Vu la requête enregistrée par télécopie le 14 octobre 2013, et régularisée par courrier le 16 octobre suivant, présentée pour la société Mayotte Aquaculture, dont le siège social est situé port de Longoni, BP 646 Kawéni à Mamoudzou (97600), par la Scp d'avocats Manuel Gros, Héloïse Hicter ;
La société Mayotte Aquaculture demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200195 du 18 juin 2013 du tribunal administratif de Mayotte qui a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite née le 28 novembre 2011 par laquelle l'inspecteur du travail de Mayotte a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation de licencier pour motif économique M. B...A..., ensemble la décision du 20 mars 2012 du ministre du travail, de l'emploi et de la santé confirmant la décision de l'inspecteur du travail de Mayotte, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer l'autorisation sollicitée de licencier M.A..., dans le délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
2°) d'annuler les ces décisions ;
3°) d'enjoindre au ministre du travail de délivrer l'autorisation de licencier M.A... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail applicable à Mayotte ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 décembre 2014 :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;
1. Considérant que par une lettre du 23 septembre 2011 reçue le 28 septembre suivant, la société Mayotte Aquaculture a demandé à l'inspecteur du travail de Mayotte l'autorisation de licencier pour motif économique M.A..., employé en qualité d'ouvrier aquacole, qui exerçait également les fonctions de délégué du personnel et de délégué syndical ; que par une décision du 20 mars 2012, prise sur recours hiérarchique de l'employeur, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a confirmé la décision implicite de l'inspecteur du travail, née le 29 novembre 2011, rejetant la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Mayotte Aquaculture ; que cette dernière fait appel du jugement du tribunal administratif de Mayotte du 18 juin 2013 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre et de celle de l'inspecteur du travail ; que M. A... présente, pour sa part, des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que les premiers juges ont indiqué les raisons pour lesquelles, selon eux, le déroulement de la procédure de licenciement, qui traduit des " conditions hâtives de traitement du dossier de l'intéressé ", étaient de nature à faire regarder ce licenciement comme n'étant pas dépourvu de lien avec le mandat détenu par M.A... ; qu'ils ont ainsi suffisamment motivé leur jugement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Considérant qu'en vertu de l'article L. 320-5 du code du travail applicable à Mayotte, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " (...) les employeurs qui envisagent de procéder à un licenciement pour motif économique sont tenus : 1° Lorsque le nombre des licenciements pour motif économique envisagés est inférieur à dix dans une même période de trente jours, de réunir et de consulter, en cas de licenciement collectif, le comité d'entreprise ou les délégués du personnel conformément aux articles L. 432-1 ou L. 442-1 selon le cas ; (...) " ; que selon l'article L. 320-2 du même code dans sa rédaction alors applicable : " (...) en cas de licenciement pour motif économique, à défaut de convention ou accord collectif de travail applicable, l'employeur définit, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements. Ces critères prennent notamment en compte les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des personnes handicapées et des salariés âgés. (...) " ; que l'article L. 320-8 de ce même code dispose : " L'employeur est tenu d'adresser aux représentants du personnel, avec la convocation aux réunions prévues à l'article L. 320-5, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il doit, en tous cas, indiquer : / La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ; / Le nombre de travailleurs dont le licenciement est envisagé ; / Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l'ordre des licenciements visé à l'article L. 320-2 ; / Le nombre de travailleurs, permanents ou non, employés dans l'établissement, et le calendrier prévisionnel des licenciements. " ; qu'aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " Tout licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, est obligatoirement soumis au comité d'entreprise qui donne un avis sur le projet de licenciement. / Le licenciement ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsqu'il n'existe pas de comité d'entreprise, l'inspecteur du travail est saisi directement. (...) " ; que selon l'article R. 435-1 de ce même code : " Les dispositions des articles R. 445-1 à R. 445 10 sont applicables au licenciement des salariés mentionnés à l'article L. 435-1. " ; qu'aux termes de l'article R. 445-1 du même code : " L'entretien prévu à l'article L. 122-27 précède la consultation du comité d'entreprise effectuée en application soit de l'article L. 435-1, soit de l'article L. 445-1, ou, à défaut de comité d'entreprise, la présentation à l'inspecteur du travail de la demande d'autorisation de licenciement. " ; qu'enfin, l'article L. 122-27 du même code dispose : " L'employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation. L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. Au cours de l'entretien, l'employeur est tenu d'indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié. / (...) Les dispositions des alinéas qui précèdent ne sont pas applicables en cas de licenciement pour motif économique de dix salariés et plus dans une même période de trente jours lorsqu'il existe un comité d'entreprise ou des délégués du personnel dans l'entreprise. " ;
4. Considérant, d'une part, que le licenciement des salariés légalement investis des fonctions de délégué syndical ou de délégué du personnel, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions précitées du code du travail applicable à Mayotte que l'employeur qui envisage de procéder à un nombre de licenciements pour motif économique inférieur à dix au cours d'une même période de trente jours doit, préalablement, consulter les délégués du personnel en vue de fixer les critères selon lesquels seront désignés les personnels concernés ; qu'après cette consultation, l'employeur est tenu de respecter les dispositions applicables au licenciement individuel de chacun des salariés intéressés ; que, notamment, le licenciement d'un délégué du personnel doit être soumis pour avis au comité d'entreprise, postérieurement à l'entretien préalable auquel le salarié doit être convoqué, et ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement, ou, lorsqu'il n'existe pas de comité d'entreprise, un tel licenciement doit être directement soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail ;
6. Considérant que pour regarder comme irrégulière la procédure de licenciement pour motif économique de M.A..., le ministre du travail s'est d'abord fondé sur les dispositions de l'article L. 320-8 du code du travail applicable à Mayotte, estimant que l'employeur n'avait pas respecté ces dispositions en présentant les critères d'ordre du licenciement lors de la réunion des délégués du personnel du 10 septembre 2011 ; que, par un second motif, il a également considéré que M. A...avait été convoqué à l'entretien préalable par lettre du 13 août 2011, soit avant la consultation des délégués du personnel sur le projet de licenciement collectif pour motif économique ; que le tribunal administratif, par le jugement attaqué, a considéré que le ministre du travail avait légalement pu confirmer la décision de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser le licenciement de M.A..., dans la mesure où ce licenciement ne pouvait être regardé comme dépourvu de tout lien avec le mandat syndical qu'il détenait ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en ayant adressé un courrier de convocation à M. A...à un entretien préalable dès le 22 août 2011, la société Mayotte Aquaculture ait fait preuve de discrimination à son encontre, dès lors que cet entretien préalable s'est tenu après la réunion des délégués du personnel ; que la circonstance, invoquée par M.A..., qu'une procédure de licenciement pour faute ait été engagée à son encontre en mars 2012, soit postérieurement à la procédure de licenciement en litige, n'est pas non plus de nature à démontrer qu'il aurait été victime de discrimination en raison du mandat qu'il détenait au titre de la procédure de licenciement pour motif économique en cause ; qu'enfin, si M. A...produit des documents émanant de l'union départementale des syndicats Force Ouvrière de Mayotte, ceux-ci, soit sont très antérieurs aux faits en litige et ne font d'ailleurs qu'exprimer des revendications générales, soit, s'agissant de la lettre adressée par cet organisme au directeur de la société Mayotte Aquaculture le 26 novembre 2012, sont postérieurs à ces faits et se placent dans le cadre de la procédure de licenciement pour faute intentée à l'encontre de M. A...par la suite ; que, dans ces conditions, la société Mayotte Aquaculture est fondée à soutenir que c'est à tort que pour rejeter sa demande, les premiers juges se sont fondés, sur le motif tiré de l'existence d'un lien entre la décision de licenciement pour raison économique et le mandat, motif qui au demeurant n'avait pas été retenu par le ministre chargé du travail et ne faisait l'objet d'aucune demande de substitution ;
8. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 22 août 2011, remis en mains propres à M. A...le 23 août, la société Mayotte Aquaculture a convoqué ce dernier à un entretien préalable pour le 12 septembre ; que par un courrier également daté du 22 août, l'employeur a, préalablement aux licenciements économiques envisagés, et conformément aux dispositions précitées de l'article L. 320-5 du code du travail applicable à Mayotte, convoqué les délégués du personnel, dont M.A..., pour le 10 septembre ; qu'ainsi, l'entretien préalable de M. A...s'est bien tenu postérieurement à la réunion des délégués du personnel ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'employeur d'attendre que la réunion des délégués du personnel se soit déroulée pour adresser au salarié la convocation à l'entretien préalable à son licenciement ; que, par suite, la société Mayotte Aquaculture est fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre du travail s'est fondé sur le motif tiré de ce que M. A...avait été convoqué à l'entretien préalable avant la réunion des délégués du personnel pour confirmer la décision implicite de refus de l'inspecteur du travail ;
9. Considérant cependant, que s'il ressort des pièces du dossier que les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements ont bien été définis par l'employeur après consultation des délégués du personnel le 10 septembre 2011, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 320-2 du code du travail, la société Mayotte Aquaculture n'a pas, comme elle le devait en vertu des dispositions de l'article L. 320-8 du même code, en s'étant bornée à mentionner " nous fixerons l'ordre des licenciements ensemble selon les critères définis par le code du travail et les spécificités de notre entreprise. Cette mesure devrait toucher en priorité 3 salariés permanents ", indiqué dans la convocation aux représentants du personnel les critères proposés pour l'ordre des licenciements visé à l'article L. 320-2 ; que ce motif suffisait à lui seul à justifier le refus d'autorisation de licenciement ; qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce seul motif ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Mayotte Aquaculture n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions reconventionnelles de M.A... :
11. Considérant qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître de ces conclusions par lesquelles M. A...met en jeu la responsabilité de son employeur ; que, par suite, l'exception d'incompétence soulevée par la société Mayotte Aquaculture doit être accueillie ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Mayotte Aquaculture demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros à verser M. A...sur le même fondement des mêmes dispositions ;
DECIDE
Article 1er : La requête de la société Mayotte Aquaculture est rejetée.
Article 2 : La société Mayotte Aquaculture versera à M. A...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions reconventionnelles présentées par M. A...à l'encontre de la société Mayotte Aquaculture sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
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No 13BX02771