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14/03/2017 | FRANCE | N°14BX02660

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 14 mars 2017, 14BX02660


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de la Demi-Lune a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la communauté d'agglomération du Grand Poitiers à lui payer la somme globale de 191 719,98 euros en réparation des différents dommages qu'elle a subis en raison de l'insuffisance du réseau public d'évacuation des eaux pluviales de la rue de la Demi-Lune.

Par un jugement n° 1201683 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à cette demande à hauteur de 4 181,24 euros.

Procédure d

evant la cour :

Par une requête et deux mémoires en réplique enregistrés respectiveme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de la Demi-Lune a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la communauté d'agglomération du Grand Poitiers à lui payer la somme globale de 191 719,98 euros en réparation des différents dommages qu'elle a subis en raison de l'insuffisance du réseau public d'évacuation des eaux pluviales de la rue de la Demi-Lune.

Par un jugement n° 1201683 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à cette demande à hauteur de 4 181,24 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires en réplique enregistrés respectivement les 3 septembre 2014, 10 août 2015 et 11 octobre 2016, la SCI de la Demi-Lune, représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 juillet 2014 en tant qu'il a limité à 4 181,24 euros la somme due en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération du Grand Poitiers à lui verser les sommes de 160 258,20 euros au titre des pertes de loyers qu'elle a subies, de 94 181,66 euros au titre des travaux qu'elle a dû engager, de 501 952 euros au titre de la perte de la valeur vénale de son terrain, et de 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de chiffrer le préjudice qu'elle a subi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,

- les conclusions de M. F... de la Taille Lolainville, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant la SCI de la Demi-Lune, et de Me C..., représentant la communauté d'agglomération du Grand Poitiers.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI de la Demi-Lune est propriétaire d'un ensemble immobilier comportant trois locaux loués dans le cadre de baux commerciaux, qui est situé à l'angle de la route nationale 148 bis et de la rue de la Demi-Lune, à Poitiers. Elle a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la communauté d'agglomération du Grand Poitiers à lui verser la somme globale de 191 719,98 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des inondations répétées survenues au cours des années 2008 à 2011. Par un jugement du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la communauté d'agglomération du Grand Poitiers à lui verser la somme de 4 181,24 euros au titre des travaux de remise en état des locaux et des frais d'huissier, et a rejeté le surplus de ses demandes. La SCI de la Demi-Lune relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 4 181,24 euros et demande à la cour de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Poitiers la somme totale de 806 391,86 euros au titre du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

2. Même sans faute de sa part, le maître de l'ouvrage est intégralement responsable des dommages causés aux tiers par les ouvrages publics dont il a la garde, en raison tant de leur existence que de leur entretien ou de leur fonctionnement. Il n'en va différemment que si ces dommages sont, au moins partiellement, imputables à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

3. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport de l'expert nommé par le président du tribunal de grande instance de Poitiers, que la cause déterminante des inondations subies annuellement par la société requérante réside dans un dysfonctionnement du système de collecte des eaux pluviales dans ce secteur de la commune. L'expert a en effet constaté que le collecteur d'eaux pluviales situé sous la rue de la Demi-Lune présente un diamètre de 400 mm, largement insuffisant pour permettre d'évacuer les eaux de ruissellement en surface en cas de pluie de fréquence décennale, lesquelles nécessiteraient, en l'absence de bassins de rétention supplémentaire, une capacité de 5 à 10 fois supérieure. Il a notamment préconisé, outre l'amélioration de la récupération des eaux de pluie dans les bassins de rétention existants, afin de réguler plus efficacement le débit des eaux pluviales déversées dans le collecteur en cas de forte pluie, une actualisation du réseau public de collecte, soit en remplaçant le collecteur actuel par un collecteur de diamètre supérieur, soit en créant des bassins d'étalement adaptés.

4. Si la communauté d'agglomération du Grand Poitiers fait valoir que l'évènement pluvieux survenu au mois de mai 2011 a revêtu un caractère exceptionnel, et qu'il était imprévisible et irrésistible, le préjudice dont la SCI de la Demi-Lune demande réparation ne résulte pas de ce seul évènement pluvieux, celle-ci invoquant plus particulièrement la fréquence des inondations qu'elle a subies et qui, comme l'a relevé l'expert judiciaire, ont revêtu un caractère annuel, lequel s'oppose à ce que les évènements pluvieux qui en sont la cause puissent être qualifiés d'exceptionnels. Par suite, la communauté d'agglomération du Grand Poitiers n'est pas fondée à soutenir que les dommages invoqués par la requérante sont imputables à un évènement de force majeure. Par ailleurs, si la communauté d'agglomération du Grand Poitiers fait également valoir que l'expert a relevé le mauvais fonctionnement voire l'insuffisance du bassin de rétention et des installations de récupération des eaux pluviales implantés par la SCI Le Petit Logis sur son terrain, le fait d'un tiers n'est en tout état de cause pas exonératoire de responsabilité en matière de dommage de travaux publics.

