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14/03/2017 | FRANCE | N°15BX00325

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 14 mars 2017, 15BX00325


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La SAS Hardy a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté ses demandes du 3 février 2012 et du 5 juin 2013 tendant à la réévaluation des marges maximales sur les carburants, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 900 552 euros en réparation de son manque à gagner évalué à la date du 31 août 2013 et d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté modifiant les marges maximales sur les produits

pétroliers sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La SAS Hardy a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté ses demandes du 3 février 2012 et du 5 juin 2013 tendant à la réévaluation des marges maximales sur les carburants, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 900 552 euros en réparation de son manque à gagner évalué à la date du 31 août 2013 et d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté modifiant les marges maximales sur les produits pétroliers sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1300010 du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 2 février et le 25 mars 2015, la SAS Hardy, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

2°) d'annuler la décision implicite du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon rejetant sa demande de réévaluation de la marge maximale sur les produits pétroliers ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 1 900 552 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le décret n° 88-1048 du 17 novembre 1988 réglementant les prix de certains produits dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Hardy, importateur et distributeur exclusif d'hydrocarbures sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, a adressé le 3 février 2012 et le 5 juin 2013 au représentant de l'Etat dans cette collectivité territoriale des demandes tendant à la réévaluation des marges sur les prix de vente du fioul domestique, du gazole et de l'essence. A défaut d'obtenir des réponses, la société Hardy a saisi le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, sollicitant de ce dernier l'annulation des décisions implicites de rejet de ses demandes, qu'il soit enjoint au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon d'y faire droit et que l'Etat soit condamné à lui payer une indemnité d'un montant de 1 900 552 euros. La société Hardy relève appel du jugement du 14 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 410-2 du code de commerce issu de l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 : " Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. / Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence. / Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d'Etat, contre des hausses ou des baisses excessives des prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois. ".

3. Le décret n° 88-1048 du 17 novembre 1988 a été pris sur le fondement des dispositions alors en vigueur du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 reprises au deuxième alinéa précité de l'article L. 410-2 du code du commerce. Il a, par son article 1er, fixé les prix de vente maxima des produits pétroliers (essence extra, essence ordinaire, fioul domestique et gazole) dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Et, aux termes de son article 3 : " Les prix fixés pour les produits pétroliers peuvent être modifiés par arrêté préfectoral en fonction de l'évolution du prix des produits importés. / Le préfet peut modifier, une fois par an, les prix prévus à l'article 1er compte tenu des variations justifiées des salaires et des autres éléments de prix de revient ".

4. Il est constant que le marché des produits pétroliers sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon se caractérise par une situation monopolistique en ce qui concerne l'approvisionnement, le stockage et la distribution de carburants, la société Hardy étant le seul opérateur présent sur ce marché. Cette particularité justifie l'instauration par le décret du 17 novembre 1988, sur le fondement des dispositions législatives précitées, d'une réglementation des prix de vente pratiqués à Saint-Pierre-et-Miquelon sur ces produits.

5. Si l'article 1er du décret du 17 novembre 1988 fait obligation au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon de modifier les prix de vente maxima des produits pétroliers en fonction de la variation des droits et taxes assis sur ces produits, l'article 3 précité de ce même décret lui ouvre seulement la faculté, lorsqu'il fixe ces prix, de prendre en compte l'évolution du prix des produits importés et, une fois par an, les variations justifiées des salaires ainsi que des autres éléments du prix de revient. Par suite, le préfet n'est pas tenu de répercuter, dans les prix qu'il fixe, les variations, à la hausse ou à la baisse, des différents éléments constitutifs du prix de revient des produits pétroliers distribués à Saint-Pierre-et-Miquelon, à l'exception des droits et taxes assis sur ces produits. Il lui est ainsi loisible, sous le contrôle du juge, et à la condition de ne pas fixer les prix des produits pétroliers à un niveau manifestement inférieur à leur prix de revient, de ne pas répercuter ces évolutions pour un motif d'intérêt général, en prenant notamment en considération l'évolution tendancielle du prix des produits importés, ainsi que l'évolution du pouvoir d'achat des consommateurs et de la situation des entreprises. Aussi, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon a pu, sans commettre d'erreur de droit et sans user des pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions réglementaires et législatives précitées pour un objet autre que celui à raison desquels ils lui ont été conférés, prendre en considération, pour refuser la réévaluation des prix sollicitée par la société Hardy, l'effet inflationniste d'une augmentation des prix des hydrocarbures, dans le contexte local.

