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21/12/2023 | FRANCE | N°23VE02054

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 23VE02054


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet du Cher en tant qu'il a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans, d'enjoindre au préfet de renouveler son titre de séjour, à défaut,

d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa demande, de mettre à la charge de l'E...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet du Cher en tant qu'il a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans, d'enjoindre au préfet de renouveler son titre de séjour, à défaut, d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa demande, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2303127 du 25 juillet 2023 le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2023, M. A... D..., représenté par Me Traore, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est le père d'un enfant français à l'entretien et à l'éducation duquel il contribue ;

- la décision portant refus de séjour n'est pas motivée ; les infractions pénales mentionnées par le préfet ont un caractère ancien et ne sauraient suffire à motiver une telle décision, dès lors qu'elle est fondée sur l'existence d'une menace à l'ordre public ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 432-1 et L. 432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation : son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- elle méconnaît aussi les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant interdiction de retour pour une durée de trois ans méconnaît les dispositions du premier alinéa de l'article L. 612-6 et celles de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : les critères prévus par le législateur pour prendre et fixer la durée d'une mesure d'interdiction ne sont pas pris en compte par le préfet ; en outre, eu égard à sa situation familiale, il justifie de considérations humanitaires pouvant faire obstacle à l'édiction d'une telle mesure.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Albertini,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant congolais né le 22 mai 1993, est entré en France en 1999 où il a résidé sous couvert de plusieurs titres de séjour renouvelés entre le 22 juillet 2013 et le 27 janvier 2022. Il a sollicité le 25 janvier 2022 le renouvellement de titre de séjour en sa qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 23 mars 2023, le préfet du Cher a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office. M. D..., qui a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler ces décisions, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour

2. En premier lieu, la décision en litige comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constitue le fondement, et met le demandeur à même d'en contester utilement les motifs. En particulier, le préfet a exposé précisément les motifs l'ayant conduit à considérer que la présence de M. D... constituait une menace pour l'ordre public, justifiant que le renouvellement de son titre de séjour lui soit refusé sur le fondement de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en rappelant les antécédents judiciaires du demandeur et en indiquant que ce dernier a fait l'objet de quatre condamnations pénales dont la dernière en date du 6 mars 2017 à deux ans d'emprisonnement pour des faits d'agression sexuelle commise en réunion, condamnation qui présente, contrairement à ce qui est soutenu et eu égard à la gravité des faits, un caractère relativement récent à la date de la décision en cause. Dans ces circonstances, le moyen tiré du défaut de motivation n'est pas fondé et doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ". Aux termes de l'article L. 432-1 du même code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est, selon les termes non contestés de l'arrêté du 23 mars 2023, " connu du fichier du traitement des antécédents judiciaires " pour au moins vingt infractions commises entre le 21 juin 2010 et le 1er avril 2020, en particulier pour des faits de violence, de violence volontaire sur personne dépositaire de l'autorité publique, vol, recel de vol, détention, acquisition, offre, transport et importation de produits stupéfiants, conduite sans permis, et viol commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, et qu'il a été condamné le 6 mars 2017, ainsi qu'il a été rappelé au point 2 ci-dessus, à deux années d'emprisonnement pour agression sexuelle commise en réunion. Dans de telles circonstances, le préfet a pu à bon droit et sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, refuser de renouveler le titre de séjour de M. D....

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 alinéa 1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

6. M. D... se prévaut de l'ancienneté de son établissement sur le territoire français, où il réside depuis 1999, et de la présence en France de ses deux enfants de nationalité française nés en 2016 et 2018 et de plusieurs membres de sa famille résidant en situation régulière. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que. M. D... résiderait habituellement avec ses enfants ni avec leur mère. A cet égard, il ne démontre pas que sa présence en France revêtirait pour eux un caractère indispensable ou que son éloignement serait contraire à leur intérêt supérieur en se bornant à produire des captures d'écran faisant état de sept virements au profit de leur mère, réalisés entre les mois de juin et décembre 2022, deux photographies non datées le montrant en présence d'enfants et une attestation de M. B... par laquelle ce dernier se borne à indiquer que le requérant " contribue financièrement à l'éducation de ses enfants ", attestation au demeurant non précisément datée puisqu'elle mentionne seulement la date du " 17 avril ". Il ne démontre pas davantage que sa présence en France revêtirait un caractère indispensable pour Mme F... ni pour Mme C..., dont il produit la copie des titres de séjour, sans préciser la nature des liens qu'il entretient avec elles, ni encore que sa présence en France revêtirait un tel caractère pour son frère cadet de nationalité française, M. E... né en 1999 à Bourges. D'autre part, s'il établit résider en France depuis l'âge de 6 ans, il n'établit ni même n'allègue qu'il serait pour autant dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine.

