Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 26 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Corbeil-Essonnes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1256 du 26 décembre 2023 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
- la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 ;
- le décret n° 2003-485 du 5 juin 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Corbeil-Essonnes doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 décembre 2023 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, et des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, uniquement en tant qu'il arrête le chiffre de sa population à 52 957 habitants en 2021.
2. D'une part, aux termes de l'article 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité : " I.- Le recensement de la population est effectué sous la responsabilité et le contrôle de l'Etat. / II.- Le recensement a pour objet : / 1° Le dénombrement de la population de la France ; / 2° La description des caractéristiques démographiques et sociales de la population ; / 3° Le dénombrement et la description des caractéristiques des logements. / Les données recueillies sont régies par les dispositions de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. / III.- La collecte des informations est organisée et contrôlée par l'Institut national de la statistique et des études économiques. / Les enquêtes de recensement sont préparées et réalisées par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, qui reçoivent à ce titre une dotation forfaitaire de l'Etat. (...) VI.- Les dates des enquêtes de recensement peuvent être différentes selon les communes. / Pour les communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants, les enquêtes sont exhaustives et ont lieu chaque année par roulement au cours d'une période de cinq ans. Pour les autres communes, une enquête par sondage est effectuée chaque année ; la totalité du territoire de ces communes est prise en compte au terme de la même période de cinq ans. / Chaque année, un décret établit la liste des communes concernées par les enquêtes de recensement au titre de l'année suivante. / VII.- Pour établir les chiffres de la population, l'Institut national de la statistique et des études économiques utilise les informations collectées dans chaque commune au moyen d'enquêtes de recensement exhaustives ou par sondage, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que l'institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, ainsi que les résultats de toutes autres enquêtes statistiques réalisées en application de l'article 2 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 précitée. / A cette fin, les autorités gestionnaires des fichiers des organismes servant les prestations de base des régimes obligatoires d'assurance maladie transmettent à l'Institut national de la statistique et des études économiques les informations non nominatives qu'il appartient à l'institut d'agréger cinq ans après leur réception, à un niveau géographique de nature à éviter toute identification de personnes (...) ". L'article 158 de la même loi prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat " définit les modalités d'application " du titre relatif aux opérations de recensement. Le décret du 5 juin 2003 relatif au recensement de la population précise quels sont les populations et les logements décomptés dans le cadre du recensement, et comment sont effectuées les enquêtes de recensement puis traitées et contrôlées par l'INSEE les informations collectées lors de ces enquêtes.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques : " I.- Le service statistique public comprend l'Institut national de la statistique et des études économiques et les services statistiques ministériels. / Les statistiques publiques regroupent l'ensemble des productions issues : / - des enquêtes statistiques dont la liste est arrêtée chaque année par un arrêté du ministre chargé de l'économie ; / - de l'exploitation, à des fins d'information générale, de données collectées par des administrations, des organismes publics ou des organismes privés chargés d'une mission de service public. / La conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. / II.- Il est créé une Autorité de la statistique publique qui veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites (...) ".
4. En premier lieu, il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'INSEE, en application de la loi et dans le respect des textes régissant la statistique et le recensement, de déterminer les méthodes en application desquelles sont établis les résultats du recensement et de concevoir les modalités de mise en œuvre de ces méthodes. Par suite, la commune requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que le décret du 5 juin 2003 serait illégal faute de définir lui-même les méthodes à utiliser pour réaliser dans les grandes villes un recensement par sondage et les calculs à effectuer pour en déduire le chiffre annuel de la population.
5. En second lieu, il résulte également des dispositions citées ci-dessus que, si le législateur a prévu que, pour établir les chiffres de la population lors des opérations de recensement, l'INSEE utilise, entre autres, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que cet institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, il ne peut être regardé comme ayant entendu imposer par ces dispositions que l'INSEE fonde directement l'évaluation de la population sur les chiffres issus de ces fichiers.
6. Pour soutenir que l'INSEE a sous-estimé le chiffre de sa population en l'arrêtant à 52 957 habitants en 2021, la commune de Corbeil-Essonnes fait valoir que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne lui a indiqué que le nombre des bénéficiaires de l'assurance maladie ou de l'aide médicale d'Etat rattachés à cette commune était de 56 162 au 23 septembre 2021. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que ces bénéficiaires correspondraient à la population municipale au sens du recensement. Elle fait valoir également que la " convention territoriale globale 2021-2024 " qu'elle a signée avec la caisse d'allocations familiales du même département fait état d'une population de 56 049 personnes en 2019, sans toutefois apporter de précisions sur l'origine de ce chiffre. Elle se prévaut enfin de l'évolution des constructions de logements et de celle des effectifs scolaires, en soutenant qu'elles attestent du dynamisme démographique de la commune. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la première ne se traduit pas par une augmentation notable du parc de logements depuis 2017, et que la seconde se caractérise par une relative stabilité du nombre d'élèves scolarisés. Dans ces conditions, la commune requérante n'est pas fondée à soutenir que, d'une part, le choix de l'INSEE de ne pas retenir ces données, dont la pertinence pour établir le chiffre de sa population n'est pas établie, pour affiner son estimation de cette population, méconnaîtrait les dispositions du VII de l'article 156 de la loi du 27 février 2022, ni que, d'autre part, il en résulterait que le décret attaqué est entaché d'erreur d'appréciation ou d'erreur de fait.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Corbeil-Essonnes n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la commune de Corbeil-Essonnes est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Corbeil-Essonnes, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2025 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Frédéric Lenica, conseiller d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Nicole da Costa
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova