Vu le recours, enregistré le 24 janvier 2014, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200101 du 28 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a prononcé la décharge des amendes fiscales infligées à la caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Réunion sur le fondement de l'article 1739 du code général des impôts au titre des années 2008 et 2009, respectivement de 28 047 euros et 21 215 euros ;
2°) de remettre ces amendes à la charge de la CRCAM de la Réunion ;
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Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu les décrets n°s 2010-1447 et 2010-1451 du 25 novembre 2010 ;
Vu le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 ;
Vu l'arrêté du 24 juillet 2000 relatif à la direction des vérifications nationales et internationales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 février 2015 :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;
1. Considérant qu'à l'issue de la vérification de sa comptabilité, l'administration a infligé à la caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Réunion, pour des montants respectifs de 28 047 euros et 21 215 euros au titre des années 2008 et 2009, l'amende fiscale prévue au I de l'article 1739 du code général des impôts en cas d'ouverture ou de maintien dans des conditions irrégulières de comptes bénéficiant d'une aide publique ; que le ministre des finances et des comptes publics fait appel du jugement du 28 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a prononcé la décharge de ces amendes ;
2. Considérant qu'aux termes des dispositions du I de l'article 1739 du code général des impôts, reprises à l'article L.221-35 du code monétaire et financier : " (...) il est interdit à tout établissement de crédit qui reçoit du public des fonds à vue ou à moins de cinq ans, et par quelque moyen que ce soit, d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés. (...) les infractions aux dispositions du présent article sont punies d'une amende fiscale dont le taux est égal au montant des intérêts payés, sans que cette amende puisse être inférieure à 75 euros (...) " ; que l'article L.221-36 du code monétaire et financier dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle les infractions ont été constatées dispose : " Les infractions aux dispositions de l'article L.221-35 sont constatées comme en matière de timbre : -par les comptables publics compétents ; - par les agents des administrations financières. Les procès-verbaux sont dressés à la requête du ministre chargé de l'économie " ;
3. Considérant que les infractions en cause ont été constatées par un procès-verbal du 20 mai 2011 dressé par un agent de la direction des vérifications nationales et internationales ; que cette direction, relevant de la direction générale des impôts jusqu'à l'entrée en vigueur du décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 puis de la direction générale des finances publiques, est une administration financière ; qu'à la date d'établissement du procès-verbal, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui avait autorité sur cette direction, conjointement avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pour l'exercice des attributions en matière de législation fiscale, devait être regardé comme un ministre "chargé de l'économie" au sens de l'article L.221-36 ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis, estimant qu'en l'absence d'habilitation délivrée par le ministre chargé de l'économie, l'agent ayant constaté les infractions en cause ne pouvait être regardé comme ayant agi "à la requête de ce ministre", s'est fondé sur le motif tiré de l'irrégularité de la procédure d'établissement de l'amende pour accorder la décharge sollicitée ; qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la CRCAM de la Réunion ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L.13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements. " ; que le II de l'article L.47 A du même livre dispose : "En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés, et lorsque qu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise son choix parmi l'une des options suivantes (...) " ; qu'en vertu de l'article L.221-36 du code monétaire et financier, les infractions commises par les établissements de crédit dans l'ouverture et la tenue de comptes bénéficiant d'une aide publique sont constatées comme en matière de timbre ; que ces établissements sont astreints à tenir les documents comptables propres à justifier leurs déclarations fiscales ainsi qu'à présenter aux agents compétents ces documents, parmi lesquels figurent ceux relatifs aux comptes ouverts dans leurs écritures au nom de leurs clients ; que ces agents sont, dès lors, en droit de mettre en oeuvre les procédures prévues aux articles L.13 et L.47 A du livre des procédures fiscales afin de vérifier si ceux de ces comptes bénéficiant d'une aide publique ont été ouverts ou tenus par un établissement de crédit dans des conditions régulières au regard des prescriptions résultant du code monétaire et financier ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du recours à ces procédures doit être écarté ;
5. Considérant, en second lieu, que l'amende en cause est au nombre des sanctions administratives constituant des "accusations en matière pénale" au sens du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (...) " ; qu'elle vise à réprimer la méconnaissance par les établissements de crédit de leur obligation de veiller au respect des conditions légales d'ouverture, dans leurs écritures, de comptes d'épargne réglementée bénéficiant d'une aide publique et des plafonds de dépôts effectués par leurs clients sur ces comptes ; que, compte tenu, d'une part, de cet objectif d'intérêt général et de la nécessité de donner à cette sanction un caractère suffisamment dissuasif, d'autre part, de ce que l'assiette sur laquelle s'applique le taux de 100 % est constituée par les seuls intérêts versés sur les comptes, ni ce taux, même s'il est unique, ni le minimum de 75 euros, eu égard à sa modicité, n'apparaissent disproportionnés au regard de la nature et de la gravité des manquements visés ; que la CRCAM de la Réunion ne peut sérieusement soutenir que les établissements de crédit ne retirent aucun profit ni aucun avantage de ces manquements ; que le juge administratif, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir l'amende infligée par l'administration, soit d'en prononcer la décharge ; que, dans ces conditions, alors même qu'ils ne confèrent aucun pouvoir de modulation au juge, les articles 1739 du code général des impôts et L.221-35 du code monétaire et financier ne sont pas incompatibles avec les stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis a prononcé la décharge des pénalités en litige ;
7. Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CRCAM de la Réunion demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 28 novembre 2013 du tribunal administratif de Saint-Denis est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Réunion devant le tribunal administratif de Saint-Denis et ses conclusions présentées devant la cour au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 14BX00241 - 2 -