La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/01/2015 | FRANCE | N°12BX02754

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 13 janvier 2015, 12BX02754


Vu la requête enregistrée le 25 octobre 2012 et le mémoire complémentaire, enregistré le 14 août 2013, présentés pour M. B...A..., demeurant..., par Me C...;

M. A...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200504 du 4 octobre 2012 du tribunal administratif de Limoges, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des vic

times des essais nucléaires français ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'or...

Vu la requête enregistrée le 25 octobre 2012 et le mémoire complémentaire, enregistré le 14 août 2013, présentés pour M. B...A..., demeurant..., par Me C...;

M. A...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200504 du 4 octobre 2012 du tribunal administratif de Limoges, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer les préjudices subis du fait de son exposition à des rayonnements ionisants ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance ;

------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2014 :

- le rapport de M. Bernard Leplat ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me Lafforgue, avocat de M. A...;

1. Considérant que M.A..., caporal à la 115ème compagnie de marche du génie de l'air, a été affecté en tant que graisseur vulcanisateur, entre le 13 juillet 1968 et le 31 octobre 1969, à la base du Centre d'expérimentation du Pacifique de l'atoll de Hao en Polynésie française ; qu'il est atteint d'un cancer du poumon, qui a été diagnostiqué en 2007 ; qu'il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 22 novembre 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de cette maladie pouvait être considéré comme négligeable ; que, suivant cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de M. A...par décision du 17 février 2012 ; que M. A...relève appel du jugement du 4 octobre 2012 du tribunal administratif de Limoges, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4°. " ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que l'article 7 du décret susvisé n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;

3 Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée s'il est établi, au vu notamment des éléments présentés au comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants ;

4. Considérant qu'il est constant que M. A...a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il est atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, la méthode utilisée par le CIVEN pour apprécier le risque attribuable aux essais nucléaires français et pour recommander, lorsqu'il estime que ce risque doit être regardé comme négligeable, au ministre de rejeter la demande d'indemnisation, ne repose pas exclusivement sur la constatation de la dose reçue par l'intéressé mais fait intervenir la prise en compte d'autres facteurs ; que son utilisation ne peut, dès lors, être regardée comme contraire aux dispositions de la loi du 5 janvier 2010 qui excluent l'institution d'un dispositif d'indemnisation fondé sur la notion de seuil d'exposition aux rayons ionisants mesurée par dosimétrie mais qui ne prohibent pas pour autant la prise en compte de la dose de rayonnements ; qu'il n'est pas contesté que cette méthode s'appuie sur les méthodologies, fondées sur la notion de probabilité de causalité, recommandées par l'AIEA ; que le requérant n'apporte pas, à l'appui de ses affirmations selon lesquelles ces méthodologies seraient inadaptées à l'évaluation des effets d'essais nucléaires militaires ou ne seraient pas fiables en regard des données scientifiques les plus récentes, d'éléments de nature à permettre d'en apprécier le bien fondé ; qu'en particulier, il ne propose pas de méthode alternative et reconnue comme préférable par la communauté scientifique internationale ; que la circonstance que certains dosimètres pourraient être défectueux, insuffisamment précis ou sensibles, ou encore, mal utilisés est sans incidence sur la validité de cette méthodologie ; qu'il est vrai que celle-ci n'implique pas systématiquement le recours aux résultats d'examens destinés à mesurer, non seulement, l'irradiation externe, mais aussi, la contamination interne, par ingestion ou inhalation ; que toutefois, elle n'exclut pas la prise en compte de tels résultats et il appartient à l'administration de rapporter la preuve de ce que les conditions d'exposition aux effets des essais nucléaires de la personne dont elle rejette la demande d'indemnisation en l'absence de résultats d'examens effectués au titre de la surveillance de la contamination interne étaient de nature à justifier cette absence ; que lorsque la situation des intéressés a conduit à les soumettre à une surveillance de la contamination, il incombe à l'administration de prouver que les résultats de cette surveillance n'ont pas été négligés ; qu'enfin le parti de regarder comme caractérisant un risque négligeable une probabilité de causalité très inférieure à 1 % n'est pas davantage de nature à faire mettre en doute la validité de cette méthodologie ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la méthodologie du CIVEN ne serait pas fiable du fait de son principe même ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il est dit au point 1, M. A... a été affecté, entre le 13 juillet 1968 et le 31 octobre 1969, à la base du Centre d'expérimentation du Pacifique de l'atoll de Hao en Polynésie française ; que, pendant cette période, il a été procédé, entre le 15 juillet 1968 et le 8 septembre 1968, à quatre essais nucléaires en atmosphère ; que les dosimétries pratiquées ont mesuré des doses nulles et qu'en ajoutant, selon la méthodologie du CIVEN, des doses de 0,2 millisievert par mesure de dose nulle ou par mois de présence, la prise en compte des doses d'irradiation externe ainsi déterminées et des autres facteurs envisagés par ladite méthodologie, qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'est pas inadmissible dans son principe même, a conduit à retenir une probabilité de causalité très inférieure à 1 % ;

