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12/07/2016 | FRANCE | N°13BX02249

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 12 juillet 2016, 13BX02249


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes G...D..., H...D..., E...D...et B...F...ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges à leur payer une indemnité de 450 000 euros en réparation des préjudices occasionnés par la prise en charge de M. A...D..., décédé le 23 mars 2005.

Par un jugement n° 1100623 du 6 juin 2013, le tribunal administratif de Limoges a condamné le CHU de Limoges à payer une indemnité de 2 500 euros à Mme G... D...et une indemnité de 1 000 euro

s à Mme H...D..., à Mme E... D...et à Mme B...F..., a mis à sa charge les frais de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes G...D..., H...D..., E...D...et B...F...ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges à leur payer une indemnité de 450 000 euros en réparation des préjudices occasionnés par la prise en charge de M. A...D..., décédé le 23 mars 2005.

Par un jugement n° 1100623 du 6 juin 2013, le tribunal administratif de Limoges a condamné le CHU de Limoges à payer une indemnité de 2 500 euros à Mme G... D...et une indemnité de 1 000 euros à Mme H...D..., à Mme E... D...et à Mme B...F..., a mis à sa charge les frais de l'expertise et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corrèze.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 3 août 2013 et 6 octobre 2014, MmesD..., représentées par la SCP Dombre, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 6 juin 2013 du tribunal administratif de Limoges ;

2°) de condamner le CHU de Limoges à leur payer à chacune une indemnité de 100 000 euros ainsi que la somme de 50 000 euros à SandraD..., avec intérêts légaux à compter du 29 décembre 2010 et de mettre à sa charge la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Chirurgien orthopédiste au centre hospitalier d'Ussel, M.D..., alors âgé de cinquante-six ans, a été électrocuté par un bistouri électrique le 27 janvier 2005. Le même jour, à son domicile, il a présenté divers troubles, céphalées, acouphènes et diplopie. Adressé en urgence au centre hospitalier d'Ussel, il avait un score de Glasgow de 15 révélant un état de conscience normale et ne présentait aucun déficit moteur objectif ou syndrome cérébelleux. Le scanner cérébral pratiqué en urgence a révélé que les troubles, sans rapport avec la brûlure subie au bloc opératoire, étaient imputables à une volumineuse malformation artério-veineuse du vermis cérébelleux. M. D...a aussitôt été transféré au service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, où une artériographie cérébrale a confirmé ce diagnostic de lésion de la fosse postérieure occupant les deux tiers inférieurs du cervelet. Dans l'attente de l'embolisation partielle de cette malformation par injection d'Onyx, prévue le 2 février suivant, il a été autorisé à regagner son domicile. L'intervention a permis l'occlusion de la moitié de la malformation. Le surlendemain, alors que les examens neurologiques pratiqués étaient jusqu'alors favorables et que M.D..., qui souffrait de simples céphalées soulagées par des antalgiques, envisageait sa sortie, son état général s'est très fortement dégradé vers midi avec, notamment, une recrudescence brutale des céphalées, des vomissements et une photophobie. Ces troubles se sont rapidement aggravés avec l'apparition de troubles de la vigilance, de convulsions et d'une hémiparésie droite. Un scanner cérébral pratiqué en urgence a révélé une hémorragie méningée avec hématome de la fosse postérieure inondation tétra-ventriculaire et hydrocéphalie aiguë. Les chirurgiens ont alors pratiqué, le même jour, une dérivation ventriculaire externe du coté droit, une artériographie cérébrale et une nouvelle embolisation du résidu de la malformation, sans amélioration de l'état du patient, qui se trouvait alors dans un état de coma (tétraplégie avec ouverture des yeux et, parfois, suivi du regard). Le scanner du 5 février confirme la présence de la dérivation dans les ventricules. Le 14 février, le scanner de contrôle a mis en évidence une hypodensité de la partie gauche et haute du tronc cérébral évoquant une ischémie et, le surlendemain, une trachéotomie a été réalisée, suivie d'une gastrostomie d'alimentation puis d'une tentative, vaine, de " clampage " de la dérivation externe. Le 21 février, M. D...a été transféré du service de réanimation à celui des soins intensifs de neurochirurgie dans un état qualifié de " subconcience " (yeux ouverts et non exécution des ordres). Le scanner du 1er mars témoigne de la persistance de la dilatation ventriculaire. Une ventriculocisternostomie a été réalisée le 17 mars pour résorber le liquide entre le troisième ventricule et les espaces péri-cérébraux, ce qui a permis en outre de retirer la dérivation ventriculaire. Resté fluctuant avec des épisodes d'aggravation épisodes d'inégalité pupillaire et divers troubles infectieux et gastriques, l'état du patient s'est brusquement aggravé le 21 mars, son état neurologique s'est brutalement aggravé puisqu'il se trouvait dans un état de coma non réactif de stade II. Présentant une hydrocéphalie aiguë, il a bénéficié le même jour, d'une dérivation ventriculaire externe sans amélioration de son état marqué par la persistance d'une mydriase bilatérale aréactive et une instabilité hémodynamique. L'électroencéphalogramme du 22 mars a confirmé le diagnostic de mort cérébrale et le décès par arrêt cardiaque de M. D...a été constaté le surlendemain.

