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14/01/2014 | FRANCE | N°12BX02070

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 14 janvier 2014, 12BX02070


Vu la requête enregistrée le 3 août 2012, présentée pour M. C...B...demeurant ... par MeA... ;

M. B...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903418 du 15 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de son hospitalisation dans la nuit du 16 février au 17 février 2009 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme d

e 833 627,26 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa requête int...

Vu la requête enregistrée le 3 août 2012, présentée pour M. C...B...demeurant ... par MeA... ;

M. B...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903418 du 15 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de son hospitalisation dans la nuit du 16 février au 17 février 2009 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 833 627,26 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa requête introductive d'instance, ainsi que la capitalisation des intérêts échus ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, y compris les droits de timbre et de plaidoirie ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 novembre 2013 :

- le rapport de Mme Florence Madelaigue, premier conseiller ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me Rufié, avocat de M.B... ;

1. Considérant que M.B..., alors âgé de 28 ans, a été victime, le 16 février 2009, d'un accident du travail à l'origine d'une fracture bifocale fermée du tibia gauche ; que, pris en charge par le service des urgences du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, il a subi le jour même une intervention chirurgicale consistant en la pose d'un matériel d'ostéosynthèse par enclouage centro-médullaire à 20 heures 35 ; qu'admis au sein du service de chirurgie générale et vasculaire, M. B...s'est défenestré le 17 février 2009 à 4 heures 30, faisant une chute du cinquième étage, à l'origine de multiples fractures et de l'amputation de sa jambe droite ; que par jugement du 15 mai 2012 rendu à la suite du dépôt des rapports de l'expert désigné par ordonnance du 9 mai 2011 et du sapiteur spécialisé en psychiatrie qui lui avait été adjoint, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. B...tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à l'indemniser du préjudice subi du fait de son hospitalisation ; que M. B...relève appel de ce jugement ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) " ;

3. Considérant qu'opéré en urgence pour une fracture du tibia gauche, M. B...est sorti de la salle d'opération le 16 février 2009 à 21 heures 55 ; que les fiches de transmission du service de chirurgie et le compte-rendu de prise en charge indiquent que le 17 février 2009, dès 1 heure 15, M. B...a éprouvé une douleur brutale de la jambe gauche, résistante à la morphine sous cutanée ; qu'à 2 heures 15, ayant constaté la persistance d'une douleur intense à la jambe gauche, un infirmier a appelé l'interne du service de chirurgie orthopédique et traumatologique qui, sans se déplacer auprès de M.B..., a prescrit un traitement antalgique par voie orale ; que l'interne, arrivé à 4 heures, soit 1 heure 45 après l'appel de l'infirmier, a constaté que M. B...souffrait toujours d'une douleur intense malgré le traitement prescrit et a proposé un nouveau traitement antalgique ; qu'à 4 heures 15, M. B...a arraché sa sonde vésicale et à 4 heures 30, il a brisé une vitre de la fenêtre de sa chambre et s'est défenestré ;

4. Considérant que l'expert désigné par ordonnance du 9 mai 2011 relève que la persistance d'une douleur, intense et non calmée par les différents antalgiques reçus constitue une circonstance anormale après un enclouage de jambe et que " si M. B...(...) a d'abord arraché sa sonde urinaire puis s'est défenestré à 4 h 30 du matin c'est sous l'effet de la douleur extrême et insoutenable qui accompagne toujours les syndromes de loge " ; que même si, comme le centre hospitalier universitaire de Bordeaux le fait valoir, aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. B...aurait souffert du syndrome des loges, l'absence de traitement efficace, malgré des prescriptions répétées d'antalgiques, de la douleur aiguë et anormale apparue dès 1 heure 15 et le retard d'une heure quarante cinq dans la venue de l'interne auprès du patient qui se plaignait d'une telle douleur constituent une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'établissement ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande de M. B...au motif qu'aucune faute n'était de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;

5. Considérant qu'il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel de l'ensemble du litige, de statuer sur les autres moyens soulevés par M.B... ;

6. Considérant que l'expert désigné par ordonnance du 9 mai 2011 relève que la défenestration résulte d'une réaction violente de M. B...face à la douleur aiguë persistante qu'il ressentait ; que le sapiteur en psychiatrie, qui précise que M. B...n'a pas d'antécédent particulier sur le plan psychopathologique avant février 2009 et ne présente pas d'état dépressif, de symptômes de lignée anxieuse et de préoccupations hypocondriaques, exclut que le passage à l'acte résulte d'un " raptus suicidaire d'origine anxieuse " ; qu'ainsi, en l'absence de toute autre cause établie, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux n'est pas fondé à soutenir que l'agitation et la défenestration de M. B...ne seraient pas imputables aux manquements commis lors de son hospitalisation dans la nuit du 16 au 17 février 2009 ;

7. Considérant que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux étant engagée à raison de la faute commise dans la prise en charge médicale de M.B..., l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit être mis hors de cause en application du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que les conditions ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;

Sur le préjudice indemnisable :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Quant aux dépenses de santé :

8. Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation des frais de santé demeurés à la charge de M. B...qui intègrent les frais d'acquisition d'un fauteuil roulant, en les fixant à 2 389,01 euros que le centre hospitalier universitaire doit être condamné à lui verser ;

Quant aux frais liés au handicap :

