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25/04/2016 | FRANCE | N°14BX02324

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 25 avril 2016, 14BX02324


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner La Poste à lui verser une indemnité de 250 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de sanction d'exclusion temporaire de fonctions, pour une durée de deux ans dont un an avec sursis, prononcée à son encontre par le directeur de La Poste.

Par un jugement n° 14000015 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné La Poste à lui verser une indemnit

de 17 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner La Poste à lui verser une indemnité de 250 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de sanction d'exclusion temporaire de fonctions, pour une durée de deux ans dont un an avec sursis, prononcée à son encontre par le directeur de La Poste.

Par un jugement n° 14000015 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné La Poste à lui verser une indemnité de 17 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2014, 15 septembre 2014, 27 avril 2015, 20 août 2015 et 15 mars 2016, MmeC..., représentée par MeB..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 26 juin 2014, en ce qu'il n'a condamné La Poste qu'à lui verser la somme de 17 000 euros ;

2°) de condamner La Poste à lui verser une indemnité de 218 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant MmeC....

Considérant ce qui suit :

1. MmeC..., fonctionnaire titulaire du grade ATG2 à La Poste, occupait les fonctions de guichetier au sein du bureau de Sainte-Rose (Guadeloupe). Par une décision du 26 décembre 2007, confirmée par une décision du 31 août 2010, le directeur de la Poste a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions, pour une durée de deux ans dont un an avec sursis. Par un jugement du 20 juin 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cette sanction comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Mme C...a alors formé un contentieux indemnitaire. Elle fait appel du jugement du même tribunal administratif du 26 juin 2014, en ce qu'il n'a condamné La Poste qu'à lui verser la somme de 17 000 euros, soit 1 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence et 16 000 euros au titre de son préjudice financier, et demande que La Poste soit condamnée à lui verser la somme de 18 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence et de 200 000 euros en réparation du harcèlement moral qu'elle dit avoir subi. Par la voie de l'appel incident, La Poste demande la réformation du jugement, en ce qu'il a mis à sa charge la somme de 16 000 euros au titre du préjudice financier subi par MmeC....

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. En premier lieu, comme cela a été dit ci-dessus, par jugement du 20 juin 2013, le tribunal administratif de Basse-Terre a annulé, comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, la sanction disciplinaire portant exclusion temporaire de fonctions de Mme C... pour une durée de deux ans, dont un avec sursis. Ce jugement, qui n'a pas été contesté dans le délai de recours contentieux, est devenu définitif. Cette illégalité constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration si elle a directement causé un préjudice à l'intéressée.

3. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;

4. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

5. Mme C...allègue avoir été victime de harcèlement moral caractérisé par des agissements répétés ayant altéré sa santé physique et psychique depuis l'arrivée de son supérieur hiérarchique au sein du bureau de poste de Sainte-Rose, puis par la " stigmatisation " dont elle estime avoir été l'objet au sein du bureau de poste de Pointe-Noire où elle a été affectée. Elle fait également valoir que La Poste a manqué à son obligation de protection en ne prenant pas des mesures pour faire cesser ces agissements, alors qu'elle avait dénoncé ces faits dès le mois de mai 2006. Toutefois, la requérante n'expose pas quelle serait la nature des agissements incriminés et n'établit pas en quoi ses conditions de travail se seraient dégradées. Si elle fait état de problèmes de santé, aucun document n'établit que ceux-ci, qui ont notamment nécessité plusieurs interventions chirurgicales et qui se traduisent également par un syndrome dépressif, seraient issus des conséquences du comportement de son nouveau supérieur hiérarchique. Par ailleurs, il résulte de l'instruction qu'à réception de la plainte de MmeC..., La Poste l'a, par courrier du 8 juin 2006, informée de ce qu'elle mettait en oeuvre son protocole sur le harcèlement moral et ouvrait une enquête interne. La Poste fait également valoir que, lors de sa réintégration à l'issue de son exclusion temporaire, elle a été affectée au bureau de Pointe-Noire, dont La Poste précise qu'il s'agit d'un des établissements les plus proches de Sainte-Rose où réside MmeC..., précisément pour être éloignée des personnes dont elle avait critiqué le comportement. Il résulte également de l'instruction que, par son comportement, tant vis-à-vis des usagers que de son nouveau supérieur hiérarchique, Mme C...a, à de nombreuses reprises, manqué à ses obligations de service, fait preuve d'insubordination en allant jusqu'à la menace vis-à-vis de ce supérieur et abandonné son poste sans justification le 24 avril 2007. S'agissant de son affectation à Pointe-Noire, La Poste relève que l'intéressée a à nouveau rencontré des problèmes relationnels importants avec le directeur de l'agence, ce qui a motivé un nouveau changement d'affectation dans un autre bureau à compter du 1er janvier 2011. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les faits de harcèlement moral invoqués n'étaient pas établis et que Mme C...n'était pas fondée à soutenir que la responsabilité de La Poste serait engagée à raison de tels faits.

En ce qui concerne les préjudices :

6. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

7. En l'espèce, Mme C...a été privée de rémunération du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2008, période de son éviction illégale. Par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que, si la sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux ans étaient disproportionnée, les fautes commises par Mme C...étaient néanmoins susceptibles d'entraîner une exclusion pour une durée de six mois ainsi d'ailleurs que l'avait recommandé la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat dans sa séance du 17 novembre 2009. Ils en ont déduit que son préjudice financier s'élevait à la somme de 16 000 euros, somme correspondant à six mois de sa rémunération et ont, par suite, condamné La Poste à lui verser une indemnité de ce montant en réparation de son préjudice financier.

8. Cependant, en appel, La Poste fait valoir que, le 19 juin 2014, elle a informé Mme C... de ce qu'elle avait, d'une part, procédé à la reconstitution de sa carrière et de ses droits à la retraite pour la période d'un an pendant laquelle l'intéressée a été exclue et, d'autre part, lui avait versé, sur son traitement de juin 2014, la somme de 30 778,22 euros correspondant au montant de ses rémunérations sur une année entière, ce que La Poste établit et ce que reconnaît d'ailleurs Mme C...dans ses écritures d'appel. Un même préjudice ne pouvant être indemnisé deux fois, il y lieu dès lors de faire droit à l'appel incident de La Poste et d'annuler le jugement en ce qu'il a alloué 16 000 euros à Mme C...au titre de son préjudice financier, lequel a au demeurant été ainsi réparé très au-delà de l'indemnisation accordée par les premiers juges et a, en tout état de cause, été réparé pour une année entière.

9. Si Mme C...fait valoir par ailleurs que les premiers juges ont insuffisamment apprécié les troubles qu'elle a subi dans ses conditions d'existence en lui allouant la somme de 1 000 euros à ce titre, elle ne l'établit pas. Par suite, il y a lieu de rejeter ses conclusions indemnitaires liées à ce chef de préjudice.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel principal formé par Mme C...doit être rejeté. En revanche, il y a lieu de faire droit à l'appel incident formé par La Poste et de réformer le jugement, en ce qu'il a condamné cette dernière à verser à l'intéressée la somme de 16 000 euros en réparation de son préjudice financier.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme C...sur ce fondement. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette dernière une somme de 2000 euros que demande La Poste sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La Poste est condamnée à verser à Mme C...une indemnité de 1 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1400015 du 26 juin 2014 du tribunal administratif de la Guadeloupe est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Mme C...versera à La Poste la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 14BX02324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX02324
Date de la décision : 25/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09 Fonctionnaires et agents publics. Discipline.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BENTOLILA
Avocat(s) : CABINET GRANRUT AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-04-25;14bx02324 ?
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