Vu, la requête enregistrée le 28 décembre 2012, présentée pour la commune de Cilaos, ayant son siège 66 rue du père Boiteau à Cilaos (97413), par Me A...;
La commune de Cilaos demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1000710 du 4 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis l'a déclarée responsable des trois quarts des conséquences dommageables de l'accident dont Mlle E...et sa mère ont été victimes le 3 avril 2002 et a prescrit avant-dire droit une expertise médicale à l'effet d'évaluer les préjudices subis par MlleE... ;
2°) de rejeter les demandes des consortsE... et de mettre à leur charge, d'une part, les dépens de l'instance, d'autre part, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que la circonstance que l'Office national des forêts (ONF) connaissait l'existence d'un balisage sauvage et la dangerosité de l'itinéraire menant aux vasques d'eau chaude ne permet pas d'en déduire que les services municipaux connaissaient, avant la survenance de l'accident, les conditions de desserte du site, dont ils n'avaient pas été avisés ; que le directeur de l'agriculture et des forêts, pourtant gestionnaire du domaine public fluvial, a déclaré ignorer l'existence de ce balisage irrégulier ; que la rivière "Bras Rouge" et le sentier GR-R2 relèvent respectivement du domaine public de l'Etat et du domaine départemental ; qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir de gestion patrimoniale ou d'aménagement des sentiers et sites litigieux, lesquels sont gérés par l'ONF ;
- que l'existence d'un danger particulier connu des services municipaux nécessitant une signalisation spécifique, seul de nature à engager la responsabilité communale à raison de la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police, n'est pas établie ; que tous les sites du département sont exposés aux mêmes risques, en particulier à la suite d'un cyclone ou de fortes pluies ; que Mlle F...E..., qui n'était pas une simple touriste, ne pouvait ignorer ces dangers ; qu'aucun précédent n'avait été relevé sur le site litigieux ;
- que le sentier GR-R2, unique accès au site, avait été fermé par arrêté préfectoral du 13 mars 2002 affiché en mairie ; que le maire, qui n'était pas informé du retrait de l'affichage de cet arrêté au point de départ du sentier par les services de l'ONF, n'était pas tenu de prendre d'autres mesures ;
- qu'en tout état de cause, l'imprudence des victimes, parties en randonnée quelques jours après le passage d'un cyclone, est constitutive d'une faute exonératoire ; que Mlle F...E..., qui vivait à La Réunion depuis plusieurs années, ne pouvait ignorer les risques encourus, dont elle avait, au surplus, été informée tant par le guide touristique qu'elle utilisait que par un agent de la Maison de la Montagne ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2013, présenté pour les consortsE..., par MeC..., qui concluent au rejet de la requête et à la condamnation de la commune de Cilaos, d'une part, à réparer la totalité des conséquences dommageables de l'accident, d'autre part, à leur payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Ils font valoir :
- qu'en s'abstenant de prendre les mesures appropriées pour prévenir les risques encourus par les promeneurs empruntant le chemin d'accès aux vasques d'eau chaude, le maire de Cilaos a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police de nature à engager la responsabilité de la commune ; qu'il n'est pas contesté et est d'ailleurs établi par le procès-verbal d'audition de l'agent de l'ONF que cet itinéraire présentait un caractère particulièrement dangereux, aggravé par le passage de la perturbation tropicale du 10 mars 2002, lequel avait entraîné la fermeture des sites de randonnée par un arrêté préfectoral du 13 mars suivant, toujours en vigueur le jour le l'accident ; que les services communaux avaient connaissance de ce danger et ne pouvaient ignorer l'interdiction préfectorale ; que s'il ne faisait pas l'objet d'un balisage officiel, l'itinéraire en cause, répertorié et conseillé par les guides touristiques, était emprunté de manière habituelle par les randonneurs ; qu'un balisage blanc similaire à d'autres balisages existant sur l'île était tracé et laissait légitimement supposer qu'il s'agissait d'un chemin praticable ; que la circonstance que la collectivité n'était pas chargée de l'entretien du sentier est inopérante ;
- qu'en l'absence de signalisation du danger, Mlle E...et sa mère n'ont commis aucune imprudence ; que MlleE..., qui ne vivait à La Réunion que depuis le mois d'août 2001, n'avait jamais emprunté cet itinéraire et s'était préalablement renseignée, en consultant le site internet du comité de tourisme et en interrogeant un agent de la Maison de la Montagne, sur l'état des sentiers et la possibilité de se rendre sur le site ; que cet agent, qui a seulement indiqué lors de la procédure pénale, qu'il déconseillait l'itinéraire aux touristes, ne les a pas dissuadées de se rendre sur le site mais les a au contraire informées de la réouverture du sentier en leur remettant une copie de l'itinéraire ;
- que si elles avaient été amenées à renoncer à la randonnée dans son ensemble en empruntant le sentier GR.R2, l'accident ne serait pas intervenu ;
