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29/12/2016 | FRANCE | N°15BX00116

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 29 décembre 2016, 15BX00116


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E..., Mme C...E...et Mme B...E...F..., agissant à titre personnel et en qualité d'ayants droit de M. A...E..., décédé le 29 juin 2008, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Périgueux à leur verser la somme de 60 060 euros en réparation des préjudices subis par M. A...E..., à Mme D...E...la somme de 32 463 euros, à Mme C... E...la somme de 18 400 euros, et à Mme B...E...F...la somme de 18 400 euros en réparation de leurs préjudices, toutes somm

es augmentées des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...E..., Mme C...E...et Mme B...E...F..., agissant à titre personnel et en qualité d'ayants droit de M. A...E..., décédé le 29 juin 2008, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Périgueux à leur verser la somme de 60 060 euros en réparation des préjudices subis par M. A...E..., à Mme D...E...la somme de 32 463 euros, à Mme C... E...la somme de 18 400 euros, et à Mme B...E...F...la somme de 18 400 euros en réparation de leurs préjudices, toutes sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable.

Par un jugement n° 1203697 en date du 2 décembre 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le centre hospitalier de Périgueux à verser à Mme D...E...la somme de 15 347,24 euros, à Mme C...E...la somme de 3 600 euros, à Mme B...E...F...la somme de 3 600 euros, ainsi que la somme de 3 050 euros à verser aux requérantes en leur qualité d'ayants droit de M. A...E..., ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2012, et a mis à la charge du centre hospitalier de Périgueux la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces nouvelles, enregistrées les 9 janvier 2015, 30 janvier 2015 et 04 février 2015, Mme D...E..., Mme C...E...et Mme B...E...F..., agissant à titre personnel et en qualité d'ayants droit de M. A...E..., décédé le 29 juin 2008, représentés par la selarl Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 2 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a limité le montant des indemnisations demandées ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Périgueux à leur verser la somme de 60 060 euros en réparation des préjudices subis par PedroE..., à Mme D...E...la somme de 32 463 euros, à Mme C... E... la somme de 18 400 euros, et à Mme B...E...F...la somme de 18 400 euros en réparation de leurs préjudices, toutes sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Périgueux la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Philippe Delvolvé ;

- et les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. PedroE..., alors âgé de 68 ans, a présenté une tumeur au niveau du pôle inférieur du rein droit diagnostiquée en avril 2008. Le 13 mai suivant, il a subi une néphrectomie partielle de cet organe au sein de la clinique Francheville de Périgueux. Après avoir consulté son médecin traitant en raison de vomissements associés à une grande fatigue, le patient a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Périgueux le 26 juin 2008 en fin d'après-midi, d'où il est ressorti le soir même. Le lendemain, il a été retrouvé inconscient sur son lit et a été admis au service de réanimation où un choc septique sur ischémie colique dans le cadre d'une hémorragie de la loge rénale droite a été diagnostiqué. Il est décédé deux jours plus tard. Le 30 avril 2010, Mme D...E..., son épouse, et Mmes C...et B...E..., ses deux filles, ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Aquitaine qui a ordonné deux expertises médicales rendues les 20 décembre 2010 et 6 octobre 2011. Après avoir refusé l'offre d'indemnisation proposée par l'assureur du centre hospitalier de Périgueux et présenté un recours devant le tribunal de grande instance de Périgueux à l'encontre du médecin traitant de M.E..., les requérantes ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Périgueux à les indemniser des préjudices résultant du décès de leur époux et père. Il relève appel du jugement en date du 2 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a limité le montant de la condamnation du centre hospitalier de Périgueux à la somme de 15 347,24 euros en réparation des préjudices subis par Mme D...E..., à la somme de 3 600 euros chacune en réparation des préjudices subis par Mme C...E...et Mme B...E...F...et à la somme de 3 050 euros en réparation des préjudices subis par Pedro E....