2. Son épouse, G...D..., et ses trois filles, NathalieD..., Sandra D...et CécileF..., ont saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande tendant à la condamnation du CHU de Limoges à leur payer une indemnité totale de 450 000 euros en réparation de leurs préjudices. Par un jugement avant-dire droit du 6 décembre 2012, les premiers juges ont ordonné une expertise. Le professeur Tadié, neurochirurgien désigné par le tribunal, a remis son rapport le 22 mars 2013. Par un jugement du 6 juin suivant, le tribunal administratif de Limoges a retenu à l'encontre de l'établissement hospitalier une abstention fautive de toute tentative de décompression du tronc cérébral à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès dont il a fixé le taux à 10 % et a, par ses articles 1er à 4, condamné le CHU de Limoges à payer une indemnité de 2 500 euros à l'épouse de M. D...et une indemnité de 1.000 euros à chacun de ses enfants. Constatant l'absence de délégation de signature pour l'engagement d'un recours subrogatoire, il a, par son article 5, rejeté comme irrecevable le recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corrèze. Enfin, par ses articles 6 et 7, il a mis à la charge de l'établissement hospitalier, d'une part, les frais de l'expertise ordonnée le 10 décembre 2012, liquidés et taxés à 1 050 euros, d'autre part, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3. Mmes D...et F...relèvent appel de ce jugement et demandent, d'une part, que le montant alloué à chacune d'elles en réparation de son préjudice moral soit porté à 100 000 euros, d'autre part, qu'une indemnité de 50 000 euros soit alloué à Sandra D...pour son préjudice matériel et la réformation en ce sens du jugement du 6 juin 2013. La CPAM de la Corrèze sollicite, d'une part, les montants respectifs de 42 585 euros, 303 338,67 euros et 738 965,86 euros au titre des dépenses de santé, des arrérages de la rente d'ayant-droit allouée à compter du 24 mars 2005 et du capital représentatif de cette rente, d'autre part, la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Le CHU de Limoges conclut au rejet de cette demande et sollicite, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité et l'a condamné à indemniser Mmes D...etF....

Sur la recevabilité de la demande présentée en première instance par la CPAM de la Corrèze (et la régularité du jugement en tant qu'il statue sur cette demande) :

4. Il résulte de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale que les agents des organismes de sécurité sociale n'ont qualité pour les représenter en justice que s'ils disposent d'un mandat du directeur. Compte tenu, d'une part, du lien établi par l'article L. 376-1 du même code entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d'assurance maladie à laquelle elle est affiliée et, d'autre part, de l'obligation qu'elles instituent d'appeler cette caisse dans la cause, en tout état de la procédure, afin de la mettre en mesure de rechercher le remboursement de ses débours par l'auteur de l'accident, l'appel régulièrement formé par la victime contre un jugement statuant sur sa demande et sur un recours subrogatoire présenté au nom de la caisse rouvre à cette dernière, si elle avait omis de le faire en première instance, la possibilité de justifier que les agents qui ont introduit ce recours étaient dûment habilités à cette fin.