7. Considérant que le ministre de la défense fait valoir, sans être utilement contredit que les fonctions exercées par M. A...n'impliquaient pas son accès aux zones de la base de Hao où il aurait pu être mis en présence d'éléments contaminés et qu'il n'a pu se trouver à proximité de tels éléments que lors d'un bref passage dans la zone dite des " produits noirs ", à Tahiti à l'occasion duquel il a fait l'objet des mesures de son irradiation susmentionnées ; que le ministre établit également que les quatre essais nucléaires en cause, effectués sous ballon captif, avec des précautions météorologiques appropriées, n'y ont pas provoqué de retombées significatives et n'étaient pas de nature à entraîner une contamination de l'atoll de Hao ; qu'une contamination significative de l'ensemble de l'atoll ou de la base ne peut pas être regardée comme établie par la seule circonstance qu'il était procédé sur la base de Hao à la décontamination d'aéronefs ayant survolé les points de tir ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que les conditions d'exposition de M. A... aux rayonnements ionisants n'appelaient pas la mise en oeuvre de mesures particulières de surveillance d'une éventuelle contamination interne ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le ministre avait rapporté la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être regardé comme négligeable ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 octobre 2012, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de ces articles font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. A...tendant à leur application ;

DECIDE

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

''

''

''

''

5

No 12BX02754


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 12BX02754
Date de la décision : 13/01/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ. RESPONSABILITÉ RÉGIE PAR DES TEXTES SPÉCIAUX. - LOI DU 5 JANVIER 2010 SUR LA RECONNAISSANCE ET L'INDEMNISATION DES VICTIMES DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS - POSSIBILITÉ DE REJETER UNE DEMANDE DE RECONNAISSANCE ET D'INDEMNISATION AU MOTIF QUE LE RISQUE ATTRIBUABLE AUX ESSAIS NUCLÉAIRES EST NÉGLIGEABLE.

60-01-05 La loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 permet à toute personne, quel que soit son statut (civil ou militaire, ressortissants français ou étrangers), atteinte d'une des vingt-et-une pathologies radio-induites mentionnées en annexe du décret du 11 juin 2010, complété par le décret du 30 avril 2012, et attestant de sa présence au cours de périodes déterminées dans l'une des zones géographiques de retombées de rayonnements ionisants, de constituer un dossier de demande d'indemnisation. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le demandeur bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable.,,Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), qui instruit les demandes selon une méthode conforme aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique, évalue la probabilité d'une relation de causalité entre la maladie et l'exposition aux rayonnements ionisants.... ...Une demande de reconnaissance et d'indemnisation peut être rejetée lorsque la probabilité ainsi déterminée est très faible.... ,,Tel est le cas des demandes présentées par les personnes qui, bien qu'ayant effectué des missions dans l'une des zones géographiques de retombées de rayonnements ionisants pendant les périodes prévues par les textes, n'ont pas exercé de fonctions les exposant à un risque particulier d'irradiation alors même que l'administration n'a pas effectué de contrôle de leur contamination interne, par ingestion ou inhalation.


Références :

Le pourvoi en cassation au Conseil d'Etat formé sous le n° 390404 a été suivi d'un désistement de M. M===.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Bernard LEPLAT
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-01-13;12bx02754 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award