Sur la responsabilité :

2. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports des experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Aquitaine, que les suites opératoires de l'opération subie par Pedro E...le 23 mai 2008 ont révélé l'exérèse complète de la tumeur rénale dont il était atteint et une absence de cellules suspectes. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, selon les experts, le décès du patient n'est pas la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie rénale initiale, mais " la conséquence de complications en rapport avec une inadéquation d'un traitement anticoagulant qui lui était prescrit depuis de nombreuses années mais qui devait, en post opératoire, être réadapté de façon soigneuse ". Alors qu'un bilan de coagulation de contrôle réalisé par le médecin traitant du patient le 26 juin 2008 montrait un surdosage en anti-vitamine K ainsi qu'une élévation importante de l'INR, le service des urgences du centre hospitalier de Périgueux où il avait été adressé par ledit médecin en fin d'après-midi s'est contenté de rapides examens cliniques en relevant l'absence d'un saignement extériorisé sans évoquer la possibilité d'une hémorragie interne et sans procéder à aucun contrôle biologique de la coagulation, ni rechercher d'anémie éventuelle, ni réaliser d'examen échographique abdominal non invasif alors que le patient souffrait déjà de vives douleurs abdominales. Les experts ont estimé que si la prise en charge du patient a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science lors de son admission au service de réanimation du centre hospitalier le 27 juin 2008, la réalisation des examens précités dès le 26 juin au service des urgences aurait très certainement conduit l'établissement à le maintenir sous surveillance en permettant la correction immédiate si besoin des troubles de la coagulation. Ces manquements ont conduit à un retard de prise en charge du patient d'environ douze heures, et sont constitutifs d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service des urgences du centre hospitalier de Périgueux de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Périgueux, ce que ce dernier ne conteste pas.

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a fait perdre à celui-ci une chance d'éviter le dommage constaté, la réparation qui incombe à l'hôpital doit être évaluée à une fraction de ce dommage déterminé en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Il résulte de l'instruction, d'une part, que Pedro E...présentait de lourds antécédents médicaux, ayant notamment été victime d'un adénocarcinome de l'estomac pour lequel il a été opéré en novembre 2007 et a suivi trois cures de chimiothérapie en pré opératoire puis trois nouvelles cures en post opératoire, ainsi que des antécédents cardio-vasculaires. Les experts ont relevé que l'infarctus intestinal constitue " une redoutable complication qui a été nettement favorisée par l'état antérieur vasculaire défaillant du patient ", et ont estimé que cet état antérieur devait être regardé comme ayant contribué à l'issue fatale à hauteur de 30 %. D'autre part, après la sortie du patient du service des urgences où l'arrêt de l'anti-vitamine K lui avait été prescrit, avec une reprise éventuelle quarante-huit heures plus tard après un nouveau contrôle de la coagulation, son médecin traitant, le 26 juin 2008, a procédé à une injection d'une dose curative d'un anticoagulant supplémentaire. Ce geste, qui est considéré par les experts comme potentiellement risqué et non conforme aux règles de l'art déduites des recommandations établies en la matière par la Haute autorité de santé, a, selon eux, sûrement contribué à l'aggravation de la situation hémorragique et hémodynamique du patient. Les experts ont considéré que la faute ainsi commise par le médecin traitant du patient a contribué au décès de celui-ci dans une proportion qu'ils ont évalué en dernier lieu à 15 %. Cependant, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'Aquitaine a estimé que la faute du médecin traitant devait être limitée à 10 % et les requérantes ont été indemnisées sur cette base par le Tribunal de grande instance de Périgueux le 6 juin 2014.

5. Les requérantes estiment que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux n'a retenu qu'une responsabilité de l'hôpital à hauteur de 60 % alors que la CRCI avait proposé de retenir sa responsabilité à hauteur de 80 %, en limitant à 10 % les conséquences de l'état de santé antérieur du patient. Cependant, il résulte de l'instruction que Pedro E...était atteint d'une hypertension artérielle, d'une fibrillation auriculaire, d'une artériopathie des membres inférieurs, d'une désobstruction de la carotide gauche, d'une hypercholestérolomie, d'une résection endoscopique de la prostate et d'un adénocarcinome de l'estomac, lequel a été opéré le 6 novembre 2011. Aucun élément ne permet de retenir, comme l'a fait la CRCI, que cet état de santé antérieur n'a seulement contribué au décès du patient qu'à hauteur de 10 %. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de réformer, sur ce point, le jugement attaqué lequel a retenu que l'ampleur de la chance perdue par M. A...E...d'éviter l'issue fatale en raison de la faute commise par le centre hospitalier lors de sa prise en charge devait être fixée à 60 %.

