Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 28 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) et M. A... Baudinat demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 1er juillet 2025 portant attribution des sièges de conseillers prud'hommes pour le mandat prud'homal 2026-2029 et de l'arrêté du 3 juillet 2025 fixant le calendrier de dépôt des candidatures à la fonction de conseiller prud'homme pour le mandat prud'homal 2026-2029, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur leur légalité ;
2°) d'enjoindre à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, de réexaminer l'audience de la FEPEM et d'en tirer les conséquences quant à l'attribution des sièges dans les conseils de prud'hommes pour le mandat 2026-2029 ;
3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles de prévoir un nouveau calendrier de dépôt des candidatures à la fonction de conseiller prud'hommes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'atteinte grave et immédiate que les arrêtés attaqués portent, en premier lieu, aux intérêts défendus par la FEPEM en ce qu'ils privent les particuliers employeurs de toute représentation dans les litiges prud'homaux, en deuxième lieu, à l'intérêt de M. Baudinat en ce qu'il va perdre sa fonction de conseiller prud'hommes qu'il exerce depuis sept ans et, en dernier lieu, à l'intérêt public dès lors qu'ils privent l'intégralité des conseils de prud'hommes d'une représentation patronale du secteur du particulier employeur ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés contestés ;
- ils sont entachés d'illégalité dès lors que les membres du Conseil supérieur de la prud'homie n'ont pas disposé d'un délai suffisant pour prendre utilement connaissance des documents nécessaires à l'exercice de leur mission de consultation sur le projet de texte, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 1431-3 du code du travail ;
- l'arrêté du 1er juillet 2025 est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation et méconnaît la liberté syndicale, dès lors qu'il retient qu'en l'absence de cotisation annuelle, les adhésions de la FEPEM ne peuvent être prises en compte dans l'attribution des sièges de conseiller de prud'homme, alors même que cette modalité d'adhésion n'avait pas été remise en cause pour les précédents mandats.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 4 août et 7 août 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 5 août et 7 août 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 6 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) et M. Baudinat demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2152-6 du code du travail. Ils soutiennent que ces dispositions, qui sont applicables au litige, méconnaissent, dans l'interprétation qu'en retient l'administration, la liberté syndicale, proclamée par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Par un mémoire, enregistré le 7 août 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier, que la question soulevée n'est pas sérieuse.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération des particuliers employeurs de France et M. Baudinat et, d'autre part, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 6 août 2025, à 15 heures :
- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FEPEM ;
- les représentantes de la FEPEM ;
- les représentants du ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles ;
- les représentants du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 7 août à 15 heures puis au 8 août à 18 heures ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 8 août 2025, présenté par la FEPEM et M. Baudinat, tendant au maintien de leurs conclusions.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- la convention n° 87 de l'organisation internationale du travail ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) et M. Baudinat demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des arrêtés du 1er et du 3 juillet 2025 par lesquels les ministres chargés de la justice et du travail ont attribué les sièges des conseillers prud'hommes pour le mandat prud'hommal 2026-2029 aux différentes organisations syndicales et professionnelles en fonction de leur audience respective et fixé le calendrier de dépôt des candidatures pour ces fonctions.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement et objectivement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
3. Aux termes de l'article L. 1441-1 du code du travail : " Les conseillers prud'hommes sont nommés conjointement par le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre chargé du travail tous les quatre ans par conseil de prud'hommes, collège et section, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles ". L'article L. 1441-2 du même code dispose que ces conseillers " sont nommés durant l'année suivant chaque cycle de mesure (...) de l'audience patronale définie au 6° de l'article L. 2151-1 pour le collège des employeurs ", le 6° de l'article L. 2151-1 de ce code précisant que l'audience " se mesure en fonction du nombre d'entreprises volontairement adhérentes ou de leurs salariés soumis au régime français de sécurité sociale ". Il résulte de l'article L. 1441-4 de ce même code que " [p]our l'appréciation de l'audience patronale, sont pris en compte, chacun à hauteur de 50 %, le nombre des entreprises qui emploient au moins un salarié adhérentes à des organisations professionnelles d'employeurs et le nombre de salariés employés par ces mêmes entreprises. " L'article L. 2152-6 de ce même code précise en outre que, pour apprécier l'audience des organisations professionnelles, l'administration " s'assure notamment que le montant des cotisations versées par les entreprises et, le cas échéant, les organisations professionnelles adhérentes est de nature à établir la réalité de leur adhésion ". L'article R. 2152-1 prévoit que " sont considérées comme adhérentes les entreprises (...) dès lors qu'elles versent une cotisation, conformément aux règles fixées par une délibération de l'organe compétent de l'organisation professionnelle d'employeurs à laquelle elles adhèrent (...) ", les articles R. 2152-3 et R. 2152-3 précisant, respectivement, que " Le nombre d'entreprises adhérentes est apprécié au 31 décembre de l'année précédant l'année de la déclaration de candidature " et que " Pour être pris en compte, l'adhérent doit avoir payé au 31 mars de l'année de la déclaration de candidature (...) l'intégralité des cotisations dues au titre de l'année précédente. "