5. Devant la cour, la CPAM de la Corrèze produit une décision n° 402 du 15 mars 2007 par laquelle sa directrice a consenti une " délégation générale " à M.C..., directeur adjoint. Cette décision a été prise au visa, notamment, de l'article R. 122-3 du code de la sécurité sociale prévoyant que le directeur peut donner mandat à des agents de l'organisme en vue, notamment, d'assurer sa représentation en justice. Il suit de là, d'une part, que la fin de non-recevoir opposée par le défendeur aux conclusions d'appel de la caisse doit être écartée, d'autre part, que la CPAM de la Corrèze est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevable sa demande. Il y a lieu d'annuler l'article 5 du jugement attaqué qui rejette les conclusions de la caisse et de statuer par la voie de l'évocation sur ces conclusions au point 19 du présent arrêt.

Sur la responsabilité du CHU de Limoges :

En ce qui concerne le défaut d'information :

6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable, issue de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (....) Cette information incombe à tout professionnel de santé (...) Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ". Si, à la suite d'un défaut d'information, le juge peut nier l'existence d'une perte de chance de se soustraire au risque lié à l'intervention au motif que celle-ci était impérieusement requise, il lui appartient, pour se prononcer en ce sens, de rechercher dans quel délai une évolution vers des conséquences graves était susceptible de se produire si le patient refusait de subir dans l'immédiat l'intervention.

7. Par ailleurs, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus lors d'une intervention ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles. L'existence d'un tel préjudice ne se déduit pas de la seule circonstance que le droit du patient d'être informé des risques de l'intervention a été méconnu. Il appartient à la victime d'établir la réalité et l'ampleur du préjudice moral allégué.

8. Il est constant qu'en l'état des données de la science, l'opération d'embolisation présente un risque hémorragique connu de 3 à 4 %. Le défaut d'information sur ces risques n'est pas contesté par le centre hospitalier. Toutefois, lorsqu'une intervention est impérieusement requise, en sorte que le patient ne dispose d'aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d'information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte. En l'espèce, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté en appel que, compte tenu du volume de la malformation, la chirurgie et la radiothérapie étaient exclues. Compte tenu, en outre, du risque hémorragique, le traitement de cette malformation par voie endovasculaire était impérieusement requis, excluant toute possibilité raisonnable qu'à compter du 27 janvier, le patient refuse ou à tout le moins diffère davantage l'intervention prévue le 2 février suivant. Le défaut d'information sur les risques de l'intervention n'a donc pu faire perdre à M. D...une chance d'échapper aux complications survenues.

9. Les requérantes font valoir que l'absence de toute alternative est sans incidence sur l'obligation légale d'information, alors, ainsi qu'il a été dit, que dans un tel cas, le défaut de respect de cette obligation n'a pu entraîner aucune perte de chance de se soustraire aux complications, puis à invoquer " l'absence de traçabilité de l'information " relevée par le professeur Bonafé dans ses dires du 26 avril 2013, qui révèlerait " un dysfonctionnement de la structure " et l'état de stress que ce défaut d'information a engendré chez le patient.

