jugement n° 1101648 du 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 11 février 2015 et deux mémoires enregistrés les 22 octobre 2015 et 25 novembre 2016, le ministre de la défense demande à la cour de réformer le jugement du 18 décembre 2014 du tribunal administratif de Toulouse et de rejeter la demande de la société Emitech Groupe.

Le ministre soutient que :

- la fusion-absorption constitue un apport total de patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, celle-ci se trouvant dès lors substituée de manière automatique dans l'ensemble des biens, droits et obligations de la société absorbée et devant assurer la continuation des engagements souscrits par cette dernière. Le marché à raison duquel la société Emitech Groupe est redevable de pénalités de retard a donc été transféré, en même temps que tous ses droits et obligations, qui font partie du patrimoine, de l'ancien titulaire AEMC Mesures devenu ensuite Emitech Mesures, à la société Emitech Groupe lors de la réalisation de l'opération de fusion-absorption impliquant ces deux dernières sociétés, conformément aux articles L. 236-1 et L. 236-3 du code de commerce. Le tribunal a ainsi considéré à tort que la société Emitech Groupe, laquelle, a, au demeurant, admis avoir repris 1'exécution du contrat, n'avait pas en l'espèce la qualité de cocontractant de l'administration et que la décision en litige était dès lors dépourvue de base légale ;

- si l'administration n'a pas expressément donné son accord à la cession du marché en cause, ce qui ne saurait lui être reproché compte tenu des circonstances et du défaut de transparence de la société intimée sur ce point, elle a toutefois tacitement approuvé cette cession dès qu'elle a eu connaissance de l'opération de fusion-absorption des sociétés Emitech Mesures et Emitech Groupe en infligeant à cette dernière, devenue titulaire du marché en cause, les pénalités de retard en litige ;

- contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, la société Emitech Mesures n'a pas racheté la société AEMC Mesures. Il s'agit en fait d'un simple changement de dénomination sociale et de siège social concernant la même société. Dans un second temps, le président-directeur-général (PDG) de la société Emitech Groupe, par ailleurs associé unique et cogérant de Emitech Mesures, et l'autre cogérant de cette dernière ont décidé d'attribuer et de céder à la société Emitech Groupe l'ensemble des parts sociales composant le capital social de la société Emitech Mesures, titulaire du marché, devenue ainsi la filiale à 100% de la société Emitech Groupe. Ce processus de rapprochement a finalement abouti à une fusion entre ces deux sociétés ;

- dans la mesure où l'opération de fusion-absorption est intervenue en janvier 2009, date à laquelle la société Emitech Mesures a disparu, celle-ci ne pouvait donc, onze mois plus tard, contester le décompte provisoire de pénalités daté du 18 octobre 2010. C'est donc forcément la société Emitech Groupe qui a contesté ce décompte, dans le cadre de l'exécution du marché en cause qu'elle a assurée à compter de la fusion entre les deux sociétés. Les erreurs de fait entachant le jugement portent sur des éléments qui ont eu une influence directe sur la solution apportée au présent litige ;

- si la société intimée lui reproche d'avoir commis une faute en imposant comme sous-traitant la société Harmonix, qu'elle considère comme seule responsable des retards ayant justifié l'application de pénalités contractuelles, ces allégations ne reposent sur aucun élément de preuve et sont du reste contredites par la proposition technique et commerciale de la société AEMC Mesures, initialement titulaire du marché, laquelle indiquait, dès le stade de la présentation des offres dans le cadre de la passation du marché, qu'elle " s'associe avec Harmonix pour la sous-traitance de la fabrication d'un générateur foudre multistroke/multiburst". Ce moyen n'est destiné qu'à permettre à la société intimée de se décharger de sa responsabilité dans le cadre d'une inexécution manifeste et totale des prestations du marché, laquelle constitue une faute du titulaire du marché en cause sanctionnée par des pénalités de retard conformément aux stipulations du marché ;

-les dispositions législatives et réglementaires, notamment l'article 113 du code des marchés publics, ainsi que les stipulations contractuelles en vigueur de l'article 3.28 du CCAG/MI impliquent que les défaillances du sous-traitant, proposé par le titulaire du marché et accepté par le maître d'ouvrage au regard de l'acte spécial de sous-traitance notifié le 15 septembre 2006, ne peuvent en l'espèce exonérer, à elles seules, la société intimée de sa responsabilité pour l'inexécution des prestations du marché dans la mesure où, en l'absence d'un lien contractuel entre le maître d'ouvrage et le sous-traitant, la société Emitech Groupe demeure seule responsable de 1'ensemble des engagements contractuels figurant dans le marché dont elle est devenue titulaire et ne peut dans ces conditions que se retourner contre son sous-traitant en vertu du contrat qu'il a signé, afin de récupérer, aux termes de l'acte spécial de sous-traitance, " le montant des pénalités de retard ou d'indisponibilité susceptible d'être dues par le titulaire, au titre du marché, pour les mêmes prestations ".