4. Pour soutenir que ces arrêtés portent une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs intérêts, à ceux que défend la FEPEM et à l'intérêt public qu'ils invoquent, les requérants font valoir que, alors que 342 sièges de conseillers prud'hommes avaient été attribués à la FEPEM pour le mandat 2022-2025 et 352 pour le mandat 2018-2021, soit, à chaque fois, plus de 4 % des 7.256 sièges du collège employeurs, l'arrêté du 1er juillet 2025 n'attribue aucun siège à cette organisation, bien que les dispositions applicables, citées au point précédent, n'aient pas été modifiées depuis 2016 et que les effectifs de la fédération n'aient pas été substantiellement modifiés. L'arrêté du 1er juillet 2025 prive ainsi cette organisation professionnelle de la possibilité de présenter des candidats aux fonctions de conseiller prud'hommes pour le mandat 2026-2029 et interdit à M. Baudinat, conseiller prud'hommes en exercice, d'être reconduit pour un nouveau mandat. Dans la mesure où aucune autre organisation assurant la représentation des particuliers employeurs ne s'est vue attribuer de sièges, il résulte de l'arrêté du 1er juillet 2025 que cette catégorie d'employeurs n'aura aucune représentation propre dans les conseils de prud'hommes pour le mandat 2026-2029, ce qui porte atteinte à leurs intérêts, dont la FEPEM assure la défense, mais aussi à l'intérêt public qui s'attache à une représentation équitable, dans les conseils des prud'hommes, des différentes catégories d'employeurs. En outre, compte tenu de la fixation au 15 septembre 2025, par l'arrêté du 3 juillet 2025, de la date limite pour présenter des candidatures pour le mandat 2026-2029 et de l'entrée en fonction des nouveaux conseillers à compter du mois de janvier 2026, une éventuelle annulation de l'arrêté du 1er juillet 2025 resterait sans effet sur la composition des conseils de prud'hommes pour le mandat 2026-2029, sauf à ce que les nominations individuelles aient été par ailleurs attaquées, ce qui risquerait d'encombrer les tribunaux compétents et de créer un vide juridique ou tout au moins une confusion préjudiciable au bon fonctionnement des prud'hommes alors que l'administration peut encore, en cas de suspension des arrêtés en cause, prendre des mesures qui éviteraient que ne survienne de tels dysfonctionnement tout en assurant une représentation équitable des particuliers employeurs dans les conseils de prud'hommes pour le mandat 2026-2029.
5. En défense, l'administration fait valoir que les atteintes invoquées par les requérants ne sont pas suffisamment graves et immédiates au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et que, à l'inverse, l'exécution sans délai des arrêtés en cause répond à l'intérêt public qui s'attache au bon fonctionnement de la justice prud'homale, la procédure de nomination des quelques 14.512 conseillers prud'hommes avant le début de leur mandat en janvier 2026 étant particulièrement lourde et complexe. Une suspension de l'exécution des arrêtés priverait dans l'immédiat de base légale la procédure en cours de désignation des conseillers prud'hommes pour 2026-2029 et rendrait en tout état de cause impossible la désignation des nouveaux conseillers avant la fin du mandat des conseillers actuellement en fonction. L'administration indique en outre, notamment lors de l'audience publique, que, en pratique, lors des précédentes campagnes de nomination pour les mandats 2018-2021 et 2022-2025, plusieurs centaines de sièges n'ont, à chaque fois, pas pu être immédiatement pourvues, faute que toutes les organisations s'étant vues attribuer des sièges aient été en mesure de présenter en temps utile des candidats en nombre suffisant et faute que tous les candidats présentés aient rempli les conditions exigées ; au cours des précédents mandats, jusqu'à six campagnes successives de nominations ont ainsi été organisées pour pourvoir aux vacances résultant soit de l'insuffisance du nombre des candidatures recevable lors de la procédure initiale de nomination soit de vacances survenues en cours de mandat. En l'occurrence, une seconde tranche de nomination est ainsi d'ores et déjà envisagée pour le mois de février 2026 afin de pourvoir à la vacance attendue de plusieurs centaines de sièges. Il en résulte que, en pratique, en cas d'annulation de l'arrêté, il sera possible d'attribuer des sièges à la FEPEM sans avoir nécessairement à remettre en cause le mandat de conseillers déjà nommés.
6. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les arrêtés en cause portent une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des requérants et à ceux que la FEPEM entend défendre ni à l'intérêt public qui s'attacherait à la représentation des employeurs individuels dans les conseils de prud'hommes pour le mandat 2026-2029, compte tenu notamment des éléments apportés à l'audience par l'administration tels qu'ils viennent d'être rappelés s'agissant de la possibilité d'attribuer des sièges à la FEPEM en cas d'annulation de l'arrêté en se fondant sur les postes susceptibles d'être vacants.
7. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 23-3 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009, avec celles du livre V du code de justice administrative que si une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur les conclusions à fin de suspension qui lui sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code, ce juge peut, en toute hypothèse, y compris lorsqu'une telle question est soulevée devant lui, rejeter la requête pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la transmission au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ni sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des arrêtés en cause, que la requête présentée par la FEPEM et M. Baudinat doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de la Fédération des particuliers employeurs de France et M. Baudinat est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des particuliers employeurs de France et à M. A... Baudinat ainsi qu'au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Fait à Paris, le 13 août 2025
Signé : Fabien Raynaud