Vu la requête, enregistrée le 6 janvier 2003 au greffe de la Cour, présentée par Mme Aïcha X demeurant ... ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 novembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 26 mars 2001 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension de réversion ;
2°) d'annuler ladite décision ;
3°) à ce qu'il soit fait droit à sa demande de pension de réversion ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraites, modifié ;
Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;
Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 février 2006,
- le rapport de Mme Hardy ;
- et les conclusions de M. Chemin, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X interjette appel du jugement, en date du 20 novembre 2002, par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 26 mars 2001 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension de réversion ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, la requête présentée par Mme X comporte l'énoncé des moyens sur lesquels elle se fonde ; qu'elle est ainsi suffisamment motivée ;
Au fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'une pension de retraite proportionnelle a été concédée à M. Missoum X à l'issue de 15 ans, 9 mois et 8 jours de services militaires effectifs ; qu'après son décès, le 18 février 1996, son épouse, née Y, a demandé à bénéficier de la pension de réversion ; que, par une décision du 26 mars 2001, le ministre de la défense a rejeté cette demande, en application de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite, au motif que Mme Veuve X était réputée avoir perdu la nationalité française le 1er janvier 1963 à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction alors en vigueur : « Le droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité est suspendu : (…) Par les circonstances qui font perdre la qualité de Français durant la privation de cette qualité ; » ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : « Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention » ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes » ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite : « La pension est une allocation pécuniaire, personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants cause désignés par la loi, en rémunération des services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d'existence en rapport avec la dignité de sa fonction » ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 38 et L. 47 du même code, le conjoint survivant non séparé de corps d'un militaire peut, sous les réserves et dans les conditions prévues par ces articles, prétendre à 50 pour cent de la pension obtenue par lui ; que, dès lors, les pensions de réversion constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er, précité, du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer, ou à assurer à leurs ayants cause, des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité des fonctions passées de ces agents ; que, par suite, la perte collective de la nationalité française survenue pour les pensionnés ou leurs ayants cause à l'occasion de l'accession à l'indépendance d'Etats antérieurement rattachés à la France ne peut être regardée comme un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts du régime des pensions des agents publics, de nature à justifier une différence de traitement ; que les dispositions précitées de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite ne peuvent donc être regardées comme compatibles avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en tant qu'elles n'excluent pas, pour l'application de cet article, le cas d'une perte collective de nationalité à l'occasion d'un transfert de la souveraineté sur un territoire ; que, dès lors, cet article ne pouvait justifier le refus opposé par le ministre de la défense à la demande de pension de réversion présentée par Mme X ;
Considérant, toutefois, que le ministre de la défense soutient, en invoquant l'article 68 VI de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002, que Mme X ne remplit pas la condition d'antériorité du mariage posée par les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite en vigueur à la date de l'indépendance de l'Algérie ;
Considérant que les droits à pension de réversion s'apprécient au regard de la législation applicable à la date du décès du titulaire de la pension ; que l'article 68 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002, qui instaure un dispositif spécifique de revalorisation et de réversion des pensions, à compter du 1er janvier 2002, pour les personnes n'ayant pas leur résidence effective en France n'a pu avoir pour effet d'écarter cette règle pour l'examen des droits à pension de réversion d'un ayant-droit qui a présenté sa demande antérieurement à son entrée en vigueur ; que, dans ces conditions, les droits à pension de Mme X doivent être appréciés au regard des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite issue de la loi du 26 décembre 1964, applicable à la date du décès de M. Missoum X survenu le 18 février 1996 alors qu'il était titulaire d'une pension proportionnelle ;
Considérant qu'en vertu du dernier alinéa de l'article L.39 du code des pensions civiles et militaires de retraite, rendu applicable aux ayants cause des militaires par l'article L.47 du même code, nonobstant les conditions d'antériorité du mariage par rapport à la date de la cessation de l'activité du mari, prévues par le premier alinéa de l'article L.39 et par le deuxième alinéa de l'article L.47, « le droit à pension de veuve est reconnu : 1° si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; 2° ou si le mariage, antérieur ou postérieur à la cessation de l'activité, a duré au moins quatre années » ;
Considérant que, si le mariage de la requérante avec M. X a été contracté le 25 décembre 1950, soit postérieurement au 11 janvier 1947, date de cessation de l'activité de M. X, il résulte de l'instruction que ce mariage a duré plus de quatre ans ; que, dans ces conditions, Mme X remplit la condition d'antériorité du mariage ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que Mme X remplit l'ensemble des conditions prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite pour l'attribution d'une pension de réversion ; que Mme X, qui a présenté le 17 février 1997 une demande en vue d'obtenir le bénéfice d'une pension de réversion a, en application de l'article R.53 du code des pensions civiles et militaires de retraite, droit à la réversion de la pension de son époux à compter du lendemain de la date du décès de celui-ci, soit le 19 février 1996, et non, comme le soutient le ministre, à la date du 1er janvier 2002 ; qu'il y a lieu, dès lors, de prescrire au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de procéder à la liquidation de la pension de réversion à laquelle a droit Mme X dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 20 novembre 2002 et la décision du ministre de la défense en date du 26 mars 2001 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de procéder à la liquidation de la pension de réversion à laquelle a droit Mme X à compter du 19 février 1996 dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
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No 03BX00008