La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/11/2015 | FRANCE | N°14BX00763

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre (formation à trois), 12 novembre 2015, 14BX00763


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) à lui verser la somme de 84 000 euros en réparation du préjudice constitué par la construction d'un mur antibruit devant sa villa à Arcangues .

Par un jugement n° 1201678 du 30 décembre 2013, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 mars 2014 et le 21 janvier 2015, M. D..., représen

té par la SELARL Tortigue Petit Sornique, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) à lui verser la somme de 84 000 euros en réparation du préjudice constitué par la construction d'un mur antibruit devant sa villa à Arcangues .

Par un jugement n° 1201678 du 30 décembre 2013, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 mars 2014 et le 21 janvier 2015, M. D..., représenté par la SELARL Tortigue Petit Sornique, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 30 décembre 2013 ;

2°) de condamner la société ASF à lui verser la somme de 84 000 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert aux fins de donner son avis sur le caractère anormal et spécial du préjudice, faire toutes mesures utiles et déterminer la perte de valeur de la propriété ;

4°) de mettre à la charge d'ASF une somme de 4000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le caractère anormal et spécial de son préjudice résulte de la proximité du mur, à moins de 20 mètres de la façade sud de sa maison, où se trouve le séjour et la terrasse, et de sa hauteur de 4 mètres qui le prive non seulement de la vue sur les montagnes, mais aussi sur l'environnement immédiat, lequel est remplacé par une surface inesthétique en béton brut, non décorée comme annoncé d'un motif " herbes folles ", auquel il n'a renoncé que parce qu'il n'avait pas été exécuté et pour obtenir une compensation. La haie précédemment implantée était taillée à 1,30 m de hauteur et n'avait pas pour but de dissimuler l'autoroute, située en contrebas d'un talus de 10 m ;

- contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, l'écran n'a apporté aucune amélioration sensible sur le plan acoustique de nature à compenser le préjudice esthétique, car l'autoroute amorce devant sa propriété une forte pente qui l'amène à la surmonter 300 mètres plus loin ;

- il avait sollicité en vain que la hauteur soit diminuée à 2 mètres alors qu'ASF n'a pas établi que cela aurait été insuffisant ;

- une décote de 15% de la valeur de sa propriété est raisonnable, certains agents immobiliers l'ayant estimée supérieure ;

- ASF ne peut se prévaloir des dépenses engagées pour l'insonorisation de ses façades en 2002, avant l'élargissement de l'autoroute. Le compromis qu'elle a accepté pour l'abandon des motifs " herbes folles " a rendu moins coûteuse l'érection du mur ;

- il ne peut effectuer de travaux paysagers alors qu'ASF interdit la plantation de plantes grimpantes sur le mur et impose une bande de 3 mètres de large devant être laissée libre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2014, la société ASF conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. D...d'une somme de 2 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la hauteur du mur résulte de calculs sur l'efficacité acoustique non seulement pour la propriété de M. D...mais pour l'ensemble du quartier. Le requérant n'établit pas qu'une hauteur de 2 mètres aurait suffi ;

- compte tenu de la nécessité du mur pour respecter les normes réglementaires, la gêne visuelle qu'il occasionne n'excède pas les sujétions normales que doivent supporter les riverains des voies publiques ;

- le chemin d'Overbrook est exposé au bruit depuis trente ans ;

- M. D...avait planté une haie d'eleagnus pour dissimuler la vue sur l'autoroute, or cet arbuste peut atteindre une hauteur de 4m. La vue n'avait été dégagée que pour permettre la construction du mur. Il pourrait de même entreprendre des travaux paysagers pour dissimuler le mur, dont l'abandon des motifs décoratifs tient à sa propre demande ;

- ni la valeur vénale de la propriété, ni sa dépréciation ne sont établies. Elle a au demeurant pris en charge de nombreux travaux d'amélioration de la propriété de l'intéressé, à titre compensatoire, pour une valeur estimée de 71 000 euros.

Par ordonnance du 9 décembre 2014, la clôture d'instruction a été fixée au 16 février 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Catherine Girault,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me C...représentant de M. D...et de MeB..., représentant de la société ASF.

Considérant ce qui suit :

1. M. D...est propriétaire d'une maison d'habitation située sur le territoire de la commune d'Arcangues, à proximité de l'autoroute A 63 construite au début des années 1980, dont l'exploitation a été concédée à la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF). A l'occasion de travaux d'élargissement à deux fois trois voies autorisés par un arrêté inter-préfectoral en date du 30 octobre 2007, la société concessionnaire a mis en oeuvre un programme de protections acoustiques en application de ses obligations réglementaires à l'égard des riverains. Elle a ainsi édifié, le long de la propriété de M.D..., un écran acoustique d'une longueur de 230 mètres et d'une hauteur de 4 mètres. M. D...relève appel du jugement du tribunal administratif de Pau qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société concessionnaire à lui verser la somme de 84 000 € en réparation de la perte de valeur subie par sa propriété du fait des nuisances visuelles causées par la présence de cet ouvrage.

Sur la responsabilité sans faute de la société ASF :

2. Les riverains des voies publiques ont la qualité de tiers par rapport aux travaux publics d'aménagement ou de réfection de ces voies. S'ils subissent un dommage à cette occasion, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, même en l'absence de toute faute de sa part, d'en assurer l'indemnisation à la condition, pour le demandeur, d'établir le caractère anormal et spécial du préjudice qu'il invoque ainsi que le lien de causalité avec les travaux publics litigieux. Toutefois, ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics et, en particulier, à ceux des voies publiques .