10. D'une part, la circonstance, pour regrettable qu'elle soit, que les requérantes n'auraient pas reçu d'information sur les opérations de gastrostomie et de trachéotomie subies par M. D...ne révèle aucun défaut d'information au sens des dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Si les requérantes, qui font également valoir qu'elles n'ont pas été mises à même de " se préparer à l'issue fatale ", ont ainsi entendu invoquer un préjudice moral, elles n'établissent ni la réalité ni l'ampleur de ce préjudice. D'autre part, si elles font valoir que leur parent " a été privé d'une chance de se préparer mentalement à contrôler le stress qui est probablement à l'origine de la complication hémorragique ", elles n'allèguent pas que du 27 janvier au 4 février 2005, le patient aurait sollicité en vain des informations sur son état de santé et quand bien même M. D...aurait été privé de toute information, ce qui n'est pas réaliste au vu des éléments du dossier, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait subi de ce fait un état de stress à l'origine de l'aggravation brutale de son état constatée le 4 février 2005.

En ce qui concerne l'erreur de diagnostic alléguée lors de la prise en charge du 27 janvier 2005 :

11. Le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

12. Les requérantes se prévalent des conclusions du neurologue qu'elles ont saisi, le professeur Bonafé, qui affirme que le patient, présentant un saignement sous arachnoïdien modéré, ne pouvait, le 28 janvier 2005, être autorisé à regagner son domicile dans l'attente de l'intervention prévue le 2 février suivant et invoquent la méconnaissance " du mode de présentation hémorragique de la malformation" par un radiologue inexpérimenté qui aurait mal interprété les images. Toutefois, l'expert commis par les premiers juges a, par des constatations précises et circonstanciées, relevé que l'examen d'imagerie par résonnance magnétique du 28 janvier confirmait l'existence d'une lésion de la fosse postérieure occupant les deux tiers inférieurs du cervelet, avec des vaisseaux dilatés " avec images de pseudo anévrisme " et sans dilatation ventriculaire. L'examen ne révélait ni composante hémorragique, ni effet de masse ou compression sur les structures ventriculaires, ni hydrocéphalie, ce qui a permis d'écarter avec certitude l'hypothèse de saignement qui aurait été émise au centre hospitalier d'Ussel. Si les requérantes font valoir qu'en tout état de cause, alors même qu'aucune hémorragie n'était décelée, la présence d'une telle malformation " à haut risque de saignement " faisait obstacle à toute autorisation de sortie, comme l'a relevé le professeur Tadié, il était conforme aux règles de l'art d'autoriser la sortie du patient dans l'attente de l'intervention du 2 février 2005. Ni les conclusions du professeur Bonafé, ni aucun autre élément versé au dossier ne permet de remettre en cause cette appréciation et ne justifient que soit ordonné un complément d'expertise ou une mesure d'instruction à l'effet notamment de vérifier les clichés pris par le centre hospitalier d'Ussel. Aucune erreur de diagnostic n'est donc imputable sur ce point au centre hospitalier.

13. En tout état de cause, les incidences de l'autorisation de sortie sur la survenue des complications en cause ne sont pas établies. Si les requérantes persistent en appel à soutenir que " si le patient était resté dans une structure adaptée, il aurait soulagé son stress et sa douleur et limité le risque de survenue de la complication hémorragique ", le lien de causalité allégué n'est pas établi, d'autant qu'il n'est pas soutenu que M. D...aurait fait connaître à l'équipe médicale son souhait de rester en observation.

En ce qui concerne l'absence de tentative de décompression du tronc cérébral :

14. En vertu de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique, le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. (...) ". L'article R. 4127-37 du même code confirme ce principe.

15. Il n'est pas contesté que l'embolisation partielle pratiquée le 2 février 2005, seul acte approprié compte tenu de la nécessité de procéder par étapes, à quelques semaines d'intervalle eu égard aux risques d'ischémie par oblitération artérielle ou de rupture par oblitération veineuse, des risques de décès engendrés par une intervention chirurgicale et des risques de la radiothérapie pour ce type de malformation volumineuse, a été réalisée conformément aux règles de l'art. La complication hémorragique décelée le 4 février 2005 constituait une complication non fautive, sans caractère exceptionnel, survenant dans 3 à 4 % des cas. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le scanner cérébral pratiqué en urgence le 4 février 2005 a révélé une hémorragie méningée massive et un hématome de la fosse postérieure obstruant la circulation du liquide céphalorachidien et entraînant une inondation tétra-ventriculaire et une hydrocéphalie. Il n'est pas davantage contesté que, si elle allège l'hyperpression des ventricules, la dérivation externe du liquide ventriculaire ne permet pas de remédier à la compression du cervelet et du tronc cérébral.