5. Enfin, si le dysfonctionnement du système de collecte des eaux pluviales n'a pas affecté exclusivement la société requérante, il résulte de l'instruction que celle-ci est située à proximité immédiate du point bas de la rue de la Demi-Lune, vers lequel sont acheminées les eaux pluviales qui n'ont pas été récupérées par le réseau d'évacuation des eaux pluviales, dans le même talweg de dépression, et se trouve de ce fait, au même titre que les propriétaires de la maison voisine située à ce point bas, principalement affectée par ces inondations, lesquelles, du fait de leur fréquence, excèdent les inconvénients auxquels doivent normalement s'attendre les riverains d'un ouvrage public. Par suite, les préjudices subis par la SCI de la Demi-Lune du fait de ces inondations présentent un caractère anormal et spécial.

6. Il résulte de ce qui précède que la SCI de la Demi-Lune est fondée à soutenir qu'elle a subi, en sa qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, un préjudice anormal et spécial qui engage la responsabilité de la communauté d'agglomération du Grand Poitiers, même en l'absence de faute, du fait du mauvais fonctionnement du système de collecte des eaux pluviales.

En ce qui concerne la réparation :

S'agissant des pertes de loyers :

7. Il résulte de l'instruction que la société requérante a consenti au preneur du local situé au n° 5 de la rue de la Demi-Lune, une remise de 1 600 euros sur le montant des loyers dus au titre des mois de mai à octobre 2011, cette remise étant justifiée par l'inondation subie par le preneur au mois de mai 2011. Par ailleurs, il résulte d'une attestation établie par MeB..., notaire, le 28 septembre 2015, que le loyer consenti pour ce bien à l'EIRL Peron Valériane à compter du mois d'octobre 2015 a été porté à la somme mensuelle de 1 050 euros hors taxe, au lieu de 1 500 euros hors taxe, en raison du risque d'inondation auquel il se trouve soumis. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi dans ce cadre par la SCI de la Demi-Lune en lui accordant la somme de 8 800 euros. Il ressort enfin du contrat de bail conclu avec la société ANJ'K à compter du 1er octobre 2014, qui porte sur un local de 100 m2 situé au sous-sol de la même adresse, que le montant du loyer a été minoré de 50 euros par mois en raison du risque d'inondation particulier dont il est affecté. Il convient par suite d'accorder à la SCI de la Demi-Lune la somme de 1 450 euros à ce titre.

8. S'agissant du local situé au n° 5 bis de la rue de la Demi-Lune, la société requérante n'établit pas que sa vacance depuis le mois de juillet 2008 serait la conséquence directe et certaine du risque d'inondation annuelle auquel il est soumis. Par suite, la demande indemnitaire présentée à ce titre ne peut être accueillie.

9. Pour ce qui concerne le local situé au n° 5 ter de la rue de la Demi-Lune, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des attestations produites par la société requérante, que la société La Centrale du Joint Moteur (CJM), qui l'a occupé à compter du 1er décembre 2007, l'aurait quitté en raison des inondations subies, ni que sa vacance, entre le 25 mai 2010 et le mois d'avril 2012, serait la conséquence directe et certaine du risque d'inondation. Il résulte en revanche de l'instruction que ce local, loué à la CJM durant trois ans pour un loyer mensuel de 1 095 euros hors taxe, a été loué à l'association Restos du Coeur à partir du 16 avril 2014. Le contrat de bail conclu dans ce cadre, qui porte sur une durée d'un an, renouvelable une fois, fixe le loyer mensuel à 762,92 euros hors taxe et précise que ce montant est minoré en raison du risque d'inondation affectant le bien, le preneur ayant subi deux inondations au cours du précédent bail d'une durée de deux ans. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société requérante en fixant à la somme de 8 040 euros la réparation due au titre des pertes de loyers occasionnées par le risque d'inondation pendant les deux années de durée de ce bail.

S'agissant de la réalisation d'un nouveau système d'écoulement des eaux pluviales et usées :

10. Dans le dernier état de ses écritures, la société requérante demande que lui soit versée la somme de 94 181,66 euros au titre de la mise en place d'un nouveau système d'écoulement des eaux. Elle se prévaut tout d'abord de six factures établies par la société Guilbaud respectivement les 30 septembre 2008, 30 août 2009, 22 juillet 2010, 8 août 2011, 26 novembre 2011 et 28 novembre 2011, pour un montant total de 40 161,86 euros TTC, et portant sur la remise aux normes des tuyaux d'eaux usées, le prolongement de canalisations dans le sous-sol, la pose de tuyaux d'évacuation des eaux pluviales et la pose de clapets anti-retours. Il ne ressort toutefois pas de l'instruction que ces différents travaux auraient eu pour objet de concourir à l'évacuation, non pas des seules eaux pluviales et usées provenant du terrain de la SCI de la Demi-Lune, mais également, voire seulement, de celles provenant d'autres terrains, et plus particulièrement de celui de la SCI le Petit Logis, qui n'auraient pas été récupérées dans le réseau collectif lors de fortes pluies. La société requérante produit également un devis établi par la société Guilbaud portant sur la réalisation d'un bassin d'orage, pour un montant de 37 288,89 euros TTC. Outre que ce devis ne suffit pas à établir que la dépense correspondante aurait effectivement été engagée, il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction que ce bassin d'orage aurait eu pour objet de récupérer des eaux pluviales provenant d'autres parcelles que celles appartenant à la SCI de la Demi-Lune, M. D... A..., architecte, ayant à cet égard indiqué, dans une attestation du 15 janvier 2015 produite par la requérante, que le permis de construire accordé à celle-ci le 2 septembre 2013, pour la réalisation d'un bâtiment commercial avec réaménagement du parking existant, avait expressément prévu la réalisation d'un bassin d'orage de 513 m3, destiné à récupérer les eaux de toitures et de parking collectées sur la parcelle. En tout état de cause, les dommages qui affectent les locaux de la requérante ne présentent pas un caractère définitif dès lors qu'ils résultent d'un fonctionnement anormal de l'ouvrage public auquel il peut être remédié ; dès lors, la nécessité de financer les travaux dont il s'agit ne peut être regardée comme constituant un préjudice certain qui serait indemnisable.

11. Enfin, il n'est pas établi que les honoraires versés à M. D... A..., d'un montant de 1 016,60 euros TTC, le réseau aérien de récupération des eaux pluviales réalisé par l'entreprise Pain, pour un montant de 16 498,71 euros TTC, et l'étude de gestion des eaux pluviales réalisée par la société NCA Environnement, pour un montant de 4 174, 04 euros TTC, auraient été les conséquences directes des inondations consécutives au sous-dimensionnement du réseau collectif d'eaux pluviales, et n'auraient pas simplement eu pour objet de concourir à l'amélioration du système de récupération des eaux pluviales provenant du terrain de la SCI de la Demi-Lune.

12. Au vu de ces constatations, les conclusions de la requête tendant à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Grand Poitiers la somme de 94 181,66 euros au titre de la réalisation d'un nouveau système d'écoulement des eaux pluviales et usées, ne peuvent être accueillies.

S'agissant de la perte de valeur vénale du terrain sur lequel est implanté le bassin d'orage :

13. Dans la mesure où, comme il a été dit au point 10 ci-dessus, il ne résulte pas de l'instruction que le bassin d'orage en litige aurait eu pour objet de récupérer des eaux pluviales provenant d'autres parcelles que celles appartenant à la SCI de la Demi-Lune, la perte de valeur vénale du terrain d'assiette qui résulterait de la présence de ce bassin, à la supposer établie, ne peut être regardée comme étant la conséquence directe et certaine des inondations répétées subies par la requérante. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit, les dommages qui affectent les locaux de la requérante ne présentent pas un caractère définitif dès lors qu'ils résultent d'un fonctionnement anormal de l'ouvrage public auquel il peut être remédié ; dès lors, la perte de valeur vénale invoquée ne peut être regardée comme constituant un préjudice certain qui serait indemnisable.

S'agissant du préjudice moral :

14. La société requérante ne donnant aucune précision sur ce chef de préjudice, il convient d'écarter les conclusions présentées à ce titre.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI de la Demi-Lune est seulement fondée à demander, d'une part, que la somme que la communauté d'agglomération du Grand Poitiers doit être condamnée à lui verser en réparation de son préjudice soit portée de 4 181,24 euros à 24 071,24 euros, d'autre part, que le jugement contesté soit, dans cette mesure, réformé.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Poitiers la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SCI de la Demi-Lune à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées au même titre par la communauté d'agglomération du Grand Poitiers doivent, en revanche, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 4 181,24 euros que la communauté d'agglomération du Grand Poitiers a été condamnée à verser à la SCI de la Demi-Lune en réparation de son préjudice, par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 juillet 2014, est portée à 24 071,24 euros.

Article 2 : le jugement n° 1201683 du tribunal administratif de Poitiers du 3 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La communauté d'agglomération Grand Poitiers versera à la SCI de la Demi-Lune la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI de la Demi-Lune est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la communauté d'agglomération Grand Poitiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 14BX02660


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