Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux respectivement le 4 décembre 1992 et le 4 février 1993, présentés pour M. Marcel X... demeurant Cx P 04 62680 - Paracuru Ceara (Brésil), par Me Pons-Beguin, avocat ;
M. X... demande à la cour :
1°) de réformer le jugement en date du 20 août 1992 par lequel le tribunal administratif de Montpellier n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant La Poste à lui verser la somme de 91.993,07 F avec intérêts à compter du 8 novembre 1989 en réparation du préjudice subi par suite de la faute lourde commise par le centre des chèques postaux de Montpellier ;
2°) de condamner La Poste à lui verser la somme de 696.557,41 F assortie des intérêts légaux, ainsi qu'une somme de 20.000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des postes et télécommunications ;
Vu la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 janvier 1994 :
- le rapport de M. de MALAFOSSE, conseiller ;
- les observations de Maître PONS-BEGUIN, avocat de M. X... ;
- les observations de Maître CANIZARES, avocat de la direction générale de La Poste ;
- et les conclusions de M. CIPRIANI, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R.193 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "toute partie doit être avertie, par une notification faite conformément aux articles R.139 ou R.140, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. Dans les deux cas, l'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment d'une lettre adressée à l'avocat de M. X... par le vice-président du tribunal administratif de Montpellier, que M. X... n'a pas été averti en temps utile du jour où son affaire a été appelée à l'audience ; que cette irrégularité entraîne l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Montpellier ;
Sur la responsabilité de La Poste :
Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L.108 du code des postes et télécommunications, "la responsabilité ... d'un faux virement résultant d'indications ... de virement inexactes ou incomplètes incombe au tireur du chèque" ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la responsabilité de l'exploitant public La Poste qui, en vertu de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, gère le service des chèques postaux depuis le 1er janvier 1991, soit engagée à l'égard du titulaire d'un compte courant postal dans le cas où le service des chèques postaux aurait commis une faute lourde ; qu'en vertu de l'article 47 de la loi précitée, la responsabilité de La Poste est engagée même lorsque la faute lourde a été commise avant le 1er janvier 1991, date à laquelle La Poste s'est substituée à l'Etat pour assurer la gestion du service des chèques postaux ;
Considérant que M. X... a, le 16 décembre 1985, demandé au centre de chèques postaux gestionnaire de son compte de procéder automatiquement, à partir du 1er janvier 1986, au virement mensuel, au profit de la banque hypothécaire européenne, d'une somme de 3.792 F représentant le montant de chaque mensualité de l'emprunt immobilier qu'il avait souscrit en 1979 auprès de cette banque ; que la demande de virement ainsi formulée, si elle mentionnait l'identité exacte et la bonne adresse de la banque, comportait un numéro inexact du compte bancaire à créditer ; que le centre des chèques postaux ne s'est pas borné à retranscrire dans son fichier informatique ce numéro, mais l'a complété pour qu'il corresponde à un numéro de compte-chèque postal, sans aucunement vérifier si le titulaire du compte correspondant au numéro ainsi obtenu était la banque concernée ; que 25 mensualités ont ainsi été portées au crédit du compte d'un certain M. Y..., jusqu'à ce que la banque hypothécaire européenne entame à l'encontre de M. X... une procédure de saisie immobilière pour non-paiement des mensualités de l'emprunt, ce qui a permis, après enquête, de déceler l'erreur qui avait abouti au versement de ces mensualités à une tierce personne ;
Considérant que la négligence dont a fait preuve, dans les circonstances sus-relatées, le service des chèques postaux est constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'exploitant public La Poste ; que, dans les circonstances de l'affaire, ni l'erreur commise par M. X... sur le numéro de compte à créditer ni la passivité dont ont fait preuve, pendant deux ans, la banque hypothécaire européenne et M. Y... ne sont de nature à atténuer la responsabilité de La Poste ; qu'il y a lieu, par suite, de déclarer La Poste entièrement responsable des conséquences dommageables de la faute lourde du service des chèques postaux ;
