Vu la procédure suivante :
Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) Duchene et le syndicat Coordination rurale-Union nationale ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° DDETSPP-PV-PSA-20250709-09 du 9 juillet 2025 de la préfète de la Savoie portant déclaration d'infection de dermatose nodulaire contagieuse bovine en ce qu'il ordonne l'abattage total du cheptel bovins appartenant au GAEC Duchene et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Savoie de suspendre tout abattage de bovins au sein de l'exploitation du GAEC Duchene sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2507459 du 19 juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur requête.
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, GAEC Duchene et autre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 19 juillet 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté de la préfète de la Savoie du 9 juillet 2025 ordonnant l'abattage total du cheptel bovin, propriété du GAEC Duchene à la suite du test positif de deux bovins les 5 et 7 juillet 2025 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Savoie de suspendre tout abattage de bovins au sein de l'exploitation du GAEC Duchene sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété du GAEC Duchene ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a retenu que l'abattage de l'ensemble des animaux infectés et de ceux ayant été exposés à l'infection s'imposait pour limiter les risques de propagation de la maladie dès lors qu'il était possible de prendre d'autres mesures pour garantir l'absence de propagation de cette maladie ;
- c'est à tort que le juge des référés a retenu que des individus du troupeau pourraient être des porteurs sains potentiellement contaminants dès lors que, d'une part, aucune preuve en ce sens n'était rapportée et, d'autre part, la réalisation de tests sur le cheptel mis en quarantaine démontre l'absence de contamination, permettant ainsi la vaccination des bovins ;
- l'arrêté contesté est disproportionné dès lors qu'il ne se fonde pas sur des éléments circonstanciés suffisants justifiant une mesure de police administrative générale et absolue ;
- c'est à tort que le juge des référés a retenu que l'arrêté attaqué n'était pas de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété du GAEC Duchene dès lors que, d'une part, il est entaché d'un défaut de motivation et d'incompétence et, d'autre part, il n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2025, la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête. Elle soutient, d'une part, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, en ce que la quasi-totalité des animaux concernés par l'arrêté litigieux ont été abattus et, d'autre part, que les moyens soulevés ne sont pas fondés, en ce que l'ordre d'abattage des animaux n'est pas illégal car il se conforme aux prescriptions internes et européennes et, en ce que l'atteinte au droit de propriété n'est pas grave car il ne reste plus que 6 bovins concernés par l'arrêté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) 2016/249 du Parlement et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le règlement d'exécution (UE) 2018/1882 de la Commission du 3 décembre 2018 ;
- le règlement (UE) 2020/687 de la Commission du 17 décembre 2019 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 16 juillet 2025 fixant les mesures de surveillance, de prévention et de lutte relatives à la lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse sur le territoire métropolitain ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le GAEC Duchene et le syndicat Coordination rurale-Union nationale et, d'autre part, la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 28 juillet 2025, à 16 heures 30 :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du GAEC Duchene et du syndicat Coordination rurale-Union nationale ;