16. Les requérantes font grief à l'équipe médicale de s'être abstenue le 4 février 2005, de tenter une opération de décompression du cervelet et du tronc cérébral et font valoir que la prise en charge du 14 février au 17 mars " révèle une absence de conviction sur les chances de survie du patient " alors que, selon elles, le choix de l'intervention du 17 mars révélait pourtant l'existence d'un espoir de survie. Elles indiquent, d'une part, que " les médecins étaient formels sur le fait qu'il ne se réveillerait jamais ", notamment que la perte de tout espoir de survie serait révélée par la survenue d'une kératite bilatérale occasionnée par le défaut de fermeture des yeux, d'autre part, que le patient " certes avait de graves séquelles mais aurait pu vivre encore ". Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs pas précisément allégué que M. D..., atteint de lésions sévères, étendues et irréversibles du tronc cérébral, aurait conservé une chance de sortir de son état végétatif et de retrouver à tout le moins un état de conscience minimale. Au demeurant, il n'est pas davantage sérieusement contesté que, comme l'a relevé le professeur Fischer, expert en neurologie mandaté par le défendeur, s'il a permis de diagnostiquer une inondation tétraventriculaire, le premier scanner réalisé après la première embolisation ne révèle en définitive aucun hématome collecté susceptible d'être évacué mais tout au plus " un magma vasculaire embolisé, entouré d'hémorragie périlésionnelle et gonflé d'oedème ". Enfin, en admettant l'existence d'un hématome susceptible d'être retiré, tous les experts s'accordent à constater que le geste chirurgical de décompression du cervelet et du tronc cérébral était extrêmement risqué, y compris le professeur Bonafé. Ce dernier se borne à rappeler que la dérivation externe ne permet pas de remédier à la compression du cervelet et du tronc cérébral et en déduire que la prise en charge est incomplète par rapport " au cahier des charges attendu " sans établir, notamment par la littérature médicale produite à l'appui de ses dires que cet acte n'était dans les circonstances de l'affaire ni inutile, ni disproportionné. Dans ces conditions, les requérantes ne peuvent sérieusement soutenir que cette intervention devait être tentée pour " sauver la vie " du patient. Celui-ci présentait un état de coma par lésion compressive du tronc cérébral et, selon l'avis émis le 22 avril 2013 par le professeur Fischer, il serait " au mieux resté comateux ", sujet à d'inéluctables complications à l'issue fatale, " au pire, il risquait de décéder pendant ou peu après l'opération ", qui était selon lui, non seulement inutile mais contre-indiquée compte tenu de la nature de la lésion et de l'état du patient. Cette appréciation, par un neurochirurgien expérimenté, selon laquelle le patient, " voué à une mort certaine n'avait aucune chance de se réveiller et toutes les chances de ne pas survivre quoiqu'on fasse " n'est, en dépit des controverses des experts sur ce point, pas sérieusement contestée, notamment par le professeur Tadié qui excluait d'ailleurs, pour la prise en charge du mois de janvier 2005 tout acte chirurgical comme entraînant inéluctablement le décès du patient et se bornait à mentionner que cette intervention constituait " la seule chance d'éviter le décès ", sans autres précisions sur l'état de conscience du patient à l'issue d'une intervention " réussie ". Pour leur part, les requérantes font état de considérations générales ne reposant sur aucune source scientifique, relatives à la nécessité d'intervenir quel que soit l'état de conscience du malade. En se bornant à déplorer, sans autres précisions, l'absence de concertation entre les équipes de réanimateurs, neuroradiologues et neurochirurgiens " sur la conduite à tenir lors de l'aggravation de l'état clinique du patient ", le professeur Bonafé, dont les requérantes reprennent l'appréciation, ne précise pas en quoi le patient aurait de ce seul fait été privé d'une chance de sortir de son état de coma. Le défaut d'une concertation adaptée aux circonstances de l'espèce n'est, au surplus, pas établi. Dans les circonstances de l'affaire, à supposer que M. D...aurait perdu une chance d'échapper au décès, ce qui n'est pas établi, il ne peut donc être regardé comme ayant perdu une chance d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation. Eu égard en particulier, d'une part, à la gravité de l'état neurologique de M.D..., d'autre part, à l'importance des risques et aux difficultés que présentait l'opération chirurgicale en cause en la présence, d'ailleurs contestée par le professeur Fischer, de l'hématome constaté par le professeur Bonafé et estimé à 20,3 ml, il n'est en définitive pas établi que la prise en charge de M. D...aurait été inadaptée à son état et non conforme aux règles de l'art et aux données de la science. Aucune abstention fautive de la part de l'équipe médicale ne peut être retenue sur ce point à l'encontre du CHU de Limoges.

