Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes présentées devant le tribunal administratif de Limoges, la SAS Ballerand Nature a sollicité : 1) la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 octobre 2011 et des pénalités y afférentes ; 2) le remboursement d'un crédit de taxe d'un montant total de 68 647 euros au titre du mois de septembre 2012.
Par un jugement n° 1300012,1301032 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif a : 1) déchargé la SAS Ballerand Nature des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 octobre 2011 et des pénalités y afférentes ; 2) accordé à cette société un remboursement de 9 073 euros au titre du crédit de taxe dont elle disposait au mois de septembre 2012 ; 3) mis à la charge de l'Etat le versement à la société de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; 4) rejeté le surplus des conclusions de la société.
Procédure devant la cour :
I. Par un recours enregistré le 28 janvier 2016 sous le n° 16BX00400, le ministre des finances et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest) demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement n° 1300012,1301032 du 1er octobre 2015 ; 2°) de rétablir la SAS Ballerand Nature aux suppléments de taxe dont la décharge lui a été accordée par ce jugement ; de rejeter sa demande de remboursement de crédit de taxe au titre du mois de septembre 2012.
Il soutient que :
- la SAS Ballerand Nature, qui a été créée en vue d'exercer une activité de culture et d'élevage et qui, à cet effet, a pris à bail le domaine de Ballerand, n'a, malgré ses affirmations, jamais eu réellement l'intention, tout au long de la période litigieuse, de débuter une activité touristique sur ce domaine ; elle ne pouvait donc légalement déduire la taxe ayant grevé les travaux censés avoir été réalisés dans le but de créer cette activité, et la distinction temporelle opérée par le tribunal administratif est sans fondement ;
- la société a profité de sa qualité d'assujettie à la TVA pour solliciter la déduction de la taxe ayant grevé les travaux qu'elle a fait réaliser dans le but affiché de créer une activité touristique alors que le but réel était tout autre, ce qui constitue une manoeuvre qui peut être qualifiée de frauduleuse ou d'abusive ;
- le moyen de la société invoqué en première instance et tiré du caractère prématuré de la remise en cause du droit à déduction, fondé sur le 3 de l'article 257-I du code général des impôts, ne peut qu'être écarté dès lors que, les immeubles construits étant exclusivement destinés à l'habitation, aucune TVA ne pouvait être déduite ;
- il n'y a pas de prise de position formelle dont pourrait se prévaloir la société sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.
Par un mémoire enregistré le 22 mars 2016, la SAS Ballerand Nature conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a démontré par la production de nombreux éléments, d'une part, son intention d'exploiter le domaine Ballerand à des fins touristiques et hôtelières, d'autre part, les difficultés auxquelles elle a été confrontée dans la réalisation de son projet ; l'administration n'est aucunement fondée à invoquer une intention frauduleuse ou abusive ;
- s'agissant des constructions non achevées, la remise en cause par l'administration de la déduction de la taxe ayant grevé les travaux est prématurée compte tenu des dispositions du 1° du 3) de l'article 257-1 du code général des impôts.
Par une ordonnance du 3 mars 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 15 avril 2016 à 12 heures.
II. Par un recours enregistré le 28 janvier 2016 et un mémoire enregistré le 4 avril suivant sous le n° 16BX00401, le ministre des finances et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest) demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement susvisé du tribunal administratif de Limoges.
Il soutient que :
- l'annulation du jugement contesté s'impose au regard des moyens invoqués à l'appui du recours au fond ;
- il existe un risque sérieux pour le Trésor public de ne pouvoir recouvrer sa créance dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement.
Par un mémoire enregistré le 4 mars 2016, la SAS Ballerand Nature conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à hauteur des sommes dont la décharge a été prononcée par le tribunal, la demande de sursis à exécution est irrecevable ;
- la demande de sursis n'est recevable qu'en tant qu'elle porte sur la somme de 9 073 euros ; or il n'est aucunement démontré le risque de perte définitive de cette somme ;
- l'invocation de moyens sérieux est sans portée utile au regard de l'article R. 811-16 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 4 avril 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 21 avril 2016 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
1. La société de droit helvétique Casteltour AG a acquis en 1989 le domaine dit de Ballerand situé à Marval (Haute-Vienne), d'une superficie d'environ 300 hectares, comportant notamment un château et des étangs. Elle a créé en 2003 la SAS Ballerand Nature, filiale à 100 %, de droit français, à laquelle elle a donné en location le domaine pour une durée de 10 ans par un bail du 1er août 2003, un nouveau bail d'une durée de 10 ans ayant été signé le 1er janvier 2008. La SAS Ballerand Nature, qui a réalisé des travaux de rénovation du château et de réalisation sur le domaine d'une longère et de divers équipements et aménagements, a sollicité et obtenu la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses correspondantes jusqu'en octobre 2011. A l'issue d'une vérification de comptabilité qui a donné lieu à une proposition de rectification du 21 décembre 2011, l'administration a remis en cause ce droit à déduction pour la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2011 et a procédé aux rappels de taxe correspondants. A la suite d'un contrôle sur pièces, elle a également remis en cause le droit à déduction de taxe pour la période du 1er juillet au 30 octobre 2011. Enfin, elle a rejeté la demande présentée le 12 octobre 2012 par la société en vue d'obtenir le remboursement d'un crédit de taxe de 68 647 euros provenant pour sa plus grande part du cumul des demandes de crédit présentées au titre des mois de juillet 2011 à août 2012.