- les représentants de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la découverte, dans le cheptel du GAEC Duchene, de bovins contaminés par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), la préfète de la Savoie a pris, le 9 juillet 2025, un arrêté portant déclaration d'infection de DNC et ordonnant l'abattage total des bovins relevant de l'unité épidémiologique, soit 94 animaux, composant environ la moitié du cheptel du GAEC. Le GAEC Duchene et le syndicat Coordination rurale-Union nationale ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté et d'enjoindre à la préfète de la Savoie de suspendre tout abattage de bovins au sein de l'exploitation du GAEC Duchene. Ils relèvent appel de l'ordonnance du 19 juillet 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) 2016/249 du Parlement et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale : " 1. Les dispositions particulières en matière de prévention et de lutte contre les maladies, prévues par le présent règlement, s'appliquent : / b) les maladies répertoriées figurant dans la liste de l'annexe II. ". L'annexe II à ce règlement, intitulée " liste des maladies ", vise la dermatose nodulaire contagieuse. Aux termes de l'article 9, paragraphe 1, de ce même règlement : " 1. Les dispositions en matière de prévention et de lutte s'appliquent aux maladies répertoriées comme indiqué ci-après : / a) en ce qui concerne les maladies répertoriées qui ne sont habituellement pas présentes dans l'Union et à l'égard desquelles des mesures d'éradication immédiates doivent être prises aussitôt qu'elles sont détectées, les dispositions suivantes s'appliquent, le cas échéant : / (...) / ii) les mesures de lutte contre les maladies prévues dans la partie III, titre II, chapitre 1 (articles 53 à 71) (...) ". Selon l'article 61 de ce règlement : " 1. En cas de foyer d'une maladie répertoriée visée à l'article 9, paragraphe 1, point a), chez des animaux détenus dans un établissement, une entreprise du secteur alimentaire ou du secteur de l'alimentation animale, un établissement de sous-produits animaux ou tout autre site visé à l'article 60, point a), l'autorité compétente prend immédiatement une ou plusieurs des mesures de lutte suivantes, sous réserve des exigences nationales liées à l'accès aux résidences privées, afin d'empêcher la poursuite de la propagation de cette maladie répertoriée : / (...) / b) la mise à mort et l'élimination ou l'abattage des animaux susceptibles d'être contaminés ou de contribuer à la propagation de la maladie répertoriée (...) ". La dermatose nodulaire contagieuse figure, en application du règlement d'exécution (UE) 2018/1882 de la Commission du 3 décembre 2018 sur l'application de certaines dispositions en matière de prévention et de lutte contre les maladies à des catégories de maladies répertoriées et établissant une liste des espèces et des groupes d'espèces qui présentent un risque considérable du point de vue de la propagation de ces maladies répertoriées, au titre des maladies " de catégorie A ", c'est-à-dire des maladies répertoriées " qui ne sont pas habituellement présentes dans l'Union et à l'égard desquelles des mesures d'éradication immédiates doivent être prises aussitôt qu'elles sont détectées, telle que visée à l'article 9, paragraphe 1, point a), du règlement (UE) 2016/429 ".
4. Aux termes de l'article 12 paragraphe 1 du règlement (UE) 2020/687 de la Commission du 17 décembre 2019 complétant le règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les règles relatives à la prévention de certaines maladies répertoriées et à la lutte contre celles-ci : " À la suite de la confirmation officielle de l'apparition d'un foyer d'une maladie de catégorie A dans un établissement conformément à l'article 11, l'autorité compétente ordonne, en plus des mesures prévues à l'article 7, l'application immédiate des mesures de lutte contre la maladie suivantes sous la supervision de vétérinaires officiels : / a) tous les animaux des espèces répertoriées détenus dans l'établissement touché sont mis à mort dès que possible sur place, dans l'établissement, d'une manière qui permette d'empêcher tout risque de propagation de l'agent pathogène de la maladie de catégorie A concernée pendant et après la mise à mort (...) ". Le paragraphe 4 du même article dispose que : " Par dérogation au paragraphe 1, point a), l'autorité compétente peut, après réalisation d'une évaluation des risques et compte tenu de la possibilité d'appliquer d'autres mesures d'atténuation des risques, décider : / (...) / b) de reporter la mise à mort d'animaux détenus des espèces répertoriées, à la condition que ces animaux soient soumis à une vaccination d'urgence telle que prévue à l'article 69 du règlement (UE) 2016/429. ".
