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14/06/2016 | FRANCE | N°14BX02359

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 14 juin 2016, 14BX02359


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Polyclinique Marzet à Pau a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 20 051 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la décision par laquelle le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Aquitaine a suspendu ses activités de chirurgie et de médecine du 18 avril au 15 mai 2003.

Par un jugement n° 1300444 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la c

our :

Par une requête enregistrée par télécopie le 1er août 2014 et régularisée le 4 a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Polyclinique Marzet à Pau a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 20 051 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la décision par laquelle le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Aquitaine a suspendu ses activités de chirurgie et de médecine du 18 avril au 15 mai 2003.

Par un jugement n° 1300444 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée par télécopie le 1er août 2014 et régularisée le 4 août 2014 et par un mémoire, enregistré le 26 novembre 2015, présentés par Me Dugast, avocat, la SAS Polyclinique Marzet, représentée par son président en exercice, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 juin 2014 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de condamner conjointement l'agence régionale de santé (ARS) d'Aquitaine et l'Etat à lui verser une indemnité de 20 051 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'ARS d'Aquitaine et de l'Etat la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

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Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.A...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,

- et les observations de Me Dugast, représentant la Polyclinique Marzet.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la plainte de la famille d'une patiente décédée dans cette clinique privée et d'études menées par le service du contrôle médical de l'assurance maladie sur les établissements du secteur, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) d'Aquitaine a chargé, par une lettre de mission du 17 mars 2003, un groupe de six médecins d'analyser l'organisation et le fonctionnement de la Polyclinique Marzet à Pau. Ce groupe lui a remis son rapport intérimaire le 18 avril 2003 et, sur la base des conclusions de ce rapport, le directeur de l'ARH d'Aquitaine a, le jour même, par une décision immédiatement communiquée au directeur de l'établissement, suspendu l'autorisation des lits et places de chirurgie et des lits de médecine de la clinique. Par une décision du 22 avril 2003, il a confirmé cette suspension, à laquelle il a mis fin à compter du 15 mai 2003, par une décision du même jour. La SAS Polyclinique Marzet à Pau a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 20 051 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de ces décisions. Par un jugement n° 1300444 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. La SAS Polyclinique Marzet relève appel de ce jugement.

2. Contrairement à ce que soutient la SAS Polyclinique Marzet, le tribunal administratif de Pau a répondu, en considérant que cette circonstance était sans incidence sur la légalité de la mesure de suspension contestée, à son moyen tiré de ce que cette mesure n'était pas justifiée dès lors que le rapport récent de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) établissait qu'elle avait satisfait à la procédure d'accréditation. Le tribunal administratif de Pau n'a pas méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve en se bornant à constater que rien ne permettait de penser que les conditions de l'organisation et du fonctionnement de la clinique avaient changé par rapport à ce qu'elles étaient pendant l'année 2002, au cours de laquelle avait été constatée une importante mortalité de ses patients. Enfin et contrairement à ce que soutient également la SAS Polyclinique Marzet, le tribunal administratif de Pau n'a pas estimé à tort qu'elle ne contestait que de manière générale l'exactitude matérielle des faits retenus contre elle, qu'il a, de toute façon, rappelés et examinés de manière précise et circonstanciée, pour relever qu'aucun élément de nature à établir leur inexactitude n'était apporté.

3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un établissement privé de santé dont l'autorisation aurait été irrégulièrement suspendue a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. En particulier, lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité, pour un vice de procédure, de la décision lui imposant une suspension d'activité, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.

4. La SAS Polyclinique Marzet ne fait état d'aucun préjudice présentant un lien direct et certain avec les irrégularités, tenant notamment au caractère insuffisant de la motivation des décisions contestées ou à l'absence de caractère contradictoire de la procédure selon laquelle ces décisions ont été prises, dont elle soutient que ces décisions seraient entachées. Dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de rechercher si c'est à tort ou à raison que le tribunal administratif de Pau a écarté les moyens, à les supposer opérants, de la SAS Polyclinique Marzet relatifs à la légalité externe de ces décisions, il y a lieu seulement d'examiner si, par leur importance, les fautes qui lui étaient reprochées justifiaient la suspension de ses autorisations.

5. En vertu de l'article L. 6122-13 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la mesure contestée, le directeur de l'ARH peut prononcer la suspension totale ou partielle de l'autorisation de fonctionner d'une installation ou d'une activité de soins en cas d'urgence tenant à la sécurité des malades ou lorsque les conditions techniques de fonctionnement ne sont pas respectées ou lorsque sont constatées dans un établissement de santé et du fait de celui-ci des infractions aux lois et règlements pris pour la protection de la santé publique entraînant la responsabilité civile de l'établissement ou la responsabilité pénale de ses dirigeants. A l'issue d'un délai d'un mois si la mise en demeure est restée sans effet et après avis de l'organe consultatif compétent, le directeur de l'ARH doit se prononcer à titre définitif sur le retrait d'autorisation ou sur la modification de son contenu ou sur son maintien assorti de conditions particulières.

