Vu la procédure suivante :
Par un arrêt en date du 30 septembre 2014, la cour a annulé l'article 1er du jugement n°0600165-1000822 du tribunal administratif de Basse-Terre du 2 décembre 2011 et a, ordonné avant dire droit sur les conclusions de la région Guadeloupe tendant à la condamnation de la société Polybat, de M. B...et du bureau d'études Betci à réparer les désordres affectant le bâtiment abritant la coopérative des marins pêcheurs de la Guadeloupe à Pointe-à-Pitre, une expertise à l'effet : 1) de décrire ces désordres ; 2) de donner un avis motivé sur les causes et origines de ces désordres en précisant s'ils sont imputables à la conception, à un défaut de direction ou de surveillance, à l'exécution des travaux, aux conditions d'utilisation et d'entretien de l'ouvrage et, dans le cas de causes multiples, d'évaluer les proportions relevant de chacune d'elles ; 3) d'indiquer la nature des travaux nécessaires pour y remédier et d'en évaluer le coût.
L'expert a déposé son rapport au greffe de la Cour le 13 mai 2015.
Par deux mémoires, enregistrés le 15 juin 2015 et le 14 octobre 2015, M. B... et le bureau d'études BETCI concluent : 1) au rejet de la requête ; 2) à être garantis de toute condamnation éventuellement prononcée contre eux par la société Polybat ; 3) à ce que soit mise à la charge de la région Guadeloupe la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code civil ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Riou,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de Me Rousseau, avocat de la Région Guadeloupe et de Me Harmand, avocat de la Société Polybat.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement signé le 4 décembre 1995, la région Guadeloupe a confié à la société Polybat la réalisation, notamment, des fondations du bâtiment destiné à abriter la coopérative des marins pêcheurs de la Guadeloupe sur le site du port de Bergevin à Pointe-à-Pitre. Ont été désignés comme maître d'oeuvre M. A...B..., architecte, ainsi que le bureau d'études Caraïbes Ingénierie (société Betci). Un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée a été conclu entre la région Guadeloupe et la société Semsamar. La société Polybat a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 85 070 euros en règlement du marché. La région Guadeloupe a demandé au même tribunal, sur le fondement de la garantie décennale, la condamnation de la société Polybat et de la maîtrise d'oeuvre au paiement d'une indemnité de 800 000 euros en réparation des désordres affectant le bâtiment. Par son jugement du 2 décembre 2011, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de la région et l'a condamnée à verser à la société Polybat la somme de 85 070 euros. La région a fait appel de ce jugement. La cour a rendu le 30 septembre 2014 un arrêt qui, d'une part, a annulé le jugement en tant qu'il avait condamné la région à verser la somme de 85 070 euros à la société Polybat, d'autre part, après avoir jugé que l'action en garantie décennale n'était pas prescrite et que les désordres affectant l'ouvrage compromettaient sa solidité et le rendaient impropre à sa destination, a ordonné, avant dire droit sur les conclusions de la région tendant à voir reconnaître la responsabilité décennale des constructeurs, une expertise.
Sur la responsabilité décennale :
2. En vertu des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, lorsque des désordres de nature à compromettre la solidité d'un ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination sont survenus dans le délai de dix ans à compter de la réception de celui-ci et sont imputables, même partiellement, à un constructeur, celui-ci en est responsable de plein droit envers le maître d'ouvrage, sauf pour le constructeur à s'exonérer de sa responsabilité ou à en atténuer la portée en établissant que les désordres résultent d'une faute du maître d'ouvrage ou d'un cas de force majeure.
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par la cour, que le bâtiment destiné à la coopérative des marins pêcheurs de la Guadeloupe est constitué de trois blocs distincts, dont un bloc technique abritant la chambre froide, séparés par un joint de dilatation, et que deux pieux situés sous ce bloc technique, qui sont au nombre des trente-huit pieux supportant le bâtiment, n'ont pas résisté aux charges pour lesquelles ils avaient été calculés et se sont enfoncés dans le sol, ce qui a provoqué un basculement important du bloc technique.
4. Le basculement du bloc technique étant la conséquence d'un enfoncement de deux des pieux dont la réalisation avait été confiée à la société Polybat, les désordres sont imputables à cette société ; ils sont également imputables à l'architecte et au bureau d'études, dont la mission de maîtrise d'oeuvre comportait le choix des fondations et leur implantation en fonction des caractéristiques du terrain déterminées par une étude de sol. En raison de cette imputabilité, ces constructeurs ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité décennale en invoquant l'absence de toute faute commise par eux.
5. Le basculement du bloc technique ayant pour origine, comme il a été dit, l'enfoncement dans le sol de deux des pieux supportant le bâtiment, la cause de ce basculement ne peut être regardée comme extérieure à l'ouvrage et ne peut, dès lors, être regardée comme ayant revêtu le caractère d'un évènement de force majeure. La société Polybat, l'architecte et le bureau d'études ne peuvent, par suite, se prévaloir de la force majeure pour obtenir leur exonération.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Polybat, M. B...et la société Betci doivent être condamnés solidairement, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, à indemniser la région Guadeloupe du préjudice résultant pour elle des désordres affectant l'ouvrage.
Sur la réparation :
7. L'évaluation des dommages subis par la région doit être faite à la date où, leur cause ayant pris fin et où leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à y remédier. En l'espèce, cette date est, au plus tard, celle où l'expert désigné par la cour a déposé son rapport. Il résulte de ce rapport que le basculement du bloc technique revêt une ampleur telle que sa démolition puis sa reconstruction sont nécessaires pour remédier aux désordres. Le coût de la démolition et de la reconstruction a été évalué par l'expert à la somme de 329 135, 34 euros hors taxe, montant non discuté par la région. La société Polybat n'est pas fondée à demander que la somme à allouer soit limitée à 219 135,34 euros, coût des seuls travaux de reconstruction, dès lors que la démolition est, comme il vient d'être dit, indispensable pour remédier aux désordres et ce, indépendamment de l'abandon dans lequel le bâtiment a été laissé depuis l'apparition de ceux-ci. Il y a lieu, dans ces conditions, de condamner solidairement la société Polybat, M. B... et la société Betci à verser à la région Guadeloupe la somme de 329 135,34 euros.
Sur l'appel en garantie :
8. Il résulte de l'instruction qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société Polybat chargée de la mise en oeuvre des pieux, lesquels ont été réalisés conformément aux prescriptions techniques et aux règles de l'art. Dans ces conditions, les conclusions par lesquelles l'architecte et le bureau d'études appellent en garantie la société Polybat ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
9. Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, taxés et liquidés à la somme de 9 639, 29 euros, sont mis à la charge solidaire de la société Polybat, de M. B...et de la société Betci.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la région de la Guadeloupe, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la société Polybat, à M. B...et à la société Betci la somme que ceux-ci demandent à ce titre.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge solidaire de la société Polybat, de M. B...et de la société Betci le versement de la somme de 2 000 euros à la région Guadeloupe.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Polybat, M. B...et le bureau d'études Betci sont solidairement condamnés à payer à la région de la Guadeloupe la somme de 329 135,34 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en date du 2 décembre 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, taxés et liquidés à la somme de 9 639,29 euros, sont mis à la charge solidaire de la société Polybat, de M. B...et de la société Betci.
Article 4 : La société Polybat, M. B...et le bureau d'études Betci verseront solidairement à la région de la Guadeloupe la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la région Guadeloupe est rejeté.
Article 6 : Les conclusions d'appel en garantie de M. B...et de la société Betci sont rejetées, de même que les conclusions présentées par l'ensemble des constructeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 12BX00535