La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/01/2015 | FRANCE | N°14BX00744

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 13 janvier 2015, 14BX00744


Vu le recours enregistré par télécopie le 7 mars 2014 et régularisé le 11 mars 2014, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200978 du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux, qui a annulé, à la demande de Mme C...A..., veuveB..., sa décision du 8 février 2012, par laquelle il a rejeté la demande d'indemnisation présentée par celle-ci au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et l

ui a enjoint de faire à l'intéressée une proposition d'indemnisation intégrale de ...

Vu le recours enregistré par télécopie le 7 mars 2014 et régularisé le 11 mars 2014, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200978 du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux, qui a annulé, à la demande de Mme C...A..., veuveB..., sa décision du 8 février 2012, par laquelle il a rejeté la demande d'indemnisation présentée par celle-ci au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et lui a enjoint de faire à l'intéressée une proposition d'indemnisation intégrale de ses préjudices ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B...au tribunal administratif de Bordeaux ;

------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2014 :

- le rapport de M. Bernard Leplat ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me Labrunie, avocat de MmeB... ;

1. Considérant que M.B..., sergent de l'armée de l'air, affecté à la base aérienne de Mont-de-Marsan, a été détaché du 14 mars au 4 avril 1960 sur la base aérienne du Centre saharien d'expérimentations militaires à Reggane, où il a également effectué une mission de courte durée, le 25 avril 1961, puis a été affecté, du 28 juillet 1961 au 15 mars 1963 au Centre interarmées d'essais d'engins spéciaux à Colomb-Béchar ; qu'il a été atteint d'un cancer du cerveau, diagnostiqué en 1981 et dont il est décédé en 1982 ; que Mme B... a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 13 octobre 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer pouvait être considéré comme négligeable ; que, suivant cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de Mme B...par décision du 8 février 2012 ; que, par jugement du 14 janvier 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision et a enjoint au ministre de faire à l'intéressée une proposition d'indemnisation intégrale de ses préjudices ; que le ministre de la défense relève appel de ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres (...)" ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que l'article 7 du décret susvisé n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée s'il est établi, au vu notamment des éléments présentés au comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants ;

4. Considérant que la base aérienne du Centre interarmées d'essais d'engins spéciaux à Colomb-Béchar, où M. B...a été affecté du 28 juillet 1961 au 15 mars 1963 ne se trouve pas dans les zones périphériques de centres d'essais nucléaires sahariens visés à l'article 2 précité de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il n'est, en revanche, pas contesté qu'il a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il a été atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il est dit aux points 1 et 4, M. B...a été détaché du 14 mars au 4 avril 1960 sur la base aérienne du Centre saharien d'expérimentations militaires à Reggane, où il a également effectué une mission de courte durée, le 25 avril 1961 ; que si, durant ces périodes ou peu avant elles, il a été procédé à des tirs d'essai dans ce centre d'essais, l'intéressé, qui exerçait les fonctions de mécanicien non naviguant et était chargé de l'entretien et de la maintenance de l'électronique des aéronefs, ne devait ni pénétrer dans les zones à risques de la base ni s'approcher de moins de 60 ou 75 kilomètres du lieu des tirs, qui, contrairement à ce qu'il soutient, n'ont pas été affectés d'accidents provoquant des contaminations des zones où il a effectué ses brefs séjours ; que s'il est vrai qu'il n'a fait l'objet que d'une seule dosimétrie, à l'occasion de sa mission du 25 avril 1961 et que seule l'irradiation externe ainsi mesurée a été prise en compte par le CIVEN pour énoncer sa recommandation, les conditions de l'exposition de M. B...aux rayonnements ionisants ne pouvaient pas être regardées comme de nature à exiger qu'il fasse l'objet d'une surveillance plus importante et notamment de celle d'une éventuelle contamination interne ; que, dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision du 8 février 2012, les premiers juges se sont fondés sur le motif que le risque d'attribution de la maladie de M. B...aux essais nucléaires français ne pouvait pas être regardé comme négligeable et que l'épouse de ce dernier était en droit de bénéficier de la présomption de causalité instaurée par la loi du 5 janvier 2010 ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...;

7. Considérant que contrairement à ce que soutient MmeB..., la méthode utilisée par le CIVEN pour apprécier le risque attribuable aux essais nucléaires français et pour recommander, lorsqu'il estime que ce risque doit être regardé comme négligeable, au ministre de rejeter la demande d'indemnisation, ne repose pas exclusivement sur la constatation de la dose reçue par l'intéressé mais fait intervenir la prise en compte d'autres facteurs ; que son utilisation ne peut, dès lors, être regardée comme contraire aux dispositions de la loi du 5 janvier 2010 qui excluent l'institution d'un dispositif d'indemnisation fondé sur la notion de seuil d'exposition aux rayons ionisants mesurée par dosimétrie mais qui ne prohibent pas pour autant la prise en compte de la dose de rayonnements ; qu'il n'est pas contesté que cette méthode s'appuie sur les méthodologies, fondées sur la notion de probabilité de causalité, recommandées par l'AIEA ; que la requérante n'apporte pas, à l'appui de ses affirmations selon lesquelles ces méthodologies seraient inadaptées à l'évaluation des effets d'essais nucléaires militaires ou ne seraient pas fiables en regard des données scientifiques les plus récentes, d'éléments de nature à permettre d'en apprécier le bien fondé ; qu'en particulier, elle ne propose pas de méthode alternative et reconnue comme préférable par la communauté scientifique internationale ; que la circonstance que certains dosimètres pourraient être défectueux, insuffisamment précis ou sensibles, ou encore, mal utilisés est sans incidence sur la validité de cette méthodologie ; qu'il est vrai que celle-ci n'implique pas systématiquement le recours aux résultats d'examens destinés à mesurer, non seulement, l'irradiation externe, mais aussi, la contamination interne, par ingestion ou inhalation ; que toutefois, elle n'exclut pas la prise en compte de tels résultats et il appartient à l'administration de rapporter la preuve de ce que les conditions d'exposition aux effets des essais nucléaires de la personne dont elle rejette la demande d'indemnisation en l'absence de résultats d'examens effectués au titre de la surveillance de la contamination interne étaient de nature à justifier cette absence ; que lorsque la situation des intéressés a conduit à les soumettre à une surveillance de la contamination, il incombe à l'administration de prouver que les résultats de cette surveillance n'ont pas été négligés ; qu'enfin le parti de regarder comme caractérisant un risque négligeable une probabilité de causalité très inférieure à 1 % n'est pas davantage de nature à faire mettre en doute la validité de cette méthodologie ; que, par suite, Mme B...n'est pas fondée à soutenir que la méthodologie du CIVEN serait inadmissible dans son principe même ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'autre moyen dont la cour serait saisie par effet dévolutif de l'appel, le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé sa décision du 8 février 2012 et lui a enjoint d'adresser une proposition d'indemnisation à Mme B... ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant que les dispositions de ces articles font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme B...tendant à leur application ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B...au tribunal administratif de Bordeaux, ainsi que ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

''

''

''

''

2

N° 14BX00744


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX00744
Date de la décision : 13/01/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Bernard LEPLAT
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE - TOPALLOF - LAFFORGUE- ANDRIEU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-01-13;14bx00744 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award