6. La SAS Polyclinique Marzet soutient que les décisions contestées ne se fondent que sur des éléments statistiques pour justifier la mesure de suspension qu'elles prononcent. Elle ajoute que ces éléments ne sont pas pertinents, car ils incluent les patients cancéreux, représentant une proportion importante de ceux qu'elle accueillait et qui présentent une spécificité certaine. Il résulte de l'instruction que, sauf dans certains cas où il se pourrait qu'en raison des insuffisances dans le fonctionnement de la SAS Polyclinique Marzet, certains de ces patients ne pouvaient pas être distingués des autres, les patients admis en oncologie n'ont pas été pris en compte. Les rapports du groupe de médecins chargés du contrôle de l'organisation et du fonctionnement de la clinique exploitée par la SAS Polyclinique Marzet mentionnent des éléments statistiques, relatifs notamment à la mortalité des patients mais leurs conclusions ne sont pas fondées uniquement ni même essentiellement sur des éléments statistiques. Au contraire, ces conclusions reposent sur les contrôles sur pièces, notamment sur l'analyse détaillée de l'intégralité des dossiers des 71 patients décédés dans l'établissement au cours de l'année 2002 et sur place, effectués par les membres du groupe de médecins désignés par le directeur de l'ARH. Ainsi, la SAS Polyclinique Marzet n'est pas fondée à soutenir que ces rapports ne permettaient pas d'établir l'exactitude matérielle des faits sur lesquels repose la mesure de suspension contestée.

7. Le rapport de l'ANAES, dont se prévaut la SAS Polyclinique Marzet, établi dans le cadre de la procédure d'accréditation de la clinique, ne comporte aucun élément de nature à pouvoir contredire les rapports du groupe de médecins désignés par le directeur de l'ARH et les faits effectivement constatés par les membres de ce groupe.

8. Ces faits, relevés par les rapports du groupe de médecins désignés par le directeur de l'ARH et rappelés de manière détaillée, au point 11 de ses motifs, par le jugement du 26 juin 2014 du tribunal administratif de Pau, sont constitués, notamment, par une organisation et un fonctionnement défectueux de la prise en charge anesthésique avant, pendant et après les interventions, tenant à la fois au nombre insuffisant du personnel médical et infirmier et à une utilisation chaotique des salles du bloc opératoire, par de graves anomalies dans la tenue des dossiers médicaux, par une absence de coordination et de concertation dans la prise en charge des patients porteurs de plusieurs affections justifiant l'intervention de plusieurs spécialistes, ainsi que par l'absence de mesures appropriées en matière de transfert vers un établissement disposant de soins intensifs ou de réanimation des patients ne pouvant être maintenus dans la clinique. Ils révèlent donc de graves insuffisances dans les conditions techniques d'organisation et de fonctionnement de la clinique exploitée par la SAS Polyclinique Marzet, caractérisant une urgence tenant à la sécurité des malades de nature à justifier une mesure de suspension d'autorisations accordées à cet établissement.

9. Il est vrai que les faits mentionnés au point précédent étaient de nature à affecter à titre principal la sécurité des patients admis en chirurgie et que la mesure de suspension porte également sur l'autorisation des lits de médecine de la SAS Polyclinique Marzet. Toutefois, la plupart des insuffisances que révèlent ces faits étaient également susceptibles d'affecter la sécurité des malades admis en médecine. Ainsi la suspension contestée, qui n'a pas concerné l'autorisation pour certains traitements en oncologie et pour la participation aux urgences, était également justifiée pour l'autorisation des lits de médecine, dont le nombre est d'ailleurs peu important en regard de la capacité totale de la clinique exploitée par la SAS Polyclinique Marzet.

10. La SAS Polyclinique Marzet relève qu'aucune procédure pénale n'a été poursuivie à la suite de la transmission des faits au procureur de la République par le directeur de l'ARH, qui aurait ainsi outrepassé ses attributions. D'une part, ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal administratif de Pau, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la mesure de suspension. D'autre part et même s'il n'avait pas fondé ses décisions sur des infractions aux lois et règlements pris pour la protection de la santé publique entraînant la responsabilité civile de l'établissement ou la responsabilité pénale de ses dirigeants, le directeur de l'ARH a pu, sans commettre de faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, informer le procureur de la République des faits dont il avait eu connaissance.

11. Comme il est dit au point 1, le directeur de l'ARH d'Aquitaine a, par une décision du 15 mai 2003, mis fin à compter du même jour à la suspension des autorisations de la SAS Polyclinique Marzet. Il n'a pas décidé de mettre fin à cette suspension en raison des conclusions du rapport définitif du groupe de médecins qu'il avait désignés ou du rapport établi par des membres de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui auraient fait ressortir qu'il pouvait exister des doutes sur les faits fondant la mesure de suspension ou sur leur gravité. Sa nouvelle décision est fondée sur les engagements formels et précis des dirigeants de la SAS Polyclinique Marzet et des praticiens y exerçant de prendre toutes les mesures propres à mettre fin aux insuffisances constatées et à se soumettre à un suivi de leur application sous le contrôle de l'ARH. Dans ces conditions, la mesure de suspension ne peut pas être regardée comme ayant été prise avec une précipitation fautive.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Polyclinique Marzet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement n° 1300444 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la SAS Polyclinique Marzet tendant à son application.

DECIDE

Article 1er : La requête de la SAS Polyclinique Marzet est rejetée.

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N°14BX02359


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX02359
Date de la décision : 14/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

61-07-01 Santé publique. Établissements privés de santé. Autorisations de création, d'extension ou d'installation d'équipements matériels lourds.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Bernard LEPLAT
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SAINT LOUIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-06-14;14bx02359 ?
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