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12/07/2016 | FRANCE | N°14BX01293

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 12 juillet 2016, 14BX01293


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Réseau Ferré de France (RFF) a demandé au tribunal administratif de Limoges de statuer définitivement sur le principe et le montant de sa dette à l'égard de

Mme B...A...en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et, ce faisant, de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme A...et de prononcer la décharge de la somme de 25 000 euros qu'il a été condamné à lui verser à titre de provision par une ordonnance du 16 mai 2012 du juge des référés du même tribunal

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Par un jugement n° 1201067 du 26 février 2014, ce tribunal a condamné RFF à payer ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Réseau Ferré de France (RFF) a demandé au tribunal administratif de Limoges de statuer définitivement sur le principe et le montant de sa dette à l'égard de

Mme B...A...en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et, ce faisant, de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme A...et de prononcer la décharge de la somme de 25 000 euros qu'il a été condamné à lui verser à titre de provision par une ordonnance du 16 mai 2012 du juge des référés du même tribunal.

Par un jugement n° 1201067 du 26 février 2014, ce tribunal a condamné RFF à payer à Mme A...la somme de 48 382,71 euros, sous déduction de la provision déjà versée, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'annonce du projet de ligne à grande vitesse (LGV) Poitiers-Limoges.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 28 avril 2014 et le 10 juin 2014, ainsi que par un mémoire en réplique enregistré le 26 août 2014, RFF, représenté par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges ;

2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme A...devant le tribunal et de le décharger de toutes sommes déjà versées à l'intéressée ;

3°) de mettre à la charge de Mme A...la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 juin 2016 :

- le rapport de Pouget, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Réseau Ferré de France (RFF) relève appel du jugement du 26 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Limoges, statuant en application de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, a fixé définitivement le montant de sa dette à l'égard de Mme B...A...à la somme de 48 382,71 euros et l'a condamné à lui verser cette somme sous déduction des paiements déjà effectués le cas échéant à titre de provision, en réparation des préjudices résultant pour elle de l'annonce publique du projet de tracé de la ligne à grande vitesse (LGV) Poitiers-Limoges. Par la voie de l'appel incident, Mme A...demande que le montant de l'indemnité que RFF est condamné à lui verser soit portée à la somme globale de 59 126,93 euros.

Sur la responsabilité de RFF :

2. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial et d'un lien de causalité entre cet ouvrage ou cette opération et les dommages subis. Il en va de même des dommages qui pourraient être causés à un tiers lors des phases d'études de l'ouvrage public ou des travaux publics projetés.

3. Mme A...soutient, sans être contredite à cet égard par RFF, que lors d'une réunion publique d'information organisée le 22 décembre 2009 à Limoges dans le cadre de la procédure de concertation engagée en septembre 2008 sur le projet de la future LGV Poitiers-Limoges, un tracé de cet ouvrage coupant l'exploitation agricole de 68 hectares d'un seul tenant dont elle était propriétaire sur le territoire de la commune de Saint-Bonnet-de-Bellac a été présenté comme une hypothèse envisagée et plausible. Il résulte par ailleurs de l'instruction que Mme A...projetait alors de mettre un terme à son activité d'agricultrice et de vendre son exploitation puisqu'entre les mois de juin et décembre 2009, elle a d'une part demandé sa radiation des registres de la mutualité sociale agricole et cédé son cheptel ainsi que l'essentiel de son matériel agricole et, d'autre part, consenti deux mandats de vente à des opérateurs spécialisés dans les transactions de biens agricoles et publié une annonce sur un site internet spécialisé. Elle a d'ailleurs réceptionné le 18 décembre 2009 une offre écrite d'achat de sa propriété pour un montant proche du prix demandé. Toutefois, postérieurement à la divulgation du risque que l'exploitation soit affectée par la LGV, le candidat acquéreur n'a pas donné suite à sa proposition et Mme A...fait valoir, ce qui est confirmé par les attestations des mandataires qu'elle produit, que les visites de son bien par des acquéreurs potentiels ont alors totalement cessé, en dépit même d'une modification des conditions d'achat. En conséquence, après que RFF eut annoncé aux exploitants et propriétaires concernés la mise en oeuvre prochaine de mesures compensatoires, et alors mêmes qu'elle s'était séparée d'une partie des moyens d'exploitation, Mme A...a demandé sa réinscription auprès de la mutualité sociale agricole (MSA) afin de ne pas perdre définitivement les droits à paiement unique attachés à l'exploitation. Ce n'est en définitive que le 14 mai 2014 que le SAFER Marche-Limousin a racheté son exploitation agricole dans le cadre d'un dispositif compensatoire dit de mise en réserve de foncier agricole pour des situations d'urgence.