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 octobre 2015, 15 novembre 2016 et 13 décembre 2016, la société anonyme à responsabilité Emitech Groupe, représentée par Me A..., conclut au rejet de ce recours et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Emitech Groupe fait valoir que :

- le tribunal a jugé à bon droit que ni le code des marchés publics, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne traite de la cession ou du transfert des marchés publics à un tiers. Or, n'étant pas liée à la DGA dans le cadre du contrat signé par la société AEMC Mesures, aujourd'hui disparue, elle n'est pas tenue à l'égard de l'administration des conséquences de la défaillance de la société Harmonix, imposée au titulaire du marché en qualité de sous traitant. Par ailleurs, la circonstance que cette sous-traitance ait été imposée constitue une faute engageant la responsabilité de la DGA, cette dernière ne pouvant ignorer les insuffisances de la société Harmonix, tant sur le plan technique que sur le plan de son organisation interne. La DGA a ainsi concouru à son propre dommage, à le supposer établi. Dans ces conditions, la société Emitech Groupe n'est pas partie au marché public conclu le 2 juin 2006 et ne peut être redevable de pénalités de retard concernant l'inexécution de celui-ci ;

- suite au rachat de la société AEMC Mesures, elle n'a jamais pu obtenir de la société Harmonix des engagements précis au sujet de cette affaire, malgré d'incessantes relances. Cette situation lui était préjudiciable dans la mesure où une avance d'un montant de

1 467,84 euros avait été consentie à la société Harmonix par le titulaire du marché ;

- si le ministre se prévaut de l'article L. 236-3 du code de commerce, ces dispositions sont inhérentes à la transmission du seul patrimoine des sociétés en cas de fusion ou de scission sans liquidation de la société qui disparaît et non de l'ensemble des droits et obligations de cette dernière. Elles ne concernent pas les règles de passation des marchés publics, lesquelles relèvent d'un droit autonome distinct du droit des sociétés ;

Par une ordonnance du 16 novembre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 30 mars 2017 :

- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès, président assesseur ;

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

les observations de MeA..., représentant la société Emitech Groupe ;

1. Par un acte d'engagement du 2 juin 2006, le centre d'essais aéronautique de Toulouse (CEAT) de la délégation générale de l'armement, devenue la direction générale de l'armement techniques aéronautiques (DGA-TA), a confié à la société AEMC Mesures la fourniture d'un générateur pour essais foudre sur équipements et sa maintenance associée pour trois ans. La personne responsable du marché a indiqué le 23 novembre 2009 à la société Emitech Mesures, venant aux droits de la société titulaire du marché à la suite du changement de dénomination sociale intervenu en janvier 2007, qu'elle envisageait de lui infliger des pénalités de retard en l'absence de livraison de ce générateur dans le délai de huit mois imparti par le marché. Par courrier du 10 décembre 2009, le conseil de la société Emitech Mesures, filiale de la société anonyme Emitech Groupe qui l'a absorbée en janvier 2009, a contesté le décompte provisoire des pénalités de retard. La direction générale de l'armement a confirmé par une décision du 18 octobre 2010 à la société Emitech Groupe ces pénalités pour un montant de 47 791,56 euros. Le ministre de la défense relève appel du jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette dernière décision.

Sur la décision du 18 novembre 2010 :

2. Pour annuler la décision en litige, le tribunal, après avoir écarté la fin de non recevoir opposée par le ministre tirée de ce que les conclusions de la requête de la société Emitech Groupe se bornant à obtenir la seule annulation de la décision du 18 octobre 2010 infligeant des pénalités de retard à cette société, en tant que titulaire du marché, ne relevaient pas de l'office du juge du contrat, a estimé que celle-ci n'avait pas la qualité de cocontractant de l'administration et que, par suite, la décision infligeant des pénalités de retard à hauteur de 47 791,56 euros au titre des clauses du marché ne reposait sur aucun fondement juridique et était dénuée de base légale.

3. Aux termes de l'article L. 236-1 du code de commerce : " Une ou plusieurs sociétés peuvent, par voie de fusion, transmettre leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu'elles constituent ". L'article L. 236-3 du même code dispose que : " la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération(...) ".

