Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour en télécopie le 2 janvier et en original le 5 janvier 2009, présentée pour la SOCIETE DES CALCAIRES ET DIORITES DU MOULIN DU ROC (CDMR), dont le siège social est sis à Champblanc à Cherves-Richemont (16370) ;
La SOCIETE CDMR demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 6 novembre 2008 qui a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité de l'autorisation qui lui a été accordée par un arrêté du préfet de la Charente du 25 mai 2001 en vue de poursuivre l'exploitation de la carrière à ciel ouvert de calcaire située sur la commune de Roullet-Saint-Estèphe au lieu-dit Bois des Auturs et d'étendre son exploitation sur la commune de Claix, au lieu-dit Champs et bois de Clérignac ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 878 480,87 euros, montant qui sera éventuellement précisé dans le cadre d'une expertise à ordonner, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 6 juillet 2006, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'autorisation délivrée ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mars 2010 :
- le rapport de Mme Rey-Gabriac, premier conseiller ;
- les observations de Me Lanoy de la SELARL Laurence Lanoy, avocate de la SOCIETE CALCAIRES ET DIORITES DU MOULIN DU ROC (CDMR) ;
- les conclusions de Mme Dupuy, rapporteur public ;
La parole ayant à nouveau été donnée à Me Lanoy ;
Considérant que, par un arrêté du 25 mai 2001, le préfet de la Charente a autorisé la SOCIETE CALCAIRES ET DIORITES DU MOULIN DU ROC (CDMR) à poursuivre l'exploitation d'une carrière de calcaire à ciel ouvert sur le territoire de la commune de Roullet-Saint-Estèphe au lieu-dit Bois des Autures , à étendre son exploitation sur le territoire de la commune de Claix, au lieu-dit Champs et Bois de Clérignac , et à déplacer sur le site de Roullet-Saint-Estèphe l'installation de traitement des matériaux ; que, par un jugement du 21 février 2002, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté en se fondant sur l'atteinte grave que l'autorisation accordée portait à l'écosystème d'un intérêt particulier caractérisant la zone dans laquelle est incluse le lieu-dit Champs et Bois de Clérignac , zone d'ailleurs homologuée en tant que zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt devenu définitif de la présente cour en date du 5 juin 2003 ; qu'après avoir saisi le préfet de la Charente d'une demande préalable à fin d'indemnisation, laquelle a été rejetée par une décision expresse du 6 septembre 2006, la SOCIETE CDMR a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis en raison de cet arrêté préfectoral du 25 mai 2001, en invoquant tant la faute constituée par l'illégalité de cet arrêté que la rupture du principe d'égalité résultant de l'instauration d'une ZNIEFF et de l'intervention, le 15 avril 2004, d'un arrêté de protection de biotope couvrant la zone concernée ; qu'elle fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 6 novembre 2008 qui, après avoir écarté la responsabilité sans faute de l'Etat, a retenu le principe de la responsabilité entière de l'Etat pour faute, mais a estimé qu'aucun des préjudices invoqués par la société ne présentait un caractère direct et certain et a, par conséquent, rejeté la demande présentée par la société ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant, en premier lieu, que la seule mention, dans les écritures de première instance de la SOCIETE CDMR, de ce que le montant de l'indemnité à lui allouer sera éventuellement précisé dans le cadre d'une expertise est trop évasive pour être regardée comme des conclusions expresses à fin d'expertise sur lesquelles les premiers juges auraient omis de se prononcer ;
Considérant, en second lieu, que le tribunal administratif a écarté comme inopérant le moyen tiré de l'insuffisance de motivation, au regard de la loi du 11 juillet 1979, de la décision du 6 septembre 2006 ; que, par suite, il a pu, sans commettre d'irrégularité, s'abstenir de viser ladite loi ;
Sur la légalité de la décision du 6 septembre 2006 portant refus d'indemnisation :