4. Il résulte des circonstances sus-décrites que MmeA..., en conséquence même de l'annonce publique d'un tracé de la ligne LGV susceptible d'affecter sa propriété, a perdu une chance sérieuse de vendre celle-ci dans un délai raisonnable à compter du 22 décembre 2009 et de mettre alors un terme à son statut d'exploitant agricole, ainsi qu'elle en avait l'intention manifeste. Cette perte de chance présente, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'un dommage anormal et spécial, alors même d'une part qu'aucune faute ne saurait être reprochée à RFF dans la conduite des études de définition du projet ferroviaire et, d'autre part, que le gouvernement a annoncé en juillet 2013 avoir gelé jusqu'en 2030 la réalisation du projet, lequel n'a pas donné lieu à déclaration d'utilité publique, Mme A...est fondée à obtenir réparation des préjudices qui en sont la conséquence directe et certaine.

Sur les préjudices :

5. En premier lieu, Mme A...soutient avoir subi un préjudice financier résultant de ce qu'elle a indûment supporté, au titre des années 2010 à 2013 et jusqu'au 14 mai 2014, les impositions foncières afférentes à son exploitation agricole, les charges d'assurance et de prêts agricoles liées à celle-ci ainsi que les cotisations versées à la MSA.

6. Il est constant, d'une part, que la charge des impôts fonciers acquittés par Mme A...jusqu'au rachat de sa propriété par le SAFER présente un lien direct avec la perte de chance de vendre le bien postérieurement au 22 décembre 2009. Si, comme le fait valoir Mme A...devant la cour, ce préjudice doit être indemnisé y compris pour la période courant du 1er janvier au

14 mai 2014, sur laquelle le tribunal ne s'est pas prononcé, c'est en revanche à tort que les premiers juges ont estimé qu'il ouvrait droit à réparation pour l'intégralité de l'imposition acquittée en 2011 au titre de l'année 2010 sans affecter la somme considérée d'un prorata afin de tenir compte du délai initial durant lequel Mme A...ne pouvait raisonnablement escompter transférer effectivement à un tiers la propriété de son bien. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en confirmant son évaluation fixée en première instance à

6 276 euros.

7. D'autre part, si Mme A...a effectivement été privée de la possibilité de solder par anticipation dès 2010 les emprunts agricoles souscrits par elle, il résulte des tableaux d'amortissement de ces emprunts, lesquels arrivaient à échéance en 2015, que le reliquat de leur coût financier, assurance incluse, s'élevait en 2010 à la somme totale de 3 481,69 euros, seule susceptible de donner lieu à indemnisation au titre du préjudice invoqué à l'exclusion du capital restant dû. Par les pièces qu'elle produit, Mme A...justifie par ailleurs, à concurrence de 3 970,76 euros, des frais qu'elle a supportés au cours de la période considérée pour assurer sa propriété et les matériels agricoles conservés. L'indemnité due à Mme A...par RFF à raison des charges d'emprunt et d'assurance qu'elle a supportées doit donc être fixée globalement à la somme de 7 452,45 euros.

8. Enfin, il résulte de l'instruction que Mme A...a été contrainte de cotiser de nouveau auprès de la MSA à compter de 2011 afin de ne pas amoindrir la valeur de son exploitation et de conserver une protection sociale. Il est toutefois constant qu'en contrepartie de cette réinscription, la requérante a conservé le bénéfice des droits à paiement unique attachés à ses terres agricoles, qui lui ont été versés jusqu'au rachat de l'exploitation par le

SAFER Marche-Limousin. Dans ces conditions, et dès lors que Mme A...ne conteste pas sérieusement l'affirmation de RFF selon laquelle cet avantage financier a compensé le coût de sa réinscription à la MSA, elle n'établit pas avoir subi de ce chef un préjudice effectif, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges.

9. Par conséquent, Mme A...justifie à concurrence de la somme de 13 728,45 euros d'un préjudice financier en lien direct et certain avec la perte de chance de vendre l'exploitation dans un délai raisonnable à compter du mois de décembre 2009.

10. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient inexactement apprécié les troubles dans les conditions d'existence de MmeA..., qualifiés de préjudice moral, en mettant à ce titre à la charge de RFF une indemnité de 4 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part que RFF est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Limoges l'a condamné à verser à Mme A...une indemnité excédant la somme de 17 728,45 euros et, d'autre part, que les conclusions d'appel incident de Mme A...doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties à l'instance sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : RFF est condamné à payer à MmeA..., sous réserve des sommes le cas échéant déjà versées, la somme de 17 728,45 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 février 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées en appel par Mme A...sont rejetés.

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N° 14BX01293


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX01293
Date de la décision : 12/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-03-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute. Responsabilité encourue du fait de l'exécution, de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics. Victimes autres que les usagers de l'ouvrage public. Tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : VIGER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-07-12;14bx01293 ?
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