3. Pour rejeter la demande de M.D..., le tribunal administratif de Pau, qui a reconnu que l'édification d'un mur d'une hauteur de quatre mètres a supprimé la vue sur les Pyrénées depuis la terrasse au sud de sa propriété, s'est exclusivement fondé sur la circonstance que " l'absence de l'écran acoustique susmentionné ferait supporter au requérant un préjudice beaucoup plus important ", et en a déduit que dans les circonstances de l'espèce, le préjudice causé à M. D...ne présente pas un caractère anormal excédant ceux que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires de fonds voisins de voies autoroutières.

4. Toutefois, la circonstance que l'écran acoustique soit utile à la réduction des nuisances résultant de l'accroissement du trafic sur l'autoroute située en contrebas de la propriété du requérant, conformément aux dispositions réglementaires que la société ASF était tenue de respecter, n'est pas de nature à faire disparaître le préjudice esthétique constitué par l'édification d'un mur en béton brut de deux cent trente mètres de long par quatre mètres de haut, qui longe toute la voie d'accès à la maison de M. D...et se poursuit devant la terrasse sur laquelle donne la pièce de vie au rez-de-chaussée, à moins de vingt mètres de la maison. La société ASF ne peut utilement faire valoir que ce mur remplacerait une haie d'eleagnus plantée par le requérant, arbustes qui peuvent atteindre une hauteur de quatre mètres, dès lors qu'elle n'a pas contesté que ladite haie était taillée à hauteur de 1,30 mètres lors de sa destruction pour la construction du mur. Elle ne peut davantage suggérer que des plantations paysagères pourraient atténuer l'aspect disgracieux de ce mur, alors qu'elle n'a pas contredit les allégations de M. D... selon lesquelles la société ASF n'a pas autorisé la plantation de plantes grimpantes sur le mur et a même demandé qu'une bande de trois mètres de large soit laissée libre au pied du mur, ce qui ne permet pas, compte tenu de la localisation de la voie d'accès, de le dissimuler. Enfin, la circonstance que le requérant ait accepté de renoncer à la mise en place d'éléments de béton décorés de motifs " herbes folles " ou " croix basque " qui lui avaient été promis sans être réalisés, en contrepartie de divers travaux à effectuer sur sa propriété, si elle peut être prise en considération pour apprécier le montant du préjudice, n'en modifie pas la réalité. Dans ces conditions, le préjudice esthétique, qui résulte en outre de la perte de vue depuis le rez-de-chaussée sur un environnement boisé avec au loin la ligne des montagnes, doit être regardé dans les circonstances de l'espèce comme présentant un caractère anormal et spécial de nature à ouvrir droit à indemnisation.

Sur le préjudice :

5. Pour justifier la perte de valeur vénale à hauteur de 15 % qu'il revendique, M. D...produit les avis de trois agences immobilières qui font état de l'impact négatif de la présence de ce mur, et d'une décote variant de 20 à 25%. Alors même que ces avis ont été rédigés à sa demande et non dans le cadre d'une procédure d'expertise contradictoire, ils peuvent être pris en considération à titre d'éléments d'information. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et au demeurant des propres déclarations de M. D...sur l'inefficacité du mur à réduire les nuisances sonores de l'autoroute, que ces inconvénients, qui existaient de longue date et affectaient l'agrément de sa propriété, dotée de sept chambres et d'un parc de 6000 m², sans excéder ce que les riverains des voies publiques doivent supporter dans l'intérêt général, sont également de nature à affecter la valeur de son bien, estimé en l'état entre 350 000 et 470 000 euros. Ainsi, au regard de l'incertitude sur l'imputabilité de la perte de valeur au bruit ou à la présence du mur, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée à titre subsidiaire, il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique lié à ce mur en fixant à 50 000 euros la perte de valeur de la propriété de ce chef.

6. La société ASF fait valoir qu'elle a consenti des investissements importants au bénéfice de M.D.... Toutefois le remboursement des travaux privatifs d'insonorisation de façades pour 11 000 euros date de l'époque de la construction de l'autoroute, et apparaît sans lien avec le préjudice supplémentaire créé par la mise à 2 fois 3 voies et la création du mur. Par ailleurs ASF ne justifie pas de l'élargissement de l'écran acoustique sur le coté est de la propriété pour 30 000 euros, ce qui au demeurant relevait des travaux qui lui incombaient pour la protection des riverains. En revanche, la " remise en état des lieux améliorée " après les travaux, avec réalisation d'une allée d'accès de la propriété en enrobés et pose d'un portail neuf motorisé, dont ASF reconnait qu'elle a été consentie à titre " compensatoire ", relève bien de dépenses engagées par ASF pour atténuer le préjudice, et doit donc venir en déduction de l'indemnité accordée, dès lors qu'elle apporte une plus-value à la propriété. Si ASF ne produit pas de factures, M. D...ne critique pas le coût allégué de 30 000 euros pour ces travaux, qui doit donc être déduit de l'indemnité.

7. Il résulte de ce qui précède que M. D...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande indemnitaire, et qu'il y a lieu de condamner la société ASF à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de la perte de valeur de sa propriété du fait de la présence du mur antibruit.

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société ASF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société ASF une somme de 2000 euros à verser à M.D....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 30 décembre 2013 est annulé.

Article 2 : La société ASF versera à M. D...une indemnité de 20 000 euros, ainsi qu'une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la société ASF au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

''

''

''

''

3

No 14BX00763


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre (formation à trois)
Numéro d'arrêt : 14BX00763
Date de la décision : 12/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SELARL TORTIGUE PETIT SORNIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-11-12;14bx00763 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award