6. Il résulte de ce qui précède que l'indemnisation à laquelle les requérantes ont droit ne peut qu'être fixée à 60 % des préjudices subis compte tenu du taux de perte de chance ainsi retenu.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

S'agissant des frais funéraires :

7. Le montant des frais d'obsèques, s'élevant, selon les justificatifs produits, à 5 573,34 euros, n'est pas contesté en appel. Compte tenu de la perte de chance évoquée au point 5, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à Mme D...E...la somme de 3 344 euros à ce titre.

S'agissant des frais divers :

8. Mme D...E..., qui justifie avoir engagé des frais de communication du dossier médical de son conjoint à hauteur de la somme de 5,40 euros, a droit au paiement de la somme de 3,24 euros à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices à caractère extra-patrimonial de Pedro E... :

9. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers. Le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers. Les consorts E...soutiennent que Pedro E...a eu conscience avant son décès d'une espérance de vie réduite en raison du retard de prise en charge par l'établissement hospitalier. Cependant, aucun élément du dossier ne permet de justifier de ce que Pedro E...ait pu avoir conscience avant son décès d'une espérance de vie réduite en raison du retard de prise en charge par l'établissement hospitalier. Ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le droit à réparation du préjudice en résultant pour la victime n'est pas entré dans son patrimoine et n'a pu être transmis à ses héritiers.

10. Pedro E...a subi un déficit fonctionnel temporaire total pendant une durée de trois jours du 26 au 28 juin 2008, qui a été évalué à 50 euros par les premiers juges, compte tenu de l'ampleur de la chance perdue. Les requérants n'apportent aucun élément de nature à remettre en cause une telle somme.

11. Il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales endurées par PedroE..., entre le début des complications dont il a été victime et son décès, survenu trois jours plus tard, évaluées à 5 sur une échelle de 1 à 7, en fixant à la somme de 7 200 euros le montant de la réparation, compte tenu de l'ampleur de la chance perdue.

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel des consorts E...:

12. Le tribunal administratif de Bordeaux n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en estimant qu'eu égard à la brièveté de la période en lien avec la faute imputable au centre hospitalier de Périgueux, les requérantes ne pouvaient prétendre à aucune indemnisation du préjudice d'accompagnement qu'elles invoquent eu égard aux bouleversements subis dans leurs conditions d'existence en raison de l'état de santé de leur époux et père jusqu'à son décès.

13. Le tribunal administratif de Bordeaux a fait une juste appréciation du préjudice d'affection éprouvé par Mme D...E...du fait de la perte de son époux en l'évaluant, compte tenu de la perte de chance, à la somme de 12 000 euros. Il a également fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par ses deux filles en l'évaluant, selon la même règle, à la somme de 3 600 euros chacune.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a limité la condamnation du centre hospitalier de Périgueux aux sommes de 15 347,24 euros à verser à Mme D...E..., de 3 600 euros à verser à Mme C...E...et Mme B... E...F...chacune. En revanche, compte tenu de ce qui a été dit au point 10, l'indemnisation due par le centre hospitalier de Périgueux au titre des préjudices subis par Pedro E...avant son décès doit être portée à la somme de 7 250 euros. Les requérantes sont donc fondées à demander la réformation du jugement attaqué dans cette mesure.

Sur les intérêts :

15. Les requérantes ont droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité totale de 25 597,24 euros, à compter du 19 octobre 2012, date de réception de leur demande préalable.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Périgueux la somme de 1 500 euros à verser aux requérantes au titre des frais exposés, non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de cause.

Article 2 : Le centre hospitalier de Périgueux est condamné à verser à Mme D...E...la somme de 15 347,24 euros, à Mme C...E...la somme de 3 600 euros, à Mme B... E...F...la somme de 3 600 euros, ainsi que la somme de 7 250 euros à verser aux requérantes en leur qualité d'ayants droit de PedroE.... Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2012.

Article 3 : L'article 1er du jugement n° 1203697 du 2 décembre 2014 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Périgueux versera aux requérantes une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mmes E...est rejeté.

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No 15BX00116


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX00116
Date de la décision : 29/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Actes médicaux d'investigation.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Philippe DELVOLVÉ
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-12-29;15bx00116 ?
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