Considérant que, par un motif qu'il y a lieu d'adopter, le tribunal administratif a relevé que la demande présentée devant lui par la SOCIETE CDMR tendait à la condamnation de l'Etat à réparer les conséquences dommageables de l'annulation contentieuse de l'arrêté du préfet du 25 mai 2001 et présentait ainsi le caractère d'un recours de plein contentieux, de sorte que le moyen de légalité externe, tiré de l'insuffisance de motivation, invoqué à l'encontre de la décision du 6 septembre 2006 par laquelle le préfet de la Charente a rejeté la demande d'indemnisation préalable présentée par la SOCIETE CDMR était sans influence sur le sort de la demande d'indemnisation présentée par elle et devait, dès lors, être écarté comme inopérant ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
Considérant que la société requérante recherche la responsabilité sans faute de l'Etat en faisant valoir que l'inscription du site de Claix en ZNIEFF et la signature, le 15 avril 2004 par le préfet de la Charente, d'un arrêté portant protection du biotope constitué par les Chaumes et le Bois de Clérignac sur le territoire de la commune de Claix, la mettent dans l'impossibilité d'exercer toutes activités industrielles ou agricoles sur ce site, alors même qu'elle y bénéficie d'une autorisation de défrichement depuis un arrêté du 23 mai 2001 ; que, toutefois, d'une part, l'instauration d'une ZNIEFF ne constitue pas une servitude d'utilité publique et n'emporte en tout état de cause par elle-même aucune interdiction d'exercer des activités au titre de la législation sur les carrières, d'autre part, à la date du 15 avril 2004 à laquelle l'arrêté de protection du biotope est intervenu, la société requérante n'était plus, en raison de l'annulation contentieuse de l'autorisation d'extension de son exploitation, en droit d'exploiter une carrière dans le secteur des Chaumes et du Bois de Clérignac ; que la responsabilité sans faute de l'Etat ne saurait, par suite, être engagée ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
Considérant que l'illégalité dont était entachée l'autorisation délivrée par le préfet à la SOCIETE CDMR le 25 mai 2001 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer soutient que cette responsabilité doit cependant être atténuée en raison des insuffisances de l'étude d'impact jointe à la demande d'autorisation déposée par la SOCIETE CDMR, qui ne mentionnait pas l'existence d'une ZNIEFF ni l'inclusion d'une partie du site dans la zone ND du plan d'occupation des sols ; que, toutefois, l'illégalité de l'autorisation ne repose pas sur les insuffisances de l'étude d'impact, mais sur une appréciation erronée par l'administration des caractéristiques et de la valeur du site ; que le ministre ne démontre pas que les services chargés de l'instruction du dossier d'autorisation ont été induits en erreur par les insuffisances de l'étude d'impact, qu'il ne produit d'ailleurs même pas ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la SOCIETE CDMR aurait commis des fautes de nature à atténuer la responsabilité pour faute de l'Etat ;
Sur la réparation :
Considérant que, si la société requérante demande le remboursement des frais de constitution du dossier d'étude d'impact réalisé par l'ENCEM pour un montant de 15 451,87 euros, les premiers juges ont relevé à juste titre, par un motif qu'il y a lieu d'adopter, que la production d'une telle étude étant exigée par le code de l'environnement à l'appui de toute demande d'autorisation d'exploitation d'une carrière, indépendamment de la suite qui y est donnée par l'administration, les dépenses correspondantes, qui sont sans lien avec l'illégalité commise par le préfet de la Charente, ne peuvent donner lieu à indemnisation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de la production par la SOCIETE CDMR de sa déclaration datée du 6 juin 2001 faisant état du début de l'exploitation du site de Claix le 7 juin 2001 et de photographies aériennes, que cette société avait effectivement, à la date à laquelle est intervenu le jugement du tribunal administratif annulant ladite autorisation, commencé l'exploitation du site de Claix ; que les frais afférents à ce début d'exploitation n'auraient pas été engagés si la société n'avait pas obtenu l'autorisation d'exploiter ce site ; que ces frais ont été exposés en pure perte dès lors que le site est désormais inexploitable ; qu'il existe ainsi un lien de causalité directe entre l'engagement de ces dépenses et l'illégalité de l'autorisation délivrée par l'Etat ; que les dépenses résultant des travaux de broyage, débroussaillage et pose de