Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 19 mars 2008, ainsi que le mémoire rectificatif enregistré le 25 mars 2008, présentés pour M. Gérard X, demeurant ... ; M. X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 23 janvier 2008, par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de La Poste et de l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière ;
2°) de condamner La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice de carrière subi, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;
3°) de condamner La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 modifié notamment par le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991 ;
Vu le décret n° 64-953 du 11 septembre 1964 modifié notamment par le décret n° 90-1238 du 31 décembre 1990 ;
Vu le décret n° 72-503 du 23 juin 1972 modifié notamment par le décret n° 92-928 du 7 septembre 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 septembre 2009 :
- le rapport de Mme Boulard, président assesseur ;
- les observations de Me Lerat de la SELARL Horus Avocats, avocat de M. X ;
- les observations de Me Bellanger de la SCP Granrut avocats, avocat de La Poste ;
- les conclusions de Mme Dupuy, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;
Considérant que, par lettres du 24 novembre 2005, M. X, fonctionnaire de La Poste, membre du corps dit de reclassement des contrôleurs de La Poste, a vainement demandé au président de la Poste et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'indemnisation de préjudices qu'il estime avoir subis faute qu'aient été arrêtés des tableaux d'avancement lui permettant d'accéder au corps de contrôleur divisionnaire ; qu'il fait appel du jugement en date du 23 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire dirigée à la fois contre La Poste et l'Etat ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que les demandes préalables de M. X énoncent de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ces demandes, lesquelles étaient de nature à faire naître des décisions de rejet ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée à la requête et tirée des prétendues carences des demandes préalables doit être écartée ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le tribunal administratif, après avoir énoncé qu' en admettant même que des fautes aient été commises, le requérant ne pouvait être indemnisé qu'à raison de préjudices dont était établi le caractère personnel, réel et certain , a écarté les conclusions indemnitaires présentées devant lui en relevant que les préjudices invoqués ne présentaient pas un tel caractère ; que, ce faisant, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments de l'intéressé et n'avaient pas à se prononcer davantage sur les fautes invoquées, dès lors qu'ils retenaient l'absence de préjudice, n'ont entaché leur jugement ni d'insuffisance de motivation, ni d'omission à statuer ; qu'en jugeant qu'il appartenait au requérant d'établir la réalité du préjudice dont il demandait réparation, le tribunal n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Au fond :
En ce qui concerne l'exception de prescription :
Considérant que l'action en paiement d'indemnités, à raison des fautes commises notamment par La Poste qu'invoque le requérant, n'est pas au nombre de celles qui s'éteignent par la prescription quinquennale prévue à l'article 2277 du code civil ; que, par suite et en tout état de cause, l'exception de prescription qu'oppose La Poste sur le fondement de cet article ne peut être accueillie ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, qui comportent des dispositions spécifiques dans les conditions prévues aux alinéas ci-après. (...) ; qu'aux termes de l'article 31 de la même loi dans sa rédaction issue de la loi du 20 mai 2005 : La Poste peut employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels, dans le cadre des orientations fixées par le contrat de plan ; qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...) non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au troisième alinéa 2°) de l'article 19 ci-dessus, (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...). / Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984, il appartient aux autorités compétentes de veiller à ce que les procédures statutaires applicables aux personnels de La Poste permettent le maintien des voies de promotion interne malgré l'arrêt de titularisations consécutives à des recrutements externes ; que le législateur en permettant à La Poste, par la loi susmentionnée du 20 mai 2005, de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne ; qu'il appartient, en conséquence, avant comme après l'entrée en vigueur de cette loi du 20 mai 2005, aux autorités compétentes de prévoir des voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives à ces recrutements externes et ainsi de modifier les décrets portant statut des corps dits de reclassement ; qu'en l'absence de telles modifications, ces statuts, sur le fondement desquels il n'est donc pas possible d'établir de listes d'aptitude en l'absence de recrutements par concours, sont entachés d'illégalité ; qu'en n'édictant pas les dispositions de nature à faire cesser cette illégalité, l'Etat a commis une faute ; qu'en fondant son refus de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés sur ces dispositions statutaires illégales, et à supposer même qu'aucun emploi que les agents des corps précités avaient vocation à occuper n'ait été vacant en son sein, La Poste a elle-même commis une illégalité ; que dès lors que pèse sur elle l'obligation d'assurer la promotion interne de ses agents, elle ne peut se prévaloir, pour s'exonérer de sa responsabilité envers eux, de la carence règlementaire des autorités compétentes de l'Etat, en invoquant la cause étrangère , alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait d'elle-même et en vain sollicité ces mêmes autorités pour mettre fin à l'illégalité des statuts en cause ; que les fautes commises par l'Etat et La Poste sont de nature à entraîner leur responsabilité, mais n'ouvrent droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;
Considérant que, si M. X soutient qu'il remplissait dès 1998 les conditions d'âge, de grade et d'ancienneté pour accéder au corps des contrôleurs divisionnaires de La Poste et à celui des inspecteurs de La Poste, l'avancement au choix ne constitue jamais un droit pour un fonctionnaire ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que puisse être regardée comme établie une perte de chance sérieuse d'accéder à ces corps ; qu'en particulier, ni la circonstance qu'avant son reclassement la carrière de l'intéressé ait connu un déroulement normal, ni ses notations au titre des années 1990 à 1992, ni l'évaluation de sa manière de servir au titre des années postérieures, laquelle a connu une évolution contrastée, ne révèlent une telle perte de chance ; que n'est pas davantage établi le préjudice résultant de la différence entre les sommes que le requérant aurait dû, selon lui, percevoir, au titre d'un déroulement de carrière fictif et celles réellement perçues, ledit préjudice présentant un caractère purement éventuel ;
Considérant, toutefois, que M. X a subi un préjudice moral qui procède de l'atteinte à ses droits statutaires, sans que puissent lui être reprochés ses refus d'intégrer un corps de reclassification ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'estimant à la somme globale de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent arrêt ; que les fautes respectives de l'Etat et de La Poste ayant concouru à causer ce dommage dans son entier, le requérant est fondé à demander leur condamnation solidaire au versement de ladite somme ainsi que la réformation, dans cette mesure, du jugement attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge solidairement de l'Etat et de La Poste la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat et La Poste verseront solidairement à M. X une indemnité de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 janvier 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat et La Poste verseront solidairement à M. X la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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No 08BX00794