9. Considérant, en premier lieu, que M. B...justifie de l'aménagement, au domicile de sa mère chez qui il est hébergé, de la salle de bains pour un montant de 725,37 euros, déduction faite de la prise en charge partielle par la maison départementale des personnes handicapées, ainsi que d'une dalle de béton permettant le passage du fauteuil roulant pour un montant de 2 520 euros ; que M. B...n'établit pas la nécessité d'avoir recours, du fait de l'accident survenu au centre hospitalier universitaire, à d'autres aménagements spécifiques; qu'il sera ainsi fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en lui allouant la somme de 3 225,37 euros ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que la nécessité d'aménagement d'un véhicule pour l'adapter au handicap de M. B... n'est pas contestée ; qu'il justifie à ce titre avoir exposé pour cet aménagement, lui permettant de conduire son véhicule automobile, la somme de 3 163,48 euros ; qu'il n'établit pas la nécessité d'autres frais pour ce véhicule du fait de l'accident qu'il a subi ;

11. Considérant, en troisième lieu, que la somme de 50 000 euros demandée par M. B... au titre de l'assistance à tierce personne n'est pas assortie de justifications ; que sa demande au titre de ce chef de préjudice doit dès lors être écartée ;

Quant aux pertes de revenus :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.B..., dont l'état est considéré comme consolidé le 1er septembre 2010, exerçait la profession d'ouvrier agricole ; qu'il n'est pas contesté que la Mutualité sociale agricole de la Gironde lui a versé des indemnités journalières en lien avec l'accident survenu le 17 février 2009, pour la période d'incapacité totale de travail du 17 août 2009 au 1er septembre 2010 ; que si M. B...indique qu'il percevait avant son accident un salaire moyen de 1 489,97 euros et sollicite l'indemnisation des pertes de revenus occasionnées par son état de santé, il n'apporte toutefois aucune justification précise d'une perte de revenus qui ne serait pas compensée par la rente d'invalidité que la Mutualité sociale agricole de la Gironde lui verse depuis le 1er avril 2012 ; que la demande présentée, à ce titre, par M. B...ne peut donc qu'être rejetée ;

Quant à l'incidence professionnelle :

13. Considérant qu'en raison du handicap résultant de l'accident, M. B...soutient qu'il n'est plus en mesure d'exercer sa profession et qu'il subit une perte de chance professionnelle pour laquelle il sollicite le versement de la somme de 100 000 euros ; que, toutefois, il n'indique pas en quoi consistaient ses perspectives professionnelles et ne démontre aucun projet suffisamment avancé pour que le préjudice qu'il invoque présente un caractère certain ; que la demande présentée, à ce titre, ne peut donc qu'être rejetée ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

14. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte notamment du rapport de l'expert que M. B...a subi, en conséquence de la faute du centre hospitalier universitaire, une période d'incapacité temporaire totale entre le 18 avril 2009 et le 1er septembre 2010, date de consolidation ; que depuis cette date, M. B...reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 60 % ; qu'en conséquence, et eu égard à son âge, de 30 ans à la date de sa consolidation, il sera fait une juste appréciation, d'une part, de l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence avant consolidation en l'évaluant à une somme de 5 000 euros et, d'autre part, du déficit fonctionnel permanent imputable à la faute de l'hôpital en fixant l'indemnisation due à ce titre à 150 000 euros ;

15. Considérant, en deuxième lieu, que les souffrances physiques intenses endurées par la victime sont classées au niveau 6 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant l'indemnité accordée à ce titre à 15 000 euros ; que, selon l'expert qui n'est pas contredit sur ce point, l'infirmité de M. B... est la cause d'un préjudice esthétique important de 4 sur 7 ; qu'il lui sera alloué une somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice ;

16. Considérant, en troisième lieu, que le handicap subi par M. B...le prive de la possibilité de pratiquer les activités de loisirs auxquelles il s'adonnait ; qu'il sera fait une juste appréciation du montant de l'indemnisation à laquelle peut prétendre M. B...au titre du préjudice d'agrément résultant des conséquences de son affection en le fixant à 20 000 euros ;

En ce qui concerne les frais divers :

17. Considérant que les frais de location d'une télévision exposés par M. B...du fait de son hospitalisation qui sont des frais de convenance personnelle sans lien direct et certain avec le dommage subi, ne peuvent donner lieu à remboursement ; qu'en conséquence, ce chef de préjudice doit être écarté ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux doit être condamné à verser à M. B...la somme de 203 777,85 euros ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

19. Considérant qu'en application de l'article 1153 du code civil, M. B...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme totale de 203 777,85 euros à compter du 2 septembre 2009, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif ; que, par application de l'article 1154 du code civil, ces intérêts seront capitalisés à compter du 2 septembre 2010, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les frais d'expertise :

20. Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre la totalité des frais des expertises décidées par le tribunal administratif de Bordeaux, taxés et liquidés à la somme de 4 705,50 euros, à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Considérant que, dans les circonstances de l' espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 mai 2012 est annulé.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de cause.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux est condamné à verser à M. B... la somme de 203 777,85 euros assorties des intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2009. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 2 septembre 2010, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 4 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 4 705,50 euros sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux versera à M. B...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

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N° 12BX02070


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 12BX02070
Date de la décision : 14/01/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : BIROT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2014-01-14;12bx02070 ?
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