En ce qui concerne les autres manquements allégués :

17. A les supposer établis, le défaut de surveillance et les carences relevées dans les soins post opératoires, " dysfonctionnements dans la communication ", absence de toute mesure de prévention de la kératite bilatérale et de la plaie à la lèvre de M.D..., retrait de la dérivation ventriculaire externe après la ventriculocisternostomie, absence de scanner de contrôle n'ont en tout état de cause pu ni occasionner le décès de l'intéressé, ni lui faire perdre une chance de survie. Enfin, contrairement à ce que soutiennent sans autres précisions les requérantes, il ne résulte pas de l'instruction que le patient aurait été maintenu pendant vingt-cinq jours dans un service inadapté à son état de santé.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le CHU de Limoges est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute médicale, puis estimé que M. D... avait de ce fait perdu une chance, même minime, d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation. Il y a lieu, dès lors, dans la limite des conclusions d'appel susmentionnées du CHU de Limoges, d'annuler les articles 1er à 4 du jugement attaqué et de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mmes D...et F...devant le tribunal administratif de Limoges.

19. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter la demande présentée par la CPAM de la Corrèze devant le tribunal administratif de Limoges, tendant au remboursement de ses débours, les frais d'hospitalisation de 42 585 euros exposés du 1er février au 23 mars 2005 pour le compte de M. D...n'étant au demeurant pas imputables aux fautes médicales alléguées dès lors que, même en l'absence de faute, l'état de santé du patient imposait une hospitalisation pendant la période considérée, et au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les dépens et les frais de procès non compris dans les dépens :

20. L'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative par les premiers juges, qui, par l'article 6 du jugement attaqué, ont mis à la charge des requérantes les frais de l'expertise ordonnée le 10 décembre 2012, liquidés et taxés à 1 050 euros, n'est pas contestée en appel.

21. L'article L. 761-1 du même code fait obstacle à ce que des sommes soient mises à la charge du CHU de Limoges, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mmes D...et F...et par la CPAM de la Corrèze.

DECIDE

Article 1er : Les articles 1 à 5 du jugement rendu le 6 juin 2013 par le tribunal administratif de Limoges sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Limoges par Mmes D... et F...et par la CPAM de la Corrèze ainsi que les conclusions d'appel de Mmes D...et F...et le surplus des conclusions d'appel de la CPAM de la Corrèze sont rejetés.

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N° 13BX02249


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX02249
Date de la décision : 12/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Introduction de l'instance - Qualité pour agir - Représentation des personnes morales.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Absence de faute - Information et consentement du malade.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Droits des caisses de sécurité sociale.

Santé publique - Établissements publics de santé - Responsabilité des établissements de santé (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: Mme Marie-Thérèse LACAU
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SCP DOMBRE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-07-12;13bx02249 ?
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