6. Par un arrêté du 3 février 2012 pris en application des dispositions précitées du décret du 17 novembre 1988, le préfet de Saint-Pierre et Miquelon a fixé les prix de vente maxima des produits pétroliers dans l'archipel à compter du 5 février 2012 à 74 euros l'hectolitre pour le fioul domestique livré par camion citerne, à 100 euros l'hectolitre pour le gazole livré par camion citerne, à 1,02 euros le litre pour le gazole à la pompe, à 1,36 euros le litre pour l'essence ordinaire et à 1,39 euros le litre pour l'essence extra. Ces prix ont été portés par la suite respectivement à 78 euros, 102 euros, 1,02 euros, 1,36 euros et 1,39 euros, par l'effet de deux arrêtés préfectoraux successifs des 19 octobre 2012 et 9 avril 2013. Il résulte de l'instruction qu'à cette date, et en fonction de ces prix, les marges de la société Hardy s'établissaient à 80,13 euros le m3 pour les ventes au détail et à 0 pour les ventes en gros s'agissant du fioul domestique, à 104,98 euros le m3 pour les ventes au détail et à 0 pour les ventes en gros s'agissant du gazole livré par camion, à 79,40 euros le m3 pour les ventes au détail et à 71,47 euros le m3 pour les ventes en gros s'agissant du gazole à la pompe, à 105,09 euros le m3 pour les ventes au détail et à 68,18 euros pour les ventes en gros s'agissant de l'essence ordinaire et, enfin, à 111,19 euros le m3 pour les ventes au détail et à 68,18 euros pour les ventes en gros d'essence super. Dans le dernier état de ses demandes présentées au préfet, le 5 juin 2013, la société Hardy réclamait que les prix maxima soient révisés de manière à lui permettre de dégager des marges de vente au détail de 100 euros le m3 pour le fioul domestique et 110 euros le m3 pour les autres produits, des marges de vente en gros de 60 euros le m3 pour le fioul domestique et le gazole livré par camion, et de 72 euros le m3 pour les autres produits. Au soutien de cette demande, la SAS Hardy évoque les marges plus importantes réalisées par les opérateurs pétroliers dans les provinces canadiennes voisines ou dans les Antilles françaises et se prévaut des coûts de revient élevés qu'elle supporte, notamment depuis une dizaine d'années, énonçant à cet égard les investissements importants qu'elle a dû engager tant pour moderniser ses installations que pour se conformer aux prescriptions de l'arrêté préfectoral du 21 mai 2007 l'autorisant à exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement, les salaires locaux élevés, les polices d'assurance coûteuses compte tenu des risques d'exploitation, les contraintes tenant au stockage et à la distribution des hydrocarbures, ses besoins de trésorerie ou encore le coût d'exportation des déchets industriels. Cependant, la circonstance que, compte tenu de ces coûts, lesquels sont pour certains inhérents à la réglementation applicable à l'activité considérée et relèvent pour d'autres de la politique de l'entreprise, les prix maxima fixés auraient conduit l'opérateur à réduire ses marges, voire même à ne pas dégager de marges bénéficiaires pour les ventes en gros de certains produits, n'est pas, par elle-même, de nature, à la supposer établie, à faire regarder les arrêtés en litige comme entachés d'une erreur manifeste d'appréciation. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une étude réalisée par le Pôle concurrence de la direction de la cohésion sociale, du travail, de l'emploi et de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon, que les tarifs fixés, qui n'étaient pas manifestement inférieurs au prix de revient des produits considérés, ont permis à la société Hardy de couvrir ses coûts moyens complets, compte tenu notamment de prix de vente élevés pour l'essence ordinaire, le gasoil vendu à la pompe et le diesel vendu à EDF. Ladite société a d'ailleurs admis ne pas être dans une situation financière délicate, alors même que le préfet a refusé que ses investissements soient financés par la caisse de compensation instituée par la convention conclue le 4 janvier 1999 entre l'Etat et les importateurs de produits pétroliers afin d'atténuer les variations pouvant intervenir sur les paramètres des prix de vente des produits, laquelle, alimentée par une fraction des bénéfices lorsque les prix de vente réglementés sont supérieurs aux prix de vente théoriques, était excédentaire et enregistrait des recettes durant la période où sont intervenues les décisions contestées. Dans ces conditions, et alors, d'une part, qu'il n'est ni établi ni même allégué par la société requérante que, pour établir les prix maxima des produits pétroliers par arrêtés successifs des 3 février 2012, 19 octobre 2012 et 9 avril 2013, le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon se serait abstenu de prendre en considération l'évolution du prix des produits importés, les variations des salaires et les autres éléments du prix de revient, et que, d'autre part, il est constant que toute hausse du prix des produits pétroliers produit un effet inflationniste direct et rapide, ledit préfet, en refusant de faire droit aux demandes de réévaluation de ces prix présentées par la SAS Hardy, n'a pas entaché ses décisions d'erreurs manifestes d'appréciation.

7. Enfin, à supposer qu'en faisant valoir qu'EDF bénéficie de tarifs préférentiels de sa part assimilables à un subventionnement du fioul domestique contraire aux règles concurrentielles, la société Hardy ait entendu soulever un moyen tiré d'une violation des dispositions du code du commerce, et en particulier de son article L. 420-5, la circonstance décrite est en tout état de cause étrangère aux décisions contestées et ne peut donc être utilement invoquée.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Au regard de ce qui précède, la SAS Hardy ne justifie pas d'un préjudice correspondant à un manque à gagner qui serait imputable à l'Etat. Par suite, ses conclusions aux fins d'indemnisation d'un tel préjudice doivent être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Hardy n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Hardy demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Hardy est rejetée.

5

N° 15BX00325


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX00325
Date de la décision : 14/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Réglementation des prix - Ordonnance du 1er décembre 1986.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Absence d'illégalité et de responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CLAIREAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-03-14;15bx00325 ?
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