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16/03/2017 | FRANCE | N°15BX00425

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 16 mars 2017, 15BX00425


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Saint-Béat a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner l'expulsion sous astreinte de M. et Mme A...des terrains et bâtiments qu'ils occupent autour du lac de Géry.

Par un jugement n° 1200166 du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février 2015 et 11 avr

il 2016, la commune de Saint-Béat, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Saint-Béat a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner l'expulsion sous astreinte de M. et Mme A...des terrains et bâtiments qu'ils occupent autour du lac de Géry.

Par un jugement n° 1200166 du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février 2015 et 11 avril 2016, la commune de Saint-Béat, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 17 décembre 2014 ;

2°) d'ordonner l'expulsion de M. et Mme A...de son domaine public, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme A...une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les installations du lac de Géry font partie du domaine public de la commune ; antérieurement à la concession qui a été consentie à M. et MmeA..., le site était affecté à l'usage du public pour des activités de loisirs ; la convention du 1er juillet 1988 a été conclue avec les époux A...aux fins de développer des activités de plein air et de loisirs sur son territoire ; pour exercer cette mission, ont été mis à leur disposition un bâtiment à usage de refuge, un plan d'eau et les terrains attenants ; par deux fois, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a admis que ces biens étaient affectés à un service public de loisirs ; les conventions conclues de 1988 à 2000 étaient exclusives du statut des baux commerciaux ; le bail des 29 avril et 4 mai 2000 contient des obligations exorbitantes de droit public ;

- les litiges nés de l'occupation sans titre du domaine public relèvent de la compétence exclusive du juge administratif ; l'occupation sans titre résulte de l'absence de tout titre d'occupation ou de l'expiration du titre précédemment détenu ;

- en matière d'expulsion, le juge administratif ne peut pas accorder de délai à l'occupant sans titre pour quitter les lieux ;

- l'occupation irrégulière du lac de Géry et le comportement des exploitants compromettent le fonctionnement normal de ce site touristique ; M. et Mme A...ont interdit l'accès du lac aux promeneurs, sauf à régler un péage d'un euro ; ils ont également autorisé la baignade sur un site où elle était interdite ; alors que la commune de Saint-Béat a toujours considéré que le lac de Géry faisait partie du domaine public et qu'elle a concédé l'exploitation du lac dans le cadre de conventions excluant formellement la qualification de contrat commercial, c'est sous la pression des époux A...que le conseil municipal de Saint-Béat a accepté la mise en place d'un bail commercial à l'irrégularité évidente ; la commune n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; par ailleurs, l'indemnisation ne peut être envisagée que si la collectivité met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu ; or, le bail était parvenu à son terme, la commune ayant seulement refusé le renouvellement ; enfin, les époux A...ayant la possibilité de revendre le mobilier qu'ils ont acquis ainsi que la licence IV dont ils indiquent être propriétaires, ils devront être déboutés de leur demande.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 15 février 2016 et 28 avril 2016, M. et MmeA..., représentés par MeD..., concluent au rejet de la requête, à la condamnation de la commune de Saint-Béat à leur verser la somme de 300 189,09 euros dans l'hypothèse où la cour retiendrait que l'ensemble immobilier appartient au domaine public de la commune et à la mise à la charge de cette dernière d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la demande de la commune est portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; les biens en cause font partie du domaine privé de la commune ; le lac a été creusé sur des terrains privés, avant d'être rétrocédé à la commune ; le lac et les terrains contigus n'ont jamais fait l'objet d'un classement ni d'un aménagement particulier ; la convention de 1988 mentionne que les terres ont un usage agricole ; les aménagements ont tous été réalisés par M. A... ; les biens n'ont jamais été ouverts directement au public ni affectés à un service public ; si la commune a tenté de développer l'activité de la pêche, c'est à la condition de s'acquitter, en plus de la carte de pêche, d'une carte spéciale journalière ; si le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a par deux fois retenu que les biens étaient affectés à un service public de loisir, ces décisions n'ont pas l'autorité de chose jugée ; enfin, la commune n'est pas fondée à invoquer la qualification de contrat administratif que les parties elles-mêmes ont donnée à la convention du 1er juillet 1988 ;

- si la cour devait considérer que les biens sont situés sur le domaine public, la responsabilité de la commune devrait être engagée dans la mesure où la signature d'un bail commercial portant sur un immeuble ultérieurement présenté comme appartenant au domaine public constituait une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard du locataire trompé ; en répondant au fond dans son deuxième mémoire, la commune a lié le contentieux ; ils doivent être indemnisés au titre des dépenses occasionnées par les travaux et aménagements qu'ils ont réalisés depuis plus de 20 ans ; ils ont transformé une simple bâtisse existante de 45 m² en un ensemble immobilier de 121 m², dont le coût des travaux s'élève à 68 000 euros, auxquels doit s'ajouter le montant de 7 054,87 euros versé à l'architecte ; cette somme est en cohérence avec l'évaluation de France Domaine du 27 octobre 2010 qui a estimé le bien immobilier à 90 000 euros ; par ailleurs, pour maintenir le niveau utile du plan d'eau, des travaux de curetage ont été réalisés dont le montant s'élève à 6 852,63 euros ; des travaux de débroussaillage et de désenclavement du canal pour un montant respectif de 3 618,79 et 4 177,46 euros ont été réalisés ; ils ont également loué du matériel de pompage avant d'acheter une pompe d'épuisement, dont le coût s'élève à 2 147,75 euros ; ils ont créé un chemin permettant aux promeneurs de faire le tour du lac, dont la valeur peut être évaluée à 10 000 euros ; ils ont obtenu une licence IV, qui participe à augmenter la valeur de l'ensemble immobilier, dont le montant peut être évalué à 15 000 euros ; les meubles du restaurant, le mini-golf, le bassin à truites et le local pour les poneys ont une valeur vénale respective de 20 000 euros, 9 000 euros, 7 000 euros et 6 000 euros ; enfin, le préjudice relatif au non-renouvellement du bail doit être évalué à hauteur du chiffre d'affaires annuel moyen réalisé de 2009 à 2012, soit 132 892,46 euros.

Par ordonnance du 18 mars 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 28 avril 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me C...représentant M. et Mme A...;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A...ont été autorisés par la commune de Saint-Béat à occuper un ensemble immobilier composé d'un plan d'eau, le lac de Géry, un bâtiment à usage de refuge et des terrains agricoles, propriétés de la commune, par une convention de mise à disposition conclue le 1er juillet 1988, régulièrement renouvelée jusqu'au 31 décembre 1999, et alors qualifiée de contrat administratif excluant l'application du régime des baux commerciaux. Par actes des 29 avril et 4 mai 2000, ces mêmes parties ont conclu pour cet ensemble immobilier un bail commercial pour exercer les activités principales de bar restauration et des activités complémentaires culturelles, sportives et de loisirs. La commune de Saint-Béat a refusé de renouveler ce bail à son échéance le 31 décembre 2008 et, estimant que ce bien appartient à son domaine public, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'ordonner l'expulsion de M. et Mme A...qui se sont maintenus dans les lieux. La commune de Saint-Béat relève appel du jugement en date du 17 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur l'appartenance des biens au domaine public :

2. Lorsqu'un tribunal administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue. Il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.

3. Indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d'occuper un bien dont elle est propriétaire, l'appartenance au domaine public d'un tel bien était, avant la date d'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.

4. Il résulte de l'instruction que le lac de Géry et les parcelles attenantes, qui étaient à l'origine propriété d'un administré de la commune de Saint-Béat, puis ensuite de la commune, n'ont fait l'objet d'aucune décision de classement dans le domaine public communal. Jusqu'au 1er juillet 1988, date de la signature de la première convention de mise à disposition, l'usage de cet ensemble immobilier était limité à l'activité de pêche qui ne pouvait être pratiquée que moyennant le paiement d'une redevance de 10 F par jour. Au demeurant, ainsi que le soutient l'intimée, sans être contestée, l'ensemble immobilier comportait à cette époque une barrière interdisant l'accès au chemin menant au lac. A compter de cette date, il n'est pas démontré que cet ensemble immobilier demeurait accessible au public en dehors des prestations fournies par la société, occupant privatif du domaine. Si le bail commercial des 29 avril et 4 mai 2000 mentionne, pour la première fois, que le lac et ses abords demeurent.libre d'accès au public, cette indication ne révèle, au mieux, une ouverture plus large au grand public du site qu'à titre accessoire à l'exploitation privative de celui-ci au bénéfice d'une clientèle privée souhaitant profiter de la base de loisirs Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la commune ait manifesté son intention d'ouvrir le site à l'usage direct du public. Par ailleurs, si l'activité de M. et Mme A...contribue à l'animation sportive et de loisirs de la commune de Saint-Béat, revêtant ainsi un caractère d'intérêt général, les conventions de mise à disposition et le bail commercial qui leur a succédé ne prévoient aucun rôle de la commune dans la programmation et la tarification des activités d'animation, ni aucun contrôle de sa part sur l'organisation et les modalités de fonctionnement de l'activité de M. et MmeA.libre d'accès au public, cette indication ne révèle, au mieux, une ouverture plus large au grand public du site qu'à titre accessoire à l'exploitation privative de celui-ci au bénéfice d'une clientèle privée souhaitant profiter de la base de loisirs En particulier, la clause de spécialisation, qui définit les activités susceptibles d'être exercées dans l'ensemble immobilier, et les annexes à la convention de bail, qui précisent en lien avec la Fédération départementale des associations agréées de la Haute-Garonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique les règles relatives à la détention d'une carte de pêche et déterminent également l'organisation de quatre journées récréatives, ne révèlent aucun droit de regard de la commune. Ainsi, la commune de Saint-Béat ne peut être regardée comme ayant entendu reconnaître un caractère de service public à l'activité de la société. Enfin, et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que l'ensemble immobilier ait fait l'objet d'un aménagement particulier, les aménagements ayant été réa1isés postérieurement par M. et Mme A...pour développer leur activité. Dès lors, les parcelles en cause doivent être regardées comme faisant partie du domaine privé de la commune de Saint-Béat. Par suite, le litige relatif à l'expulsion de cet immeuble de M. et Mme A...relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Béat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. et MmeA..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande la commune de Saint-Béat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la commune de Saint-Béat une somme de 1 500 euros sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Béat est rejetée.

Article 2 : La commune de Saint-Béat versera à M. et Mme A...une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Béat et à M. et MmeA.libre d'accès au public, cette indication ne révèle, au mieux, une ouverture plus large au grand public du site qu'à titre accessoire à l'exploitation privative de celui-ci au bénéfice d'une clientèle privée souhaitant profiter de la base de loisirs

Délibéré après l'audience du 9 février 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 mars 2017.

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Delphine CÉRON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 15BX00425


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX00425
Date de la décision : 16/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

17-03-02-02-01 Compétence. Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel. Domaine. Domaine privé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP J. LASSUS - E. NDOME MANGA - E. DINGUIRARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-03-16;15bx00425 ?
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