Sur le préjudice subi par M. X... :
Considérant que La Poste a remboursé à M. X... la somme de 94.800 F représentant les 25 mensualités portées à tort au crédit du compte de M. Y... ; que M. X..., qui ne conteste pas avoir perçu cette somme, demande réparation des autres préjudices causés par la faute du service des chèques postaux ; que ces préjudices sont principalement relatifs aux conséquences financières des poursuites engagées à son encontre par la banque hypothécaire européenne, de la résolution, à ses torts et griefs, du contrat de prêt qui le liait à cette banque, et de la nécessité dans laquelle il s'est trouvé, pour éviter la vente de sa maison hypothéquée en vertu dudit contrat, de racheter ledit prêt au moyen d'un emprunt contracté auprès du crédit agricole ; que le requérant fait état, en outre, des troubles dans ses conditions d'existence et du préjudice moral consécutifs à la faute du service des chèques postaux ;
Considérant, en premier lieu, que le requérant a dû payer à la banque hypothécaire européenne les pénalités prévues au contrat en cas de résolution aux torts de l'emprunteur ; que La Poste, sans d'ailleurs contester le lien de causalité directe entre ce préjudice et la faute du service des chèques postaux, soutient que M. X... n'a versé que 80.615,45 F de pénalités, le restant de la somme demandée à ce titre, soit 102.459,76 F, représentant les intérêts normalement dus à la banque ; qu'à défaut de contestation sérieuse du montant des pénalités tel que calculé par La Poste, il y a lieu d'évaluer à 80.615,45 F ce chef de préjudice ;
Considérant, en deuxième lieu, que les frais d'avocat et autres frais engendrés par les procédures engagées à l'encontre de M. X... par la banque hypothécaire européenne s'élèvent, selon les éléments fournis par le requérant et non sérieusement contestés, à la somme de 22.649,91 F ;
Considérant, en troisième lieu, que les frais notariaux exposés pour la souscription de l'emprunt auprès du crédit agricole ainsi que les frais de levée d'hypothèque, qui sont la conséquence de la faute du service des chèques postaux, s'élèvent à la somme non contestée de 12.271,34 F ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices résultant des frais de déplacements et de séjour en France que M. X..., qui résidait alors en Guyane, a exposés pour faire face à la situation difficile dans laquelle il s'est trouvé, ainsi que des troubles dans les conditions d'existence, en allouant à ce titre une somme de 30.000 F au requérant ;
Considérant, en cinquième lieu, que le requérant demande la condamnation de La Poste à lui verser la somme de 507.094 F représentant les intérêts qu'il devra verser au crédit agricole ; que, toutefois, il ne démontre pas si et, le cas échéant, dans quelle mesure, la somme dont s'agit est supérieure au montant des intérêts qu'il aurait dû normalement verser en exécution du contrat qui le liait à la banque hypothécaire européenne ; que cette demande doit donc être rejetée ;
Considérant, en sixième lieu, que si le requérant réclame une somme de 27.000 F au titre des pertes de loyers qu'il aurait subies par suite du départ du locataire de sa maison, il n'établit ni la réalité de ce préjudice ni son lien de cause à effet avec la faute du service des chèques postaux ; que cette demande doit donc être également rejetée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par M. X... s'élève à 145.536,70 F ; qu'il n'y a pas lieu de déduire de cette somme celle de 94.800 F versée par La Poste à M. X... avant que celui-ci saisisse le juge, dès lors que cette somme de 94.800 F répare un préjudice distinct de ceux qui font l'objet du présent arrêt ;
Sur les intérêts :
Considérant que la somme de 145.536,70 F portera intérêts à compter du 22 novembre 1989, date à laquelle La Poste a reçu la réclamation par laquelle M. X... lui demandait réparation de ses divers chefs de préjudice ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que M. X..., qui n'est pas la partie perdante, soit condamné à verser à La Poste les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner La Poste à verser à M. X... une somme de 6.000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 20 août 1992 est annulé.
Article 2 : L'exploitant public La Poste est condamné à verser à M. X... la somme de 145.536,70 F. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 1989.
Article 3 : La Poste versera à M. X... la somme de 6.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus de la demande de M. X... est rejeté.