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21/12/2023 | FRANCE | N°22PA02047

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 22PA02047


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 février 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.



Par un jugement n° 2205384 du 22 avril 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


> Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 4 mai 2022, M. C..., représenté par Me Arro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 février 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2205384 du 22 avril 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2022, M. C..., représenté par Me Arrom, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de cinq jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de fait ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une décision du 13 juin 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant bangladais, né le 28 octobre 2002 et entré en France, selon ses déclarations, en janvier 2017, a été interpellé le 22 février 2022, lors d'un contrôle d'identité, et placé en retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Par un arrêté du même jour, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai. M. C... fait appel du jugement du 22 avril 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si le requérant soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreurs de fait, notamment sur la demande d'asile qu'il aurait déposée, le nombre de certificats de scolarité produits et son lien de filiation paternelle, de tels moyens se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le premier juge et ne sont donc pas de nature à affecter la régularité de ce jugement. Ils doivent, par suite, être écartés.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui vise, notamment, le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que l'intéressé, qui est dépourvu de document de voyage, ne peut justifier être entré régulièrement en France, ni de la possession d'un titre de séjour pour se maintenir sur le territoire. Elle indique également qu'il " n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale ". Ainsi, cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, est suffisamment motivée, alors même qu'elle ne mentionne pas l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de M. C....

4. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

5. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, du procès-verbal d'audition du 22 février 2022 par les services de police, que M. C..., qui, au demeurant, ne pouvait ignorer qu'il se maintenait irrégulièrement sur le territoire français, a été interrogé, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire, sur son identité, son pays d'origine, les conditions de son entrée et de son séjour en France, sa situation professionnelle et familiale ainsi que la perspective d'un éloignement vers son pays d'origine. Ainsi, M. C... a été mis à même de présenter son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui auraient été susceptibles de justifier que l'autorité préfectorale s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Au surplus, M. C... ne justifie d'aucun élément propre à sa situation qu'il aurait été privé de faire valoir lors de son audition et qui, s'il avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision prise par le préfet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit à être entendu doit être écarté.

6. En troisième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision contestée, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. C..., avant de prendre à son encontre la mesure d'éloignement en litige. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée de ce chef cette mesure doit être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. M. C... se prévaut de la durée de son séjour en France depuis le mois de mai 2017, date à laquelle il y est rentré avec sa mère, Mme D..., et sa sœur, Mme E..., née le 2 janvier 2001, pour y rejoindre son père, entré en France en 2006 et qui s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire, valable du 13 janvier 2020 au 12 janvier 2021, puis une carte de séjour pluriannuelle, valable du 17 février 2021 au 16 février 2023. Il fait valoir également qu'il a été scolarisé depuis lors. Toutefois, l'intéressé s'est maintenu sur le territoire, après sa majorité, de façon irrégulière et n'a entrepris aucune démarche en vue de régulariser sa situation au regard du séjour. De plus, il ne justifie pas que sa mère et sa sœur seraient en possession d'un titre de séjour. En outre, si M. C... a été inscrit, pour les années scolaires 2017-2018 et 2018-2019, en classe de troisième UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) dans un lycée professionnel, puis, pour les années scolaires 2019-2020 et 2020-2021, en CAP " agent de sécurité " et, pour l'année scolaire 2021-2022, en CAP " hôtellerie-restauration ", il n'apporte aucune explication sérieuse, ni aucun élément suffisant sur la cohérence ou le sérieux de ses études, ni d'ailleurs sur son projet professionnel en France. Par ailleurs, l'intéressé, âgé de dix-neuf ans à la date de la décision contestée et qui ne livre aucune précision sur les liens de toute nature, notamment d'ordre amical, qu'il aurait noués sur le territoire, n'établit, ni n'allègue sérieusement aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie privée et familiale à l'étranger et, en particulier, au Bangladesh où résident deux de ses sœurs, ni qu'il serait dans l'impossibilité de s'y réinsérer. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conditions de son séjour en France, la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français ne peut être regardée comme ayant porté au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquelles cette mesure a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé, doit également être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

9. D'une part, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire, doit être écarté.

10. D'autre part, la décision attaquée, qui vise, notamment, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

11. Par ailleurs, il ne ressort ni de cette motivation, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de police aurait omis de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de M. C..., avant de fixer le pays de destination. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée de ce chef la décision en litige doit être écarté.

12. Enfin, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée ou le bien-fondé.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des frais de l'instance ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

L. d'ARGENLIEULa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02047


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02047
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : ARROM

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22pa02047 ?
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