clôtures s'élèvent, d'après le détail fourni par la société et qui n'est pas contredit, à la somme de 53 612 euros ; que les dépenses liées aux travaux de remise en état du site, qui ont notamment consisté en des travaux de purge des fronts résiduels et des parties argileuses, de terrassement, d'aménagement du bord de la fosse de réception du tout venant et du régalage de la terre végétale sur la partie décapée et non exploitée, s'élèvent, d'après les données suffisamment précises et non contestées fournies par la société, à la somme de 79 112 euros ; que, par suite, il y a lieu d'accueillir les prétentions de la société quant à ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 132 724 euros ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'annulation de l'arrêté du 25 mai 2001 par le tribunal administratif, la SOCIETE CDMR a dû cesser l'exploitation du site de Claix et, dans l'attente de pouvoir exploiter un nouveau site, a été contrainte de transférer la totalité de ses activités sur le site de Roullet-Saint-Estèphe dont les réserves disponibles étaient quasiment épuisées et qui était en train, conformément aux prescriptions de l'arrêté du 25 mai 2001, de faire l'objet de travaux de remise en état ; que les frais que la société avait déjà engagés pour la remise en état de ce site ont été exposés en pure perte, compte tenu de la nécessité de le réaménager en vue d'y assurer la reprise de l'ensemble de l'exploitation de l'entreprise ; que ces dépenses, exposées inutilement, s'élèvent, selon le détail fourni par la société et qui n'est pas contesté, à la somme de 255 104 euros ; qu'il y a donc lieu de condamner l'Etat à l'indemniser de ce montant ;
Considérant que l'autorisation d'exploiter le site de Claix dont bénéficiait la SOCIETE CDMR ayant été jugée illégale, la société doit être regardée comme n'ayant jamais obtenu un droit à exploiter ce site ; que, par suite, le bénéfice qu'elle aurait pu retirer de l'exploitation envisagée à Claix serait résulté d'une opération elle-même illégale ; que la société ne saurait, dès lors, en tout état de cause, obtenir une indemnité correspondant aux pertes d'exploitation qu'elle a subies du fait de l'impossibilité de procéder à l'exploitation du site de Claix ;
Considérant enfin que la société requérante, qui obtient, en vertu du présent arrêt, l'indemnisation des frais qu'elle a supportés pour mettre fin à l'exploitation du site de Claix ainsi que de ceux exposés pour remettre en exploitation le site de Roullet-Saint-Estèphe ne saurait obtenir, sans double emploi, l'indemnisation des frais qu'elle a engagés pour exploiter à partir de 2004 son nouveau site de Birac ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la SOCIETE CDMR est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ; que, toutefois, elle est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 387 828 euros en réparation de ses préjudices liés à l'illégalité de l'autorisation d'exploitation délivrée le 25 mai 2001 ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que la société CDMR a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 387 828 euros à compter de la réception par le préfet de sa réclamation préalable datée du 6 juillet 2006 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société requérante a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande devant le tribunal administratif, enregistrée le 4 novembre 2006 ; qu'à cette date, une année ne s'était pas écoulée depuis sa demande d'intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande à la date à laquelle ces intérêts étaient dus pour une année entière, soit un an après la réception de la demande préalable du 6 juillet 2006, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à la SOCIETE CDMR la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 6 novembre 2008 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE CDMR la somme de 387 828 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 6 juillet 2006, les intérêts échus à la date à laquelle ces intérêts étaient dus pour une année entière, soit un an après la réception de la demande préalable du 6 juillet 2006, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE CDMR la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE CDMR est rejeté.
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No 09BX00001