Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) DC a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 janvier 2020 par lequel le maire de Courchevel (Savoie) a retiré le permis de construire valant démolition qui lui a été accordé le 20 août 2019 et refusé le permis de construire sollicité.
Par un jugement n° 2001327 du 24 juin 2024, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir admis l'intervention de la société civile immobilière (SCI) Cocimes, a fait droit à sa demande.
Par une ordonnance n° 24LY02147 du 23 septembre 2024, enregistrée le 24 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 25 juillet 2024 au greffe de cette cour, présenté par la société Cocimes. Par ce pourvoi et deux mémoires, enregistrés les 4 décembre 2024 et 25 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cocimes demande :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de la société DC ;
3°) de mettre à la charge de la société DC la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de la société Cocimes, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la commune de Courchevel et à la SCP Spinosi, avocat de la société DC ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 2 juillet 2019, la société civile immobilière (SCI) DC a déposé une demande de permis de construire valant démolition d'un chalet, dont elle est l'un des copropriétaires. Le 20 août 2019, le maire de Courchevel (Savoie) a délivré le permis sollicité. Par un courrier du 1er octobre 2019, la société civile immobilière (SCI) Cocimes, propriétaire d'appartements représentant 40% des tantièmes de ce chalet, a formé un recours gracieux à l'encontre de ce permis de construire. Par un courrier du 2 décembre 2019 réceptionné le 9 décembre 2019, la commune de Courchevel a informé le pétitionnaire de son intention de retirer le permis de construire pour fraude et l'a invité à formuler des observations. Par un arrêté du 15 janvier 2020, le maire de Courchevel a retiré le permis de construire au motif que la société DC avait intentionnellement dissimulé qu'elle ne disposait pas de l'autorisation des autres copropriétaires et rejeté la demande de permis. La société Cocimes se pourvoit en cassation contre le jugement du 24 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir admis son intervention en défense, a annulé cet arrêté.
Sur les conclusions présentées par la commune de Courchevel :
2. Le pourvoi " provoqué " présenté par la commune de Courchevel doit être regardé comme un pourvoi principal. Enregistré le 2 juin 2025, au-delà du délai de deux mois suivant la notification du jugement, prévu par l'article R. 821-2 du code de justice administrative, il est irrecevable car tardif.
Sur le pourvoi de la société Cocimes :
3. Pour annuler l'arrêté du maire de Courchevel du 15 janvier 2020 retirant pour fraude le permis de construire valant démolition accordé à la société DC le 20 août 2019, le tribunal administratif de Grenoble a d'une part, accueilli le moyen tiré de ce que le principe du caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu dès lors qu'il n'avait pas été fait droit à la demande du pétitionnaire de présenter des observations orales et, d'autre part, estimé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'en attestant remplir les conditions définies à l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, la société DC ait procédé à une manœuvre de nature à induire l'administration en erreur et que le permis de construire aurait ainsi été obtenu par fraude, dès lors que le défaut d'autorisation des travaux par l'assemblée générale des copropriétaires n'est pas susceptible de caractériser une fraude visant à tromper l'administration sur la qualité invoquée par le pétitionnaire à l'appui de sa demande de permis de construire, même si celui-ci a pour objet la démolition de l'existant, ajoutant qu'était sans incidence la circonstance que la cour d'appel de Chambéry ait postérieurement à la décision contestée condamné in solidum M. A... et la société DC pour obtention frauduleuse de document administratif.
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d'indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation pour cause d'utilité publique ". Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 431-5 du même code : " La demande comporte également l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ".
5. Il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus. Les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur. Ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Toutefois, lorsque l'autorité saisie d'une demande de permis de construire vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif. Enfin, si postérieurement à la délivrance du permis de construire, l'administration a connaissance de nouveaux éléments établissant l'existence d'une fraude à la date de sa décision, elle peut légalement procéder à son retrait sans condition de délai. La fraude est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire a eu l'intention de tromper l'administration sur sa qualité pour présenter la demande d'autorisation d'urbanisme.
6. D'autre part, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision de retrait contestée est motivée par le fait qu'en dissimulant qu'elle n'avait pas obtenu l'autorisation des autres copropriétaires pour des travaux qui affectaient leurs parties privatives, la société DC ne pouvait ignorer qu'à la date du dépôt de sa demande, elle ne disposait pas d'une des qualités prévues à l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme. Il ressort par ailleurs des constatations établies par l'arrêt du 4 octobre 2023 de la cour d'appel de Chambéry, condamnant la société DC et M. A..., son gérant, pour obtention frauduleuse de document administratif, qu'en signant la demande de permis de construire et en attestant avoir qualité pour demander l'autorisation d'urbanisme, ils ont sciemment prétendu avoir l'autorisation de l'ensemble des propriétaires afin d'obtenir de façon indue le permis de construire sollicité.
8. Il résulte de ce qui précède qu'en écartant la fraude, alors qu'il résultait des faits de l'espèce, établis par le juge pénal, qu'était caractérisée la volonté de la société DC d'induire en erreur l'administration, s'agissant de l'accord des propriétaires concernés, pour leurs parties privatives, par les travaux, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
9. Toutefois, en second lieu, aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". Selon l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Les dispositions précitées font également obligation à l'autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d'audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu'elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n'est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu'elle peut être écartée.
10. Le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le titulaire du permis de construire que l'autorité administrative entend rapporter. Eu égard à la nature et aux effets d'un tel retrait, l'autorité administrative est tenue, y compris en cas de fraude, de mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable à cette décision de retrait.
11. Il s'ensuit que c'est sans erreur de droit ni dénaturation que le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure, au motif que la commune n'a pas fait droit à la demande de présentation d'observations orales formulée par la société DC, en sus de ses observations écrites, dans le cadre de la procédure de retrait pour fraude du permis de construire qui lui a été délivré. Ce motif justifie à lui seul qu'il soit fait droit aux conclusions présentées devant le tribunal administratif par la société DC. Il suit de là que la société Cocimes n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Cocimes la somme que la société DC demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société DC, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Courchevel est rejeté.
Article 2 : Le pourvoi de la société Cocimes est rejeté.
Article 3 : Les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Cocimes et à la commune de Courchevel.
Copie en sera adressée et à la société civile immobilière DC.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 juillet 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Jérôme Goldenberg, conseillers d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 31 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle