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21/12/2023 | FRANCE | N°22BX01586

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 22BX01586


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 30 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé la décision du 15 février 2019 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Vienne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine autorisant son licenciement pour inaptitude physique, ainsi que la

décision de l'inspectrice du travail du 15 février 2019.



Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 30 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé la décision du 15 février 2019 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Vienne de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine autorisant son licenciement pour inaptitude physique, ainsi que la décision de l'inspectrice du travail du 15 février 2019.

Par un jugement n° 1902094 du 13 avril 2022, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions du 15 février 2019 et du 30 septembre 2019.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 juin 2022 et le 15 juin 2023, la société Commerciale Limousine, représentée par la SELARL Chagnaud, Chabaud, Lagrange, agissant par Me Chagnaud, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1902094 du 13 avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a satisfait à son obligation de reclassement en proposant à Mme A... un poste interne à l'entreprise, qui était conforme aux restrictions médicales émises par le médecin du travail auteur d'un avis déclarant l'intéressée physiquement inapte à occuper son ancien emploi, conformément aux articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail dans leur version en vigueur au 1er janvier 2017 ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les autres postes disponibles au sein des sociétés membres du groupe situées à Limoges ne pouvaient être proposées à Mme A... dès lors qu'ils ne correspondaient pas à ses compétences et n'étaient pas conformes aux préconisations émises par le médecin du travail dans son avis d'inaptitude ;

- dès lors que Mme A... a bien été destinataire d'une offre de reclassement, qu'elle a refusée, elle n'était pas tenue de rechercher un reclassement au sein des entreprises membres du groupe auquel elle appartient ; elle a cependant proposé à Mme A... un poste de responsable au magasin Intersport à Plaisir dans le département des Yvelinesque cette dernière a refusé ;

- elle a ainsi satisfait à son obligation de reclassement comme l'ont relevé à bon droit l'inspectrice du travail et la ministre du travail.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2022, Mme B... A..., représentée par l'AARPI Lexeloi, agissant par Me Senamaud, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Commerciale Limousine une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 23 septembre 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par ordonnance du 16 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 16 juin 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Chagnaud pour la société commerciale limousine et de Me Autef pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat de travail à durée indéterminée signé le 4 septembre 2000, Mme B... A... a été embauchée en qualité de réassortisseur par la société Commerciale Limousine, laquelle appartient au groupe Solig intervenant dans le secteur des magasins multi-commerce. A la suite d'un avenant à son contrat de travail, Mme A... a occupé, à compter du 1er avril 2013, un poste d'employée commerciale " libre-service / rayon à service " dans le magasin Monoprix de Limoges. Elle est également titulaire au sein de l'entreprise d'un mandat de représentante de section syndicale. Mme A..., qui a souffert d'un syndrome du canal carpien aux deux poignets, a été placée en arrêt de travail à compter du 17 novembre 2017. Le médecin du travail ayant déclaré Mme A... inapte à ses fonctions d'employée commerciale de libre-service le 19 novembre 2018, la société Commerciale Limousine a cherché à reclasser cette dernière sur un autre poste. Par un courrier du 13 décembre 2018, la société Commerciale Limousine a fait savoir à Mme A... que son reclassement étant impossible, elle serait contrainte de demander à l'inspection du travail l'autorisation de la licencier pour inaptitude physique. L'inspectrice du travail a accordé cette autorisation par décision du 15 février 2019 que la ministre du travail, saisi d'un recours hiérarchique par Mme A..., a confirmée le 30 septembre 2019. A la demande de Mme A..., le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions des 15 février 2019 et 30 septembre 2019 par un jugement rendu le 13 avril 2022 dont la société Commerciale Limousine relève appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 1226-12 du même code : " Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail (...) ".

3. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.

4. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis du 19 novembre 2018 émis en application de l'article L. 4624-4 du code du travail, le médecin du travail a déclaré Mme A... inapte à son poste d'employée commerciale libre-service, à la manutention répétée de charges de plus de six kilogrammes et aux gestes répétitifs des deux poignets. En revanche, Mme A... a été reconnue apte à occuper un poste en caisse automatique ou un poste administratif.

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1226-12 du code du travail que l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré physiquement inapte à son emploi est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un autre emploi, aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

6. Il ressort des pièces du dossier que la société Commerciale Limousine a, par courriel et courrier du 23 novembre 2018, demandé aux autres sociétés du groupe Solig si elles disposaient d'un emploi disponible pour reclasser Mme A... en leur précisant la nature des restrictions médicales émises à son sujet par le médecin du travail. Il lui a été répondu que les seuls emplois disponibles avaient été publiés sur la bourse à l'emploi du groupe. Si trois postes de conseillers de vente aux rayons jardin, matériaux et conforts étaient à pourvoir au magasin Leroy-Merlin de Limoges, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... aurait disposé des compétences lui permettant d'occuper de telles fonctions qui nécessitent des connaissances techniques dans les domaines considérés ainsi que la possession du certificat d'aptitude à la conduite en sécurité de chariots élévateurs. Quant au poste de chef de secteur du service client à pourvoir au même magasin, il implique des missions d'encadrement qui ne correspondent pas aux qualifications et à l'expérience professionnelle de Mme A.... Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a jugé que la société Commerciale Limousine avait manqué à son obligation de reclassement en ne proposant pas ces emplois à Mme A....

7. Par courrier du 30 novembre 2018, la société Commerciale Limousine a proposé à Mme A... d'occuper un poste " d'employée en caisse automatique " au magasin Monoprix de Limoges où elle exerçait ses précédentes fonctions. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche de poste jointe au courrier du 30 novembre 2018, que Mme A... serait chargée, " d'accueillir et conseiller, satisfaire et fidéliser les clients ; garantir la fiabilité de l'enregistrement et l'encaissement du chiffre d'affaires de l'entreprise ; développer le chiffre d'affaires du magasin et contribuer à la réalisation des objectifs ". Cette proposition était concrète, précise et personnalisée, la fiche de poste correspondante décrivant avec précision tant les tâches à accomplir que les compétences requises par leur exercice. Par ailleurs, cet emploi était conforme à l'avis médical du 19 novembre 2018 dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les tâches qu'il comportait auraient imposé à Mme A... d'assurer la manutention répétée de charges de plus de six kilogrammes et d'exécuter des gestes répétitifs avec ses deux poignets. A cet égard, par une lettre du 3 décembre 2018, Mme A... a informé la société de son refus d'accepter cette proposition en se bornant à relever qu'elle ne s'estimait pas capable " de tenir une telle concentration dans la durée sur ce poste " et qu'elle avait décidé d'orienter ses recherches vers d'autres fonctions offrant davantage de perspectives d'évolution.

8. Dès lors que la proposition de reclassement du 30 novembre 2018 avait pris en compte l'avis et les indications formulées par le médecin du travail dans son avis du 19 novembre 2018, la société Commerciale Limousine devait être regardée comme ayant satisfait son obligation de reclassement conformément aux dispositions de l'article L. 1226-12 du code du travail. Ainsi, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société n'était pas tenue de rechercher, en outre, si le reclassement de Mme A... était possible par la mise en œuvre de mesures telles que des mutations ou transformations de postes de travail ou l'aménagement du temps de travail. Enfin, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la société Commerciale Limousine de consulter le médecin du travail sur la proposition de reclassement adressée au salarié.

9. Au demeurant, alors qu'elle n'était pas tenue de le faire compte tenu du refus de Mme A... d'accepter la proposition du 30 novembre 2018, la société Commerciale Limousine a proposé à cette dernière un emploi de responsable administratif au magasin d'Intersport de la commune de Plaisir dans le département des Yvelines au cours d'un échange téléphonique du 3 décembre 2018. Mme A... a refusé cette proposition au motif qu'elle ne souhaitait pas quitter le département de la Haute-Vienne.

10. Il résulte de tout ce qui précède, en l'absence d'autres moyens qu'il appartiendrait à la Cour d'examiner dans le cadre de l'effet dévolutif, que la société Commerciale Limousine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions en litige des 15 février et 30 septembre 2019. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande présentée en première instance par Mme A... doit être rejetée.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par Mme A... tendant à ce que la société Commerciale Limousine, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de Mme A... la somme demandée par la société au titre de ces mêmes frais.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1902094 du 13 avril 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de Mme A... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Commerciale Limousine, à Mme B... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX01586 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01586
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : AUTEF-FETIS & SENAMAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22bx01586 ?
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