7. Enfin, si M. D... se prévaut également de son insertion professionnelle, en produisant notamment des bulletins de paie, un contrat individuel de formation conclu avec l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes en 2013 et un contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel conclu avec la SARL Clama en 2015 et 2022, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'il démontrerait, au regard de la répétition et la gravité des infractions qui lui ont été reprochées, une volonté réelle d'insertion en France sur le plan professionnel. En outre, il est constant que M. D... a fait l'objet en 2017 d'une condamnation à une peine de deux ans d'emprisonnement pour des faits de violence sexuelle commise en réunion, et qu'il ne démontre pas une volonté particulière de se réinsérer à l'issue de cette condamnation dès lors qu'il ne conteste pas avoir été poursuivi postérieurement à sa libération conditionnelle pour des faits de violence le 1er juin 2019 et pour non-justification de son adresse par une personne enregistrée dans le fichier des délinquants sexuels le 1er avril 2020.

8. Par suite, la décision du préfet du Cher lui refusant un titre de séjour, qui constitue en tout état de cause une ingérence justifiée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D... eu égard à l'impérieux motif d'ordre public de prévention des infractions pénales, n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale. Eu égard à l'absence de preuve d'une participation effective de M. D... à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, cette décision n'a pas non plus méconnu l'intérêt supérieur de ces derniers, tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 3-1 précité de la convention internationale des droits de l'enfant.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire

9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; / 4 ° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; ". Selon l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur ".

10. En l'espèce, M. D... a séjourné régulièrement en France, sous couvert de plusieurs titres de séjour renouvelés entre le 22 juillet 2013 et le 27 janvier 2022, y compris après sa condamnation le 6 mars 2017 à une peine d'emprisonnement de deux ans. Si le requérant ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants et ainsi entrer dans le cadre du 5° de l'article L. 611-3, ni de dix ans de présence régulière au sens du 3° de cet article, eu égard à ses périodes de détentions qu'il convient de déduire de la période de séjour depuis plus de dix ans, il justifie, par les certificats de scolarité produits, puis par son passé pénal, résider habituellement en France depuis 1999, soit depuis l'âge de 6 ans. Il fait dès lors l'objet d'une protection au titre du 2° précité de cet article, quelle que soit la menace à l'ordre public qu'il représente, celle-ci ne pouvant être prise en compte que dans le cadre d'une procédure d'expulsion. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler l'obligation de quitter le territoire français sans délai prononcée à l'encontre de M. D... ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de destination de l'éloignement et la décision lui interdisant le retour sur le territoire français prononcée à son encontre le même jour.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision par laquelle il l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office et de la décision par laquelle il a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans.

S'agissant des conclusions à fin d'injonction :

12. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique uniquement qu'il soit enjoint au préfet du Cher de réexaminer la demande présentée par M. D... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente. Un tel réexamen devra avoir lieu dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2303127 du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus de la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions du 23 mars 2023 du préfet du Cher par lesquelles il a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans.

Article 2 : L'arrêté du 23 mars 2023 du préfet du cher est annulé en tant qu'il prononce à l'encontre de M. D... une obligation de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en cas d'exécution d'office et prononce à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Cher ou au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt et, dans l'attente, de lui remettre une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., au préfet du Cher et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le président-assesseur,

J.-E. PILVENLe président-rapporteur,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE02054 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE02054
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Paul-Louis ALBERTINI
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : SAS ITRA CONSULTING

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23ve02054 ?
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