2. Par un jugement du 1er octobre 2015, le tribunal administratif a déchargé la SAS Ballerand Nature en droits, intérêts et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 octobre 2011, lui a accordé le remboursement d'une somme de 9 073 euros - correspondant à la taxe admise en déduction pour les mois de juillet à octobre 2011 - au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait au mois de septembre 2012, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le ministre des finances et des comptes publics a fait appel de ce jugement par un recours enregistré sous le n° 16BX00400. Par son recours enregistré sous le n°16BX00401, le ministre demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
3. les recours susvisés, dirigés contre un même jugement, sont joints pour y statuer par un même arrêt.
Sur le recours n° 16BX00400 :
4. Le I de l'article 256 du code général des impôts dispose : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention...). L'article 271 de ce code dispose : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière de celles de l'article 9 paragraphe 1 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que le droit à déduction, qui prend naissance lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, reste acquis, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix des biens ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive.
6. Pour accorder la décharge et le remboursement partiel contestés par l'administration, le tribunal administratif a tout d'abord relevé que la taxe ayant grevé les travaux d'aménagement du domaine de Ballerand avait donné lieu à déduction au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 octobre 2011 avant que l'administration ne remette en cause ce droit à déduction et que, s'agissant de cette période, le droit à déduction restait donc acquis à la société sous réserve d'une intention frauduleuse ou abusive. Le tribunal administratif a ensuite estimé que, contrairement à ce que soutenait l'administration, les faits de l'espèce ne traduisaient pas une intention frauduleuse ou abusive justifiant la remise en cause de ce droit à déduction.
7. L'administration ne conteste pas le premier point du raisonnement suivi par le tribunal administratif mais soutient que ce dernier a fait une appréciation erronée des circonstances de l'espèce en estimant que la SAS Ballerand Nature aurait eu l'intention d'exploiter le domaine dans le cadre d'une activité soumise à la TVA, plus précisément dans le but de créer une activité touristique et hôtelière sur le domaine.
8. L'objet social de la SAS Ballerand Nature était au départ limité à la culture et l'élevage, et il est exact que, comme le relève l'administration, les travaux d'aménagement du domaine ont commencé sans que cet objet social ait été modifié dans un premier temps. Toutefois, cette circonstance n'est pas par elle-même de nature à révéler une absence d'intention de créer une activité touristique et hôtelière, l'objet social de la société ayant au demeurant été modifié à compter du 26 juin 2008 pour inclure une " activité touristique et restauration ". Il résulte de l'instruction que la SAS Ballerand Nature a élaboré un projet, soutenu par la chambre de commerce et d'industrie de Limoges et de la Haute-Vienne, consistant à investir plus de 20 millions d'euros en vue de créer sur le domaine de Ballerand un ensemble de constructions et d'équipements permettant notamment d'accueillir une clientèle aisée pour des séjours de loisirs. Plus de 9 millions de travaux ont été réalisés, comportant notamment la réalisation d'une vaste aire permettant l'installation de gradins, l'aménagement d'un parc de stationnement souterrain pouvant accueillir trente véhicules et la construction d'une longère de grande dimension destinée à accueillir la clientèle et demeurée inachevée. La réalité du projet de la société de créer sur le domaine un complexe touristique de grande ampleur est suffisamment établie par les pièces du dossier. La réalisation de ce projet, il est vrai, a connu un fort ralentissement à partir de 2010 et la société admet qu'il est, aujourd'hui, " arrêté ". Toutefois, ni ce ralentissement puis cet arrêt du projet, qui peuvent s'expliquer notamment par les difficultés techniques et administratives dont fait état la société, ni le fait que le représentant légal de la société, des membres de sa famille et les salariés de la société chargés de l'entretien et de l'exploitation du domaine bénéficient de baux d'habitation consentis par la société ne permettent de tenir pour avérée l'intention frauduleuse ou abusive qu'aurait eu la SAS Ballerand Nature en revendiquant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux d'aménagement réalisés sur le domaine de Ballerand.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il a accordé à la SAS Ballerand Nature la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 octobre 2011 et lui a accordé le remboursement d'un crédit de taxe d'un montant de 9 073 euros.
Sur le recours n° 16BX00401 :
10. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 1er octobre 2015, les conclusions du recours n°16BX00401 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SAS Ballerand Nature de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le recours n° 16BX00400 du ministre des finances et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : l'Etat versera la somme de 1 500 euros à la SAS Ballerand Nature au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du recours n° 16BX00401 à fin de sursis à exécution.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et des comptes publics et à la SAS Ballerand Nature.
Délibéré après l'audience du 21 juin à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Bertrand Riou, président-assesseur,
Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 12 juillet 2016
Le président-assesseur,
Bertrand RIOULe président-rapporteur,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Evelyne GAY-BOISSIERESLa République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°s16BX00400, 16BX00401