Vu la requête, enregistrée le 16 avril 2012, présentée pour Mme Hermine X épouse Y, demeurant ... par Me Dieumegard ;
Mme Y demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 11002882 du 15 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Vienne du 23 novembre 2011 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et désignant le pays de renvoi, d'autre part, à la délivrance d'un titre de séjour ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté du 23 novembre 2011 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer, dans un délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, un titre de séjour temporaire d'une durée d'un an, ou, à tout le moins, de réexaminer sa situation sous le même délai et la même astreinte en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour le temps de ce réexamen ;
4°) de condamner l'Etat à verser à son conseil la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 novembre 2012 :
- le rapport de Mme Dominique Boulard, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Guillaume de la Taille Lolainville, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme X épouse Y, née en 1973, se présentant comme étant de nationalité azerbaïdjanaise, entrée sur le territoire national selon ses déclarations en décembre 2009, accompagnée de son époux, ressortissant de la Fédération de Russie né en 1970, et de leurs deux enfants, nés en Russie en 1995 et 1996, a demandé l'asile en France en janvier 2010 ; que cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 24 décembre 2010 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 28 septembre 2011 ; que, par un arrêté du 23 novembre 2011, le préfet de la Vienne a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français, lui a imparti un délai de départ volontaire d'un mois et a désigné le pays de renvoi comme étant celui " dont elle a la nationalité ou tout autre pays pour lequel elle établit être légalement admissible " ; qu'elle fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté son recours dirigé contre cet arrêté ainsi que ses conclusions à fin d'injonction dont ce recours était assorti ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République " ;
3. Considérant qu'à l'appui de son moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées, Mme Y se prévaut de ce qu'elle vit en France avec sa famille depuis décembre 2009, de son intégration dans ce pays et de celle de son mari, grâce notamment aux activités de bénévolat exercée par ce dernier, et aussi de l'insertion de ses enfants, qui y sont scolarisés et obtiennent de bons résultats notamment dans le domaine sportif ; qu'elle fait également valoir que sa famille a tissé des liens affectifs en France alors que la différence de nationalité entre elle et son mari porte atteinte à leur vie familiale hors de France, notamment en Russie ou en Azerbaïdjan, à cause des origines arméniennes de son mari et de ses propres origines qu'elle qualifie d' " azéro-arméniennes " ; qu'il ressort toutefois du dossier que le séjour en France de Mme Y, qui y était entrée irrégulièrement, était de moins de deux ans à la date de l'arrêté attaqué ; qu'elle ne fait pas état d'attaches familiales en France autres que celles tenant à son mari et à ses deux enfants ; qu'il n'est nullement établi qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales hors de France, notamment dans le pays dont elle déclare être la ressortissante ou en Russie, pays où sa famille résidait habituellement au moins depuis 1989, selon ses propres déclarations, avant son arrivée en France ; que la circonstance que la requérante aurait une nationalité distincte de celle de son mari est sans incidence quant à la légalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire, dès lors que ces décisions ne comportent pas, en elles-mêmes, un risque de séparation du couple ; que, dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France et malgré les bons résultats scolaires de ses enfants, le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire opposés à Mme Y ne peuvent être regardés comme méconnaissant le 7° de l'article L.313-11 du code susvisé non plus que l'article 8 de la convention européenne précitée ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'eu égard à la présence récente en France des enfants de Mme Y, à la durée relativement brève de leur scolarisation en France, même si celle-ci leur a permis d'obtenir des résultats satisfaisants, au fait qu'il n'est pas établi qu'ils ne pourraient poursuivre cette scolarité hors de France, aux conditions et à la durée du séjour sur le territoire national de leurs parents et à la circonstance que, par elles-mêmes, les décisions refusant d'admettre l'intéressée au séjour et l'obligeant à quitter le territoire, également opposées à son mari, n'entraînent pas un éclatement de la cellule familiale, dont il n'est pas démontré qu'elle ne pourrait se reconstituer dans un autre pays, ces décisions ne peuvent être regardées comme entachées d'illégalité au regard des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne le pays de renvoi :