5. Aux termes de l'article L. 221-1 du code rural et de la pêche maritime : " Pour l'application des dispositions du présent titre, les maladies animales réglementées comprennent : / 1° Les maladies répertoriées mentionnées au paragraphe 1 de l'article 5 du règlement (UE) 2016/429 du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (...) ". Aux termes de l'article L. 223-8 du même code : " Après la constatation d'une maladie mentionnée à l'article L. 221-1, le préfet statue sur les mesures à mettre en exécution dans le cas particulier. / Il prend, s'il est nécessaire, un arrêté portant déclaration d'infection remplaçant éventuellement un arrêté de mise sous surveillance. / Cette déclaration peut entraîner, dans le périmètre qu'elle détermine, sans préjudice des mesures que requiert l'application du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et des actes délégués et d'exécution qu'il prévoit, l'application des mesures suivantes : / (...) / 8° L'abattage des animaux malades ou contaminés ou des animaux ayant été exposés à la contagion, ainsi que des animaux suspects d'être infectés ou en lien avec des animaux infectés dans les conditions prévues par l'article L. 223-6 ; / (...) / Le ministre chargé de l'agriculture détermine par arrêté celles de ces mesures qui sont applicables aux maladies mentionnées à l'article L. 221-1 ". L'arrêté de la ministre de l'agriculture du 16 juillet 2025 fixant les mesures de surveillance, de prévention et de lutte relatives à la lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse sur le territoire métropolitain prescrit, dans son article 8, que : " Lorsqu'un établissement est reconnu infecté par la DNC, le préfet prend immédiatement un arrêté portant déclaration d'infection (APDI). L'APDI comporte les mesures prescrites par l'article 12 du règlement (UE) 2020/687 susvisé ; / 3° L'APDI peut être levé au plus tôt 28 jours après l'abattage des animaux et la fin des opérations préliminaires de nettoyage et désinfection ".
6. Il résulte de l'instruction que les services vétérinaires ont, le 22 juillet 2025, et alors qu'un appel contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n'avait pas encore été formé devant le Conseil d'Etat, procédé à l'abattage de tous les bovins concernés par l'arrêté attaqué, à l'exception de six génisses. La procédure d'appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat ne porte donc plus que sur l'abattage de ces six animaux.
7. Il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les règles européennes comme nationales imposent, en cas de cheptel atteint par la DNC, l'abattage des animaux malades ou contaminés ou des animaux ayant été exposés à la contagion, ainsi que des animaux suspects d'être infectés ou en lien avec des animaux infectés. Si les requérants ne contestent pas le fait que la DNC a été diagnostiquée au sein du cheptel du GAEC Duchene, ils considèrent que l'article 4 de l'article 12 du règlement 2020/687 cité au point 4 permettrait de préserver les six génisses exposées à la maladie tant qu'elles ne montrent pas de symptômes, moyennant une vaccination d'urgence.
8. Toutefois, les textes applicables posent pour principe l'abattage des animaux contaminés ou exposés à la DNC, la dérogation prévue au paragraphe 4 de l'article 12 ne prévoyant qu'une possibilité de report de cet abattage et uniquement " après réalisation d'une évaluation des risques et compte tenu de la possibilité d'appliquer d'autres mesures d'atténuation des risques ". Or, d'une part, cette possibilité de report n'a pas été mise en œuvre par les autorités compétentes en l'espèce et, d'autre part, en tout état de cause, il résulte de l'instruction et des échanges qui ont eu lieu lors de l'audience, que les risques de propagation de la DNC, maladie qui avait épargné la France métropolitaine jusqu'à présent, sont, à ce jour, particulièrement élevés. Lors de l'audience, les représentants du ministère ont ainsi fait état de 47 foyers répertoriés en Savoie et Haute-Savoie au 28 juillet 2025. Il ressort également de l'instruction et des explications fournies à l'audience que le mode de transmission de la maladie, par la piqûre d'insectes hématophages, l'impossibilité de prévoir et de limiter le déplacement de tels insectes et leur forte prévalence pendant la période estivale, tout comme le fait que certains bovins peuvent être asymptomatiques tout en étant contagieux, imposent des mesures d'éradication combinant abattage des cheptels exposés à la DNC et vaccination d'urgence pour les cheptels non exposés à la maladie, une campagne générale de vaccination dans les zones concernées ayant d'ailleurs été lancée le 18 juillet dernier. Par suite, comme l'a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, l'arrêté attaqué ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété du GAEC Duchene.
9. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a écarté les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué ne serait pas motivé, qu'il aurait été pris par une autorité incompétente et qu'il serait intervenu en méconnaissance du principe du contradictoire, au motif qu'ils ne sont, en tout état de cause, pas de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel du GAEC Duchene et autre doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du GAEC Duchene et autre est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au GAEC Duchene, au syndicat Coordination rural-union nationale et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Fait à Paris, le 29 juillet 2025
Signé : Rozen Noguellou