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28/02/2017 | FRANCE | N°16BX00067

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 28 février 2017, 16BX00067


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Agen et de lui verser une provision de 10 000 euros.

Par un jugement n° 1404399-1404401 du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les requêtes et mis les frais de constat d'expert d'un montant de 3 296,63 euros à la charge de M.A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et

un mémoire enregistrés les 8 janvier 2016 et 10 janvier 2017, M. B... A..., représenté par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Agen et de lui verser une provision de 10 000 euros.

Par un jugement n° 1404399-1404401 du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les requêtes et mis les frais de constat d'expert d'un montant de 3 296,63 euros à la charge de M.A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 8 janvier 2016 et 10 janvier 2017, M. B... A..., représenté par Me Pujol-Suquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2015 en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire et mis les frais de constat d'expert à sa charge ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme 21 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Agen ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et une somme de 1 200 euros au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...relève appel du jugement n° 1404399-1404401 du 15 décembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 21 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt d'Agen au cours de la période du 25 novembre 2008 au 23 mai 2012 et mis les frais de constat d'expert à sa charge.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis (...) à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article D. 349 du code de procédure pénale dispose : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques. ". L'article D. 350 du même code dispose : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération ". Aux termes de l'article D. 351 de ce code : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus. ".

3. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires ainsi que la prévention de la récidive. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime.

4. Il résulte de l'instruction que M. A...a successivement occupé au cours de la période du 25 novembre 2008 au 23 mai 2012, la cellule n° 102, d'une capacité de 4 détenus et d'une superficie de 28, 85 m², les cellules individuelles n° 125 et n° 105, de superficies respectives de 7, 40 m² et 9 m², la cellule n° 112, d'une capacité de 4 détenus et d'une superficie de 22, 42 m², et la cellule n° 109, d'une capacité de 4 détenus et comportant 6 couchages, d'une superficie de 25,30 m², les superficies indiquées ci-dessus incluant les toilettes.

5. En premier lieu, il résulte des tableaux relatifs à l'" historique de codétention " établis par l'administration pénitentiaire que le requérant a occupé seul lesdites cellules individuelles ainsi que la cellule n° 102 du 25 novembre 2008 au 21 janvier 2009 et du 23 juillet au 27 juillet 2009, la cellule n° 112 du 13 novembre 2009 au 6 octobre 2010, et la cellule n° 109 du 6 au 19 octobre 2010, du 16 novembre au 23 décembre 2010 et du 24 juin au 13 juillet 2011. Il n'a par ailleurs partagé, sur certaines périodes, les cellules n° 102 et n° 112 qu'avec un autre détenu. Il a également partagé la cellule n°109 avec un à quatre codétenus du 19 octobre au 16 novembre 2010, du 23 décembre 2010 au 24 juin 2011, du 13 juillet au 20 septembre 2011, du 22 septembre 2011 au 4 octobre 2011, du 18 au 19 octobre 2011, du 31 octobre au 25 novembre 2011, du 22 décembre 2011 au 18 janvier 2012, du 1er au 4 février 2012, du 29 février au 1er mars 2012, du 30 avril 2012 au 4 mai 2012 et du 14 au 16 mai 2012. Au titre de l'ensemble de ces périodes, l'intéressé, qui ne fait pas état d'une vulnérabilité particulière, a toujours disposé d'un espace personnel supérieur à 4 m², bénéficiait de deux promenades par jour et avait la possibilité d'accéder aux activités d'enseignement ou de formation professionnelle organisées quotidiennement au sein de la maison d'arrêt d'Agen. Par ailleurs, l'absence de cloisonnement intégral des toilettes de ces cellules, qui a pour objectif de permettre à tout moment de contrôler la présence d'un détenu dans sa cellule, d'y pénétrer en cas d'urgence et de protéger les intéressés de toute tentative de suicide. L'aménagement des toilettes des cellules n° 102 et 112, séparées par une cloison et des portes battantes, était suffisant pour assurer aux détenus un minimum d'intimité. Il en va de même, compte tenu de la configuration de la cellule n° 109 et du nombre de détenus avec lesquels M. A...a partagé cette cellule au titre des périodes susmentionnées, de l'aménagement des toilettes de ladite cellule, séparées par un muret mais dépourvues de rideau ou porte. S'il résulte du constat d'expert du 18 septembre 2013 et du rapport de constat établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, à la suite de la visite inopinée de l'établissement réalisée du 22 au 26 août 2011, que ces cellules et leurs équipements sont vétustes et que l'éclairage naturel et le renouvellement de l'air sont limités compte tenu de ce que chaque cellule comporte un unique vasistas situé en hauteur, ces circonstances ne sont pas, à elles seules, constitutives d'une atteinte à la dignité humaine. Le requérant ne démontre ainsi pas avoir été incarcéré dans des conditions n'assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine au cours des périodes susmentionnées.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A...a partagé avec cinq, voire six détenus, la cellule n° 109 du 20 au 22 septembre 2011, du 4 au 18 octobre 2011, du 19 au 31 octobre 2011, du 25 novembre au 22 décembre 2011, du 18 janvier au 1er février 2012, du 4 au 29 février 2012, du 1er mars au 30 avril 2012, du 4 au 14 mai 2012 et du 16 au 23 mai 2012. Au cours de ces périodes, d'une durée totale de sept mois, le requérant a disposé, compte tenu de la superficie de la cellule après déduction de la surface des toilettes, d'un espace personnel supérieur à 3 m² mais inférieur à 4 m². Il ressort en outre des clichés photographiques du constat d'expert que cette cellule était dans un mauvais état général, les revêtements des murs et cloisons étant vétustes, plusieurs installations électriques étant dangereuses en raison de leur délabrement et l'éclairage artificiel étant défaillant. Les sanitaires équipant cette cellule n'étant pas, ainsi qu'il a été dit, dotées d'une porte ou d'un rideau, leur aménagement était insuffisant, eu égard au nombre de détenus amenés à vivre en cohabitation dans cette cellule au titre des périodes susmentionnées, à garantir l'intimité minimale des intéressés. Ces sanitaires n'étaient pas davantage équipés d'un système d'aération spécifique et la cellule elle-même ne comportait qu'un vasistas sans vantaux. Dans ces conditions, le requérant a été, pendant son incarcération au cours desdites périodes au sein de la cellule n° 109 de la maison d'arrêt d'Agen, placé dans des conditions excédant le seuil d'atteinte à la dignité humaine et justifiant la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat.

Sur la réparation :

7. Les conditions de vie imposées à M. A...au cours de la période de 7 mois durant laquelle il a occupé avec cinq, voire six détenus, la cellule n° 109 de la maison d'arrêt d'Agen ont entraîné un préjudice moral, seul invoqué, ouvrant droit à réparation. Compte tenu de la durée de la période de responsabilité retenue par le présent arrêt, qui doit être prise en compte pour apprécier le préjudice moral subi, il y a lieu d'allouer à M. A...une somme de 1 500 euros en réparation de ce préjudice.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge définitive de l'Etat les frais du constat d'expert du 30 septembre 2013, liquidés et taxés à la somme de 3 296,63 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire et a mis les frais de constat d'expert à sa charge.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

11. En application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-64 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Pujol-Suquet, sous réserve de sa renonciation au versement de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1404399-1404401 du 15 décembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. A...et a mis les frais de constat d'expert à sa charge.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 1 500 euros à M.A....

Article 3 : Les frais du constat d'expert ordonné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux le 4 juin 2012 et arrêtés à la somme de 3 296,63 euros par ordonnance du 4 octobre 2013 sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Pujol-Suquet, avocate de M. A..., la somme de 1 200 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

2

N° 16BX00067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00067
Date de la décision : 28/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre DUPUY
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : PUJOL-SUQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-02-28;16bx00067 ?
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