4. Il résulte de l'instruction que la SARL AEMC Mesures, attributaire du marché en litige, a changé de siège social et de dénomination en devenant en 2007 la SARL Emitech Mesures et que cette dernière, après avoir été une filiale à 100 % de la SA Emitech Groupe, a finalement été absorbée en janvier 2009 par cette même société, à laquelle elle est donc réputée avoir apporté l'ensemble de son patrimoine, avec tous les droits et obligations qui en découlent, y compris ceux résultant des marchés en cours. Il n'est pas contesté qu'aucune procédure de liquidation n'est intervenue, et que la SARL Emitech Mesures a cessé d'exister en janvier 2009, son activité étant poursuivie, au demeurant par les mêmes personnes dirigeantes, au sein de la SA Emitech Groupe.

5. Si, en ce qui concerne les marchés publics, aucune disposition législative ou réglementaire n'avait, à la date du litige, précisé les conditions de leur transfert par suite de restructuration de la société attributaire, et qu'au regard des caractères de tels marchés, l'administration pouvait s'opposer à la poursuite de l'exécution par une personne morale distincte, même venant aux droits de la précédente, aucun texte ni aucun principe ne faisait obstacle à ce qu'elle accepte implicitement une telle poursuite. Il résulte de l'instruction que la " société Emitech " a été l'interlocuteur de l'administration à partir du mois de janvier 2009 comme en témoignent les échanges de courriers électroniques ainsi que les courriers en date du 23 novembre 2009 et du 10 décembre 2009 dans lesquels le conseil de la " société Emitech " contestait le principe même de l'application des pénalités de retard. Ainsi, l'administration doit être regardée comme ayant accepté tacitement la cession du marché résultant du changement de dénomination de la SARL AEMC Mesures devenue la SARL Emitech Mesures et de la fusion absorption de cette dernière par la SA Emitech Groupe. Dans ces conditions, au regard des dispositions du code de commerce précitées, compte tenu des liens étroits entre ces différentes sociétés et en l'absence d'élément indiquant que le marché aurait été exclu de l'ensemble des droits et obligations de la société Emitech Mesures lorsque celle-ci a été absorbée par la société Emitech Groupe, cette dernière était bien devenue le titulaire du marché en cause, comme elle l'a admis du reste dans ses écritures de première instance en indiquant qu'elle n'avait jamais pu obtenir du gérant de la société Harmonix, entreprise sous-traitante, " malgré d'incessantes relances, des engagements précis " sur la fabrication du matériel objet du marché.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision en litige au motif que la société Emitech Groupe n'était pas le cocontractant de l'administration. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par la société Emitech Groupe à l'encontre de cette décision.

7. Si la société AEMC Mesures, aux droits de laquelle vient la société Emitech Groupe, a sous-traité à la société Harmonix, par un acte spécial de sous-traitance notifié le 15 septembre 2006, la fabrication et la maintenance d'un générateur " multi burst - multi stroke ", le titulaire du marché demeurait, en vertu de l'article 113 du code des marchés publics alors applicable, seul responsable, à l'égard du maître d'ouvrage et en l'absence de tout lien contractuel entre celui-ci et le sous-traitant, de l'exécution du marché tant pour les travaux qu'il réalisait lui-même que pour ceux confiés à son sous-traitant. Par suite, le moyen tiré de ce que l'absence de livraison du matériel dans le délai de huit mois fixé dans le contrat serait imputable à la défaillance de la société Harmonix, sous-traitante, ne peut qu'être écarté quand bien même cette dernière aurait été imposée au titulaire du marché, ce qui, au demeurant, ne résulte pas de l'instruction.

8. Dans ces conditions, la direction générale de l'armement pouvait régulièrement, en application de l'article 10 du cahier des clauses administratives particulières du marché, infliger à la société Emitech Groupe, devenue titulaire du marché, des pénalités de retard, dont le montant n'est pas contesté, du fait de l'inexécution de ce contrat.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la Défense est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a annulé sa décision du 18 octobre 2010.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Emitech Groupe demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1101648 du tribunal administratif de Toulouse en date du 18 décembre 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Emitech Groupe devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à la société anonyme Emitech Groupe.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2017, à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président ;

M. Jean-Claude Pauziès, président assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 mai 2017.

Le rapporteur

Jean-Claude PAUZIÈSLe président,

Catherine GIRAULTLe greffier,

Delphine CERON

La République mande et ordonne au ministre de la défense, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 15BX00510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX00510
Date de la décision : 04/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : MANDICAS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-05-04;15bx00510 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award