Vu l'ordonnance fixant la clôture de l'instruction en dernier lieu au 22 novembre 2013 à 12 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er avril 2014 :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;
1. Considérant que le 3 avril 2002, les époux E...et leur fille ont emprunté le sentier de grande randonnée GR.R2 menant à la cascade de Bras Rouge à Cilaos ; qu'en cours de randonnée, Mme B...E...et Mlle F...E...ont quitté de leur propre chef le parcours balisé pour rejoindre le site pittoresque des sources d'eau chaude, situé à l'écart du sentier et signalé par un fléchage au sol non officiel ; que, vers 13 heures 15, alors qu'elles empruntaient le lit de la rivière du "Bras Rouge", les rives abruptes de ce cours d'eau, fragilisées par la tempête récente, se sont éboulées à deux reprises ; que ces éboulements ont provoqué la mort de Mme B...E...et gravement blessé Mlle F...E... ; que cette dernière a saisi le tribunal administratif de Saint-Denis d'une demande d'indemnisation des préjudices consécutifs à ses blessures présentée à l'encontre de la commune de Cilaos en invoquant la carence fautive du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police ; qu'avec son frère, M. D... E..., elle a, en outre, sollicité la réparation du préjudice moral résultant du décès de leur mère ; que la commune de Cilaos fait appel du jugement du 4 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis l'a déclarée responsable des trois quarts des conséquences dommageables de l'accident et prescrit avant-dire droit une expertise médicale à l'effet d'évaluer les préjudices subis par MlleE... ; que, par la voie de l'appel incident, les consorts E...demandent la condamnation de la commune à réparer la totalité des conséquences dommageables de l'accident ;
2. Considérant que les dispositions du 5° de l'article L.2212-2 5° du code général des collectivités territoriales, qui imposent au maire de prévenir, par des précautions convenables, les accidents et fléaux calamiteux tels que les éboulements de terre ou de rochers, ne s'appliquent que dans le cas où existe un danger excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par leur prudence, se prémunir ;
3. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le risque d'éboulement dans le lit de la rivière du "Bras Rouge" représentait un danger particulier excédant celui auquel les promeneurs devaient normalement s'attendre sur les sites similaires de l'île de La Réunion ; qu'en outre, par un arrêté du 13 mars 2002 affiché en mairie, consécutif au passage d'une tempête tropicale, le préfet du département avait interdit à la randonnée la partie du sentier de grande randonnée GR R2 située sur la commune de Cilaos ; que si, avant la survenance de l'accident, les services de l'Office national des forêts avaient retiré l'affichage de cet arrêté au point de départ du sentier, alors que l'interdiction était toujours en vigueur, il ne résulte pas de l'instruction que les services municipaux en auraient été informés ; que dans les circonstances de l'espèce, notamment en l'absence d'accidents antérieurs, alors même que l'itinéraire litigieux était emprunté habituellement par les promeneurs, le maire de Cilaos n'a, en s'abstenant de faire procéder à l'effacement du balisage non officiel, à la fermeture de cet itinéraire ou à la publication d'une mise en garde à l'attention des randonneurs, pas commis de faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police ; qu'au surplus et en tout état de cause, le préjudice des victimes résulte de leur décision de s'écarter en cours de randonnée du parcours régulièrement balisé pour s'engager dans le lit de la rivière du "Bras Rouge" ; qu'il en résulte que la commune de Cilaos est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis l'a déclarée responsable des trois quarts des conséquences dommageables de l'accident ; que, par voie de conséquence, l'appel incident des consorts E...doit être rejeté ;
4. Considérant que les frais d'expertise liquidés et taxés à 1 500 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Saint-Denis du 8 octobre 2013 doivent être mis à la charge des consortsE... ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cilaos, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les consorts E...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner les requérants à verser à la commune la somme que celle-ci demande sur le même fondement ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis du 4 octobre 2012 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par les consorts E...devant le tribunal administratif est rejetée, de même que leur appel incident devant la cour.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à 1 500 euros, sont mis à la charge des consortsE....
Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cilaos, à Mlle F...E..., à M. D... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Beauvais et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2014 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Bertrand Riou, président-assesseur,
Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 13 mai 2014.
Le rapporteur,
Marie-Thérèse LACAU Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Virginie MARTY
''
''
''
''
2
N°12BX03269