5. Considérant, compte tenu de ce qui précède, que la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision relative au pays de renvoi serait illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour et de celle de l'obligation de quitter le territoire français ;
6. Considérant qu'après avoir exposé les motifs des décisions qu'il contient, l'arrêté contesté décide, dans son article 1er, le rejet de la demande de titre de séjour de Mme Y " de nationalité russe " ; que la requérante se prévaut, à l'encontre de l'article 3 de ce même arrêté portant sur le pays de destination, de l'erreur de fait commise par le préfet quant à sa nationalité en soutenant que, contrairement à son mari qui a obtenu la nationalité russe en 2000, elle est demeurée une ressortissante azerbaidjanaise ; que, s'il est vrai qu'elle s'était présentée lors de sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile non comme une ressortissante de la Fédération de Russie, mais comme ayant la nationalité azerbaidjanaise, nationalité dont elle avait alors indiqué qu'elle était également celle de son mari et s'il est vrai encore que lors de la procédure relative à sa demande d'asile, la Cour nationale du droit d'asile l'a regardée, contrairement à son mari, non comme détenant la nationalité russe, mais comme une personne résidant en Russie sans interruption depuis 1989, l'article 3 de l'arrêté contesté ne définit pas le pays de destination autrement que comme celui dont la requérante a la nationalité ou tout autre pays dans lequel elle pourrait être légalement admissible ; que, dans ces conditions, l'erreur qu'aurait commise quant à la nationalité de la requérante le préfet ne peut être regardée comme ayant déterminé le sens de sa décision ;
7. Considérant qu'il n'est pas établi que le retour de Mme Y dans le pays dont elle soutient être ressortissante, soit l'Azerbaïdjan, ou dans le pays dont son compagnon est ressortissant, soit la Fédération de Russie, lui ferait courir du seul fait de la différence de nationalité invoquée, voire de la différence d'origine arménienne ou azérie, à elle ou à son couple et leurs enfants, les risques de traitements inhumains ou dégradants visées par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, si la requérante affirme que son mari aurait été témoin en Russie de faits dont il serait " désormais accusé ", cette affirmation, qui n'est pas étayée d'éléments probants, ni même de précisions suffisantes, ne suffit pas à justifier de l'existence de risques dans ce pays de la nature de ceux que permet de prendre en compte l'article 3 précité ; que n'est pas non plus constitutive de tels risques la situation précaire dont la requérante soutient qu'elle est celle de sa famille en Russie ;
8. Considérant, en revanche, que la mise en exécution d'une mesure éloignant Mme Y vers un pays autre que celui vers lequel serait éloigné son mari aurait pour effet d'entraîner un éclatement de la cellule familiale et conduirait à une séparation des enfants avec l'un de leurs parents, et ce pour une durée indéterminée ; que la mise en exécution, dans de telles conditions, des décisions fixant le pays de destination de chacun des membres du couple méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention de New York ; que, dès lors, l'arrêté litigieux doit être annulé en tant qu'il rend possible l'éloignement de Mme Y à destination d'un pays différent du pays de renvoi de son mari ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme Y est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté contesté en tant qu'il rend possible son éloignement à destination d'un pays différent du pays de renvoi de son mari et la réformation en ce sens du jugement attaqué ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Considérant que le présent arrêt n'implique ni que le préfet délivre à un titre de séjour à Mme Y ni qu'il réexamine la situation de celle-ci au regard de son droit au séjour ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme Y doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la requête présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté en date du 23 novembre 2011 du préfet de la Vienne est annulé en tant qu'il rend possible l'éloignement de Mme Y à destination d'un pays différent du pays de renvoi de son mari.
Article 2 : Le jugement n°1102882 en date du 15 mars 2012 du tribunal administratif de Poitiers, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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No 12BX00965