Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 23 408,11 euros se rapportant à des impositions à l'impôt sur le revenu, aux contributions sociales et à la taxe d'habitation dues par son père, décédé, augmentées de frais et majorations, qui lui a été notifiée par la mise en demeure du
19 novembre 2021 tenant lieu de commandement de payer. Par un jugement n° 2200971 du 16 mai 2023, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 23LY02189 du 3 octobre 2024, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir transmis au Conseil d'Etat le pourvoi formé par M. A... contre ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'obligation de payer les impositions relatives à la taxe d'habitation, a partiellement fait droit à son appel contre ce jugement et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 décembre 2024 et 22 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que
M. C... A..., père du requérant, était, à la date de son décès le 2 juin 2018, redevable de cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 1997 à 1999, de cotisations d'impôt sur le revenu au titre des années 2013 à 2017 et de taxe d'habitation au titre des années 2009, 2010, 2013 et 2015 à 2017. Le 9 juin 2021, deux saisies administratives à tiers détenteur ont été notifiées à M. A..., en sa qualité d'héritier ayant accepté la succession, en vue du recouvrement de ces créances. À la suite de plusieurs échanges entre ce dernier et l'administration fiscale, le comptable public a délivré à l'encontre de M. A..., le 19 novembre 2021, une mise en demeure tenant lieu de commandement de payer la somme de 23 408,11 euros, correspondant à sa quote-part successorale des dettes fiscales non acquittées. M. A... a présenté le 21 décembre 2021 une réclamation contre cette mise en demeure, que l'administration fiscale a rejetée le 8 février 2022. Par un jugement du
16 mai 2023, le tribunal administratif de Dijon, après avoir regardé la demande présentée par M. A... tendant à l'annulation de cette mise en demeure comme tendant à la décharge de l'obligation de payer les dettes fiscales correspondantes, a rejeté cette demande en soulevant d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement. Par un arrêt du 3 octobre 2024, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir transmis au Conseil d'Etat les conclusions du pourvoi présenté par M. A... contre ce jugement relatives à la taxe d'habitation, a jugé recevable le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement et, d'une part, a jugé acquise la prescription de cette action pour les cotisations d'impôt sur le revenu au titre des années 2013 et 2014, et, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A.... Ce dernier demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a jugé non prescrite l'action en recouvrement des impositions dues au titre des années 1997 à 1999. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, par la voie du pourvoi incident, demande l'annulation des articles 2, 4 et 5 de cet arrêt.
Sur le pourvoi incident du ministre :
2. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable (...) ". Aux termes de l'article L. 281 du même livre : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / (...) / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / (...) / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée (...) ". Aux termes de l'article R. 281-1 du même livre : " Les contestations relatives au recouvrement prévues par l'article L. 281 (...) font l'objet d'une demande qui doit être adressée, appuyée de toutes les justifications utiles, au chef de service compétent (...) ". Aux termes de l'article R. 281-3-1 du même livre : " La demande prévue à l'article R. 281-1 doit, sous peine d'irrecevabilité, être présentée dans un délai de deux mois à partir de la notification : / a) De l'acte de poursuite dont la régularité en la forme est contestée ; / b) A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, de tout acte de poursuite si le motif invoqué porte sur l'obligation au paiement ou sur le montant de la dette ; / c) A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, du premier acte de poursuite permettant de contester l'exigibilité de la somme réclamée ". Aux termes de l'article R. 281-4 du même livre : " Le chef de service ou l'ordonnateur mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 281 se prononce dans un délai de deux mois à partir du dépôt de la demande, dont il doit accuser réception. / (...) / Si aucune décision n'a été prise dans ce délai ou si la décision rendue ne lui donne pas satisfaction, le redevable ou la personne tenue solidairement ou conjointement doit, à peine de forclusion, porter l'affaire devant le juge compétent tel qu'il est défini à l'article L. 281. Il dispose pour cela de deux mois (...) ". Aux termes de l'article R. 281-5 de ce livre : " Le juge se prononce exclusivement au vu des justifications qui ont été présentées au chef de service. Les redevables qui l'ont saisi ne peuvent ni lui soumettre des pièces justificatives autres que celles qu'ils ont déjà produites à l'appui de leurs mémoires, ni invoquer des faits autres que ceux exposés dans ces mémoires ".
3. Lorsque le redevable d'une imposition se prévaut de la prescription de l'action en recouvrement, il soulève une contestation qui ne porte pas sur l'obligation de payer mais qui a trait à l'exigibilité de l'impôt. La prescription de l'action en recouvrement doit, en application du c de l'article R. 281-3-1 du livre des procédures fiscales, être invoquée à l'appui de la réclamation préalable adressée à l'administration compétente dans un délai de deux mois à partir de la notification du premier acte de poursuite permettant de s'en prévaloir. Lorsqu'une réclamation a été présentée à l'administration à l'encontre de ce premier acte de poursuite sans invoquer un tel motif, le contribuable, s'il conteste devant le juge le rejet de cette réclamation, peut néanmoins invoquer devant ce juge, eu égard au premier alinéa de l'article R. 281-5 du même livre, la prescription de l'action en recouvrement à la condition que celle-ci n'implique l'appréciation d'aucune autre pièce justificative ou circonstance de fait que celles qu'il a produites ou exposées dans sa réclamation.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. A... était recevable à soulever le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement au soutien de sa contestation dirigée contre la mise en demeure du 19 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir relevé que les deux saisies administratives à tiers détenteur du 9 juin 2021 étaient parvenues à M. A... au plus tard le 21 juin suivant, s'est fondée sur la double circonstance, d'une part, que par une lettre du 3 septembre 2021, M. A... invoquait la prescription de l'action en recouvrement et, d'autre part, que, la décision du 7 septembre suivant, rejetant cette réclamation, ne mentionnant pas les voies et délais de recours, elle n'avait pas fait courir à son encontre le délai de deux mois imparti pour saisir le juge. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que si l'absence de mention des voies et délais de recours a pour effet de rendre inopposable le délai de forclusion prévu à l'article R. 281-4 du livre des procédures fiscales pour saisir le juge, elle ne saurait avoir pour objet ni pour effet de rendre recevable, par elle-même, l'invocation de la prescription de l'action en recouvrement en l'absence de réclamation préalable présentée dans le délai de deux mois prévu à l'article R. 281-3-1 du même livre, qui courait en l'espèce à compter du 21 juin 2021 et arrivait à échéance avant la réclamation du 3 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la réclamation du 16 juillet 2021 soulevait le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement et a fait l'objet d'une décision de rejet du 29 juillet 2021, qui ne mentionnait pas les voies et délais de recours, par laquelle l'administration a indiqué que les sommes en litige n'étaient pas prescrites. Il y a lieu de substituer ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué, à celui retenu par la cour pour accueillir la recevabilité du moyen soulevé devant elle, tiré de la prescription de l'action en recouvrement. Il en résulte que le moyen du pourvoi incident du ministre dirigé contre le motif retenu par la cour est inopérant et ne peut qu'être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à demander l'annulation des articles 2, 4 et 5 de l'arrêt attaqué.
Sur le pourvoi principal de M. A... :
En ce qui concerne la prescription des créances fiscales des années 1997 à 1999 :
7. Lorsque le contribuable est convenu avec le comptable d'un plan de règlement échelonné de sa dette fiscale, le délai de prescription du recouvrement, interrompu par la conclusion du plan, ne court pas pendant l'exécution de celui-ci. En cas d'interruption par le contribuable des versements prévus, un nouveau délai court à compter de la date à laquelle le premier des versements non effectués aurait dû intervenir. Tant la conclusion d'un plan échelonné de règlement que les versements réguliers effectués en exécution de celui-ci doivent être regardés comme des actes portant reconnaissance de sa dette au sens des dispositions de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.
8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'action en recouvrement des créances fiscales correspondant aux impositions dues au titre des années 1997 à 1999 n'était pas prescrite, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir retenu que
M. C... A... avait conclu en 2004 et 2010 avec l'administration fiscale deux plans échelonnés de règlement, a estimé que la mise en demeure du 19 novembre 2021 avait été notifiée au requérant avant l'expiration du délai de quatre ans à compter de la fin de l'exécution du second de ces plans.
9. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de l'historique des encaissements correspondant au recouvrement de l'impôt dû par
M. C... A..., produit par l'administration en défense, qu'aucun versement spontané, quel qu'en ait été le motif, n'a plus été effectué par M. C... A... au-delà de la date du 5 juillet 2013. Il en résulte qu'en estimant que l'exécution du second plan échelonné de règlement invoqué par l'administration s'était poursuivie jusqu'au 16 mai 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a dénaturé les pièces du dossier.
En ce qui concerne la prescription des créances fiscales de l'année 2015 :
10. Si M. A... soutient que la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit en ne jugeant pas que la prescription de l'action en recouvrement de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2015 était elle-même acquise, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et de la requête d'appel que le requérant n'invoquait lui-même la prescription que des impositions mises en recouvrement avant le 4 mars 2016, n'incluant ainsi pas l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2015, mis en recouvrement les 30 avril et 15 juin 2017. Le moyen soulevé étant ainsi nouveau en cassation, il ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.
11. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt attaqué en tant qu'il a jugé non prescrite l'action en recouvrement des impositions dues au titre des années 1997 à 1999.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 3 octobre 2024 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A... relatives au recouvrement des impositions dues au titre des années 1997 à 1999.
Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 3 : Le pourvoi incident du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 4 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de l'annulation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mai 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Réda Wadjinny-Green, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 24 juin 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Réda Wadjinny-Green
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :