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15/12/2015 | FRANCE | N°13BX03178

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 15 décembre 2015, 13BX03178


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Thyssenkrupp Ascenseurs a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler le marché de maintenance des portes de garages et barrières automatiques conclu par l'office public d'habitat Habitat Toulouse avec la société Spie Sud-Ouest et de condamner Habitat Toulouse à lui verser la somme de 26 922 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son éviction de ce marché.

Par un jugement n° 1001957 du 1er octobre 2013, le tribunal administrati

f de Toulouse a annulé ce marché et rejeté les conclusions indemnitaires de la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Thyssenkrupp Ascenseurs a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler le marché de maintenance des portes de garages et barrières automatiques conclu par l'office public d'habitat Habitat Toulouse avec la société Spie Sud-Ouest et de condamner Habitat Toulouse à lui verser la somme de 26 922 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son éviction de ce marché.

Par un jugement n° 1001957 du 1er octobre 2013, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ce marché et rejeté les conclusions indemnitaires de la société Thyssenkrupp Ascenseurs.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 novembre 2013, la société Thyssenkrupp Ascenseurs, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er octobre 2013 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'office Habitat Toulouse à lui verser la somme de 33 240 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son éviction du marché ;

3°) de mettre à la charge de l'office Habitat Toulouse la somme de 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

..........................................................................................................

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christine Mège,

- les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'office public de l'habitat (OPH) Habitat Toulouse a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution du marché de maintenance des portes de garage et des barrières automatiques de son parc locatif à laquelle la société Thyssenkrupp Ascenseurs s'est portée candidate par une offre qui a été regardée comme irrégulière. Le tribunal administratif de Toulouse, saisi par cette société d'une demande d'annulation du contrat conclu le 20 janvier 2010 par l'OPH Habitat Toulouse avec la société Spie Sud-Ouest, et d'une demande de condamnation de l'office à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction du marché, a, par jugement n° 1001957 du 1er octobre 2013, annulé le marché, estimé que la société Thyssenkrupp Ascenseurs avait des chances sérieuses d'emporter le marché mais rejeté les conclusions indemnitaires de cette dernière faute pour celle-ci d'établir qu'elle aurait réalisé un bénéfice en exécutant le marché. La société Thyssenkrupp Ascenseurs relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires et demande à la cour de condamner l'office à lui verser la somme de 33 240 euros hors taxes en réparation du manque à gagner résultant de son éviction. L'OPH Habitat Toulouse, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé le contrat conclu avec la société Spie Sud-Ouest.

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de la société Thyssenkrupp Ascenseurs :

2. Alors qu'en première instance, la société Thyssenkrupp Ascenseurs avait présenté des conclusions tendant à la condamnation de l'office Habitat Toulouse à l'indemniser du manque à gagner qu'elle évaluait à la somme de 24 483 euros hors taxes, elle demande en appel à être indemnisée à hauteur de 33 240 euros. Il résulte de l'instruction que sa demande indemnitaire est relative au même préjudice résultant du manque à gagner sur la période d'exécution globale du contrat y compris les deux années de tacite reconduction, qu'elle avait déjà invoqué en première instance. Par suite, ses conclusions en appel ne sont recevables qu'à hauteur du montant demandé devant les premiers juges.

Sur la régularité du jugement :

3. Pour estimer que la société Thyssenkrupp Ascenseurs avait une chance sérieuse d'emporter le marché, le jugement, après avoir rappelé que " les offres des candidats étaient appréciées en vertu du critère du prix pour 60% et de la valeur technique pour 40% ", indique " qu'il résulte de l'instruction qu'en appliquant la méthode de calcul prévue par le pouvoir adjudicateur, la société requérante aurait obtenu la meilleure note sur le critère du prix ". S'agissant du critère technique, il rappelle que la notation " dépendait du degré de précision du mémoire technique fourni par les candidats en fonction des élément précisés dans les documents de la consultation ". En conséquence, il a estimé que " le mémoire technique produit par la société Thyssenkrupp Ascenseurs apparaît détaillé et conforme aux exigences techniques du règlement " et que la société " pouvait ainsi également obtenir une note élevée sur ce second critère ". Une telle réponse était suffisante pour répondre au moyen tiré de l'absence de chance de la société d'emporter le marché. L'office Habitat Toulouse n'est ainsi pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur la validité du contrat :

4. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En outre, si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en oeuvre dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est en revanche pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

5. Aux termes de l'article 6 du règlement de la consultation : " (...) les critères intervenant pour le jugement des offres sont pondérés de la manière suivante : 60 % pour le prix des prestations et 40 % pour la valeur technique. Le prix des prestations sera évalué grâce au détail quantitatif estimatif pour les prestations systématiques et ponctuelles au regard des estimations de l'office Habitat Toulouse. ".

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des offres, que l'office Habitat Toulouse, outre la notation du critère de prix selon une méthode qui n'avait pas à être portée à la connaissance des candidats, a tenu compte, pour apprécier les offres qui lui étaient remises, du respect d'une répartition entre les prix P2 et P3 du bordereau des prix unitaires des prestations systématiques à hauteur de 80 % pour le 1er et 20 % pour le second. En imposant une clé de répartition au sein des prix composant le prix global des prestations systématiques, l'office Habitat Toulouse a mis en oeuvre un sous-critère qui était susceptible d'exercer une influence sur la présentation des offres ainsi que sur leur sélection. L'existence de ce sous-critère devait dès lors être portée à la connaissance des candidats dès l'engagement de la procédure d'attribution dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans le règlement de consultation transmis aux candidats. Ni l'avis d'appel public à la concurrence ni le règlement de la consultation ne mentionnaient l'existence d'un tel sous-critère. Il est vrai que la version informatisée du bordereau des prix unitaires comportait l'application, pour renseigner les prix P2 et P3, d'une formule mathématique pré-remplie calculant automatiquement ces données par application respectivement d'un pourcentage de 80 et de 20 % du prix renseigné dans la colonne total. Toutefois, il résulte de l'instruction que la présence de cette formule mathématique ne fait pas obstacle à ce que l'entreprise, sans pour cela supprimer ou modifier cette formule mathématique, puisse, avant de renseigner la colonne total qui est placée après les colonnes dédiées aux prix P2 et P3, directement remplir ces dernières sans tenir compte de l'existence de cette formule qui n'apparaît pas directement dans ces cases mais dans un bandeau lequel peut ne pas être apparent. Par suite les entreprises ne pouvaient légitimement déduire de cette formule, sur l'existence de laquelle leur attention n'était aucunement appelée et qui n'était pas non plus mentionnée dans la version " papier " du bordereau qui leur avait été également communiquée, que les offres seraient appréciées au regard du respect de cette clé de répartition. Il en résulte que l'information des candidats sur les critères ou sous-critères et sur leurs conditions de mise en oeuvre ne peut être regardée comme ayant été assurée dans des conditions régulières.

7. Par suite, l'office Habitat Toulouse n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a estimé que la procédure d'attribution du marché à la société Spie Sud-Ouest était irrégulière.

Sur les conséquences des vices entachant la validité du contrat :

8. L'absence d'information des candidats sur l'un des critères de sélection des offres a affecté la régularité de la mise en concurrence. Un tel vice, qui n'est pas régularisable et a été susceptible d'affecter le choix du cocontractant, n'affecte toutefois ni le consentement de la personne publique ni le bien-fondé du contrat. En l'absence de toutes circonstances particulières révélant notamment une volonté de l'office Habitat Toulouse de favoriser un candidat, un tel vice ne présente pas un caractère de particulière gravité tel qu'il justifierait l'annulation du contrat. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a annulé le contrat conclu avec la société Spie Sud-Ouest.

9. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner si, eu égard à l'irrégularité dont est affecté le contrat conclu avec la société Spie Sud-Ouest, il y a lieu soit de prononcer la résiliation du contrat ou d'en modifier certaines clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation. S'agissant d'un marché de maintenance conclu pour une période d'exécution courant du 1er février 2010 au 31 mai 2011, et dont la reconduction ne pouvait dépasser le 31 mai 2013, l'expiration des relations contractuelles telles que prévues au contrat fait obstacle à ce que puisse en être prononcée tant la résiliation que la poursuite de son exécution.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

11. D'une part, il résulte de l'instruction, pour les motifs exposés au point 6, que la société Thyssenkrupp a pu renseigner directement les colonnes relatives aux prix P2 et P3 sans pour cela modifier ou supprimer la formule mathématique que l'office avait incluse dans le tableur. La société requérante ne peut dès lors être regardée comme ayant présenté un bordereau des prix unitaires modifié. Il en résulte que l'office Habitat Toulouse n'est pas fondé à soutenir que cette offre devait être regardée comme irrégulière, ni que cette irrégularité fait obstacle à ce que la société Thyssenkrupp Ascenseurs soit regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse d'emporter le marché.

12. D'autre part, il résulte également de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des offres des cinq entreprises qui se sont portées candidates, que compte tenu de la méthode de notation et du montant respectif des offres, celle présentée par la société requérante aurait dû se voir attribuer la meilleure note pour ce qui concerne le critère du prix, pondéré à 60 %. Son mémoire technique ne comportait pas d'éléments sur la politique de traitement des déchets et de sécurité mise en place par l'entreprise qui était au nombre des éléments en fonction desquels devait se faire l'évaluation de la valeur technique de l'offre, comme indiqué dans le règlement de la consultation, et aurait donc dû se voir attribuer une note moyenne pour le critère de valeur technique. En l'absence de toute production par l'office Habitat Toulouse des mémoires techniques des autres entreprises candidates, la société requérante doit être regardée comme ayant eu des chances sérieuses d'emporter le marché. Il en résulte que la société Thyssenkrupp Ascenseurs a droit à être indemnisée de l'intégralité du manque à gagner dans la limite de la recevabilité de ses conclusions indemnitaires.

13. Pour l'évaluation de ce préjudice, il doit être tenu compte du manque à gagner de la société Thyssenkrupp Ascenseurs correspondant à la période d'exécution courant du 1er février 2010 au 31 mai 2011 ainsi que de la perte de chance d'obtenir, pour les périodes de douze mois suivantes, expirant le 31 mai 2013, la reconduction tacite du marché si celui-ci lui avait été attribué pour la première période. D'une part, eu égard aux qualités des prestations proposées par la société Thyssenkrupp Ascenseurs, celle-ci avait des chances d'obtenir la reconduction du marché pour les deux périodes de douze mois suivantes. D'autre part, la société produit en appel un nouveau chiffrage des coûts engendrés par l'exécution des prestations certifiés par un expert comptable qui s'élèvent, pour la période initiale à 33 357 euros hors taxes, et pour chacune des deux périodes de douze mois suivantes à 21 766 euros ainsi qu'une attestation du même expert- comptable établissant le bénéfice net sur l'ensemble de la période à la somme de 33 240 euros hors taxes. Par suite, la société a droit à être indemnisée du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière par l'office Habitat Toulouse à hauteur de ses conclusions indemnitaires présentées en première instance.

14. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que l'office Habitat Toulouse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé le contrat conclu le 20 janvier 2010 avec la société Spie Sud-Ouest pour la maintenance des portes de garage et des barrières automatiques de son parc locatif, d'autre part, que la société Thyssenkrupp Ascenseurs est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de condamnation de l'office Habitat Toulouse à lui verser la somme de 24 483 euros hors taxes.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions d'aucune des deux parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement n° 1001957 du 1er octobre 2013 du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.

Article 2 : L'office public d'habitat Habitat Toulouse est condamné à verser la somme de 24 483 euros hors taxes à la société Thyssenkrupp Ascenseurs.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Thyssenkrupp Ascenseurs est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'office public d'habitat Habitat Toulouse sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 13BX03178


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX03178
Date de la décision : 15/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés - Formalités de publicité et de mise en concurrence.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge - Pouvoirs du juge du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. LALAUZE
Rapporteur ?: Mme Christine MEGE
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : NIVAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